Les effets complexes de l’alcool

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Maurice Einhorn Publié dans la revue de : Juillet 2024 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Le Professeur Philippe de Timary, chef du service de psychiatrie adulte aux Cliniques universitaires Saint-Luc, souligne d’emblée la complexité des effets de l’éthanol

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Philippe de Timary, chef de service de psychiatrie adulte aux Cliniques universitaires Saint-Luc, a commencé sa carrière comme chercheur dans un laboratoire, travaillant notamment pendant 8 ans sur le diabète, avant d’entamer un cursus de spécialisation en psychiatrie, de 5 ans, entre 1998 et 2003. Il a ensuite rejoint le service de psychiatrie des Cliniques universitaires Saint-Luc, combinant clinique et recherche. Il dirige aujourd’hui un service d’alcoologie, qui a acquis une réputation internationale dans ce domaine. Pour ce qui de la recherche, cette équipe travaille notamment sur un sujet peu connu qui est le rôle du microbiote et les problèmes liés à l’alcool et le microbiote. On a pu constater qu’il y a des anomalies de la perméabilité intestinale chez 40% des alcooliques, ce qui est un signe de grande sévérité.

 

Le Professeur Philippe de Timary, chef du service de psychiatrie adulte aux Cliniques universitaires Saint-Luc, souligne d’emblée la complexité des effets de l’éthanol. Celui-ci agit en fait sur une série de récepteurs différents, parce qu’il est amphiphile, ce qui signifie qu’il est à la fois lipophile et hydrophile, qu’il va se dissoudre si on le verse dans l’huile comme dans l’eau, ce qui explique ses effets extraordinaires. Il a en effet, pour commencer, un effet stimulant par son action sur les récepteurs dopaminergiques. Une dose un peu supérieure va agir sur les récepteurs GABA, ce qui calme l’anxiété, et les récepteurs opioïdes, ce qui procure du plaisir. C’est ce côté « cibles multiples » qui fait qu’on le consomme pour faire la fête.

Beaucoup de progrès ont été faits en matière de compréhension de la maladie alcoolique grâce la recherche fondamentale, notamment dans le domaine neurologique. De nombreux travaux montrent aujourd’hui l’importance de l’atteinte cérébrale en la matière, en ce qui concerne la cognition et l’émotionnel ainsi que la construction d’automatismes de consommation, avec un déséquilibre.

On s’est également rendu compte de l’importance, à cet égard, de la cognition sociale, qui est la capacité à comprendre ce qui se passe chez l’autre et dont un des aspects est l’empathie, la capacité de s’identifier à autrui dans ce qu’il ressent. Ces troubles de la cognition sociale sont en général difficiles à vivre pour l’entourage, les sujets atteints disant par exemple, sans s’en rendre compte, des choses qui blessent les autres. Il faudrait en pratique davantage travailler sur ces problèmes, d’autant plus que la meilleure compréhension de ces phénomènes fait qu’on ne traite plus la dépendance à l’alcool de la même façon que naguère. Il faut forcément tenir compte du fait que si on a tendance à considérer que l’alcoolique a un comportement pénible, c’est parce que son cerveau est malade. Si l’alcoolique boit tous jours, ce n’est pas parce qu’il décide de le faire, mais parce qu’il est pris dans un processus qui le dépasse. L’alcoolique est très souvent stigmatisé, ce que montre bien l’attitude de nombreux soignants à son encontre, notamment ceux qui, dans les services d’urgences, voient arriver, pour la énième fois, le même patient en état d’ébriété avancée et lui enjoignent d’arrêter de boire, ce qui n’aura évidemment aucun effet sur l’intéressé.

En ce qui concerne le profil type du sujet alcoolique, on en distingue deux, à savoir, d’une part, le profil impulsif, l’impulsivité amenant le sujet à boire, mais aussi avoir d’autres comportements liés à l’impulsivité et, d’autre part, le profil sensible, chez l’alcoolique qui boit pour sortir de son anxiété ou de sa dépression.

Pour les traitements, le Pr de Timary insiste sur le côté individualisé. Certes les progrès n’ont pas été spectaculaires sur le plan pharmacologique. En effet, pour le sevrage, on recourt encore toujours aux benzodiazépines à doses élevées, par exemple du valium à plus de 50 mg et aux vitamines pour pallier les carences dues à la consommation excessive d’alcool. Pour l’indispensable traitement au long cours, la clé est un travail psychothérapeutique, sans perdre de vue le facteur « alcool » même. Le soutien dans la décision d’arrêter est particulièrement important lorsque le patient a décidé de cesser d'arrêter de boire.

On considère souvent que l’on doit forcément passer à l’abstention totale, mais on recourt parfois à une approche de diminution plutôt que d’arrêt total, ce qui n’est cependant pas facile chez les personnes complètement dépendantes, pour qui une phase d’abstention totale peut être indispensable. Sur le plan pharmacologique, l’antabuse est utilisé depuis très longtemps, mais reste, comme l’atteste la littérature, un des traitements les plus efficaces.

Lorsque l’hospitalisation s’impose on a, aux Cliniques universitaires Saint-Luc, une formule particulière, qui est deux fois une semaine, puis une semaine de retour à la maison. On essaie dans cette démarche de favoriser l’autonomie et la responsabilisation du patient. C’est une formule qui donne des résultats intéressants.

Il y a eu, par ailleurs, de sérieux progrès concernant les complications organiques, particulièrement dans le diagnostic et la compréhension de ce qui se passe au niveau du foie, entre autres, grâce à l’utilisation du fibroscan qui permet de mieux voir des lésions que l’échographie. Avec les traitements actuels des hépatites, les cirrhoses que l’on constate aujourd’hui sont surtout des cirrhoses alcooliques. Mais c’est principalement du côté du degré d‘atteinte cérébrale qu’on devrait enregistrer les progrès les plus importants dans les années à venir. Il sera possible de déterminer l’état du patient tant au niveau du foie qu’au niveau cérébral, d’autant plus que nous avons récemment identifié des marqueurs sanguins de souffrance cérébrale.