L’alcool est vieux comme le monde …
Rien de surprenant à ce que les artistes, en tout domaine, s’y soient adonnés ou qu’ils en aient dénoncé la nocivité.
L’art pictural n’est pas en reste… : « Les buveurs » de Vincent Van Gogh, « A la Mie » de Toulouse Lautrec ou « La buveuse d’absinthe » de Picasso en sont quelques brillants exemples.
Ce jour, j’ai retenu à votre attention la remarquable huile sur toile (92cm/68.5 cm) intitulée « L’absinthe » ou encore « Dans le café », conservée au musée d’Orsay, chef d’œuvre d’Edgard Degas. Impressionniste illustre, Degas fut remarqué pour ses productions représentant la vie parisienne, ses scènes de danseuses, ses chevaux, sa vie profonde, parfois misérable.
La scène de l’Absinthe (1875-1876) se déroule au café de la Nouvelle Athènes, place Pigalle, repère des impressionnistes du moment.
Dans cette scène, deux personnages : une femme, l’actrice Ellen Andrée, et un homme, le peintre sculpteur Marcel Desboutin. Pour l’anecdote, retenons que le tableau entacha la réputation des deux personnages et que Degas dût officiellement préciser qu’ils n’étaient pas « alcooliques » !!!
Le tableau dégage une atmosphère lugubre, soulignée par les tons sourds des gris, des marrons, des noirs. L’intention de l’artiste est claire : sensibiliser le public aux méfaits de l’alcoolisme et à la détresse humaine qui en découle. À l’époque, l’absinthe, surnommé « fée verte », en fonction de sa couleur était très (trop) couramment consommée pour ses effets hallucinogènes dus à la présence de thuyone, substance toxique de l’armoise.
Auriez-vous, vous aussi, goûté à cet alcool prisé par de si nombreux artistes, leur ouvrant les chemins étonnants de leur art à l’écoute inspiratrice de leurs muses respectives ?
Et si nous imaginions, ne fût-ce qu’un instant, que ce fût le cas…Le flacon vide sur la table en atteste !
Quelques hallucinations vous mèneraient dans un monde où la raison cède le pas… et le génie de l’artiste prend son vol : déséquilibre global du tableau où les personnages sont décentrés, journal semblant déstabilisé, signature de l’artiste trop rapidement ébauchée, absence de pieds aux tables qui semblent soumises à une lévitation présumant celle qui agitent les esprits….
Force de l’impressionnisme qui invite au laisser aller pour mieux percevoir. Degas part du réel pour le transcender et nous emmène vers ce je ne sais quoi d’essentiel de notre paradoxale humanité.
Être sociable doté de parole, parfois addict à l’alcool, l’être humain recherche l’isolement … ou subit la solitude. Alcool et parole seraient-ils des marqueurs de notre espèce ?
Paradoxe de la solitude plus cruelle encore lorsqu’elle est vécue en présence d’êtres qui se côtoient mais qui n’ont plus rien à se dire. Incommunicabilité des êtres ? …. Ici on ne se regarde plus, Monsieur, ici, on n’a plus de prévenance, Monsieur… On boit pour oublier …. La tristesse des visages est saisissante.
Les âmes semblent se dévoiler, à peine….
Le secret est lourd. Regardez ces visages quelques instants … impressions ineffables et bouleversantes, les mots sont faibles. La parole, qui pourrait donner sens, serait-elle perdue ? Il est des circonstances de la vie où les mots sont pesants…
Mais n’êtes-vous pas, comme professionnels de la santé, ébranlés, et désireux d’aider … cette aide si délicate à apporter à nos patients pour lesquels l’alcool a paru répondre à leurs attentes, légitimes ou non ?