Introduction
Les manifestations cliniques de l’ECA varie selon l’exposition à l’allergène de contact. En phase aiguë, l’aspect clinique est caractérisé par la présence d’un érythème papulo-vésiculeux prurigineux. Les formes chroniques apparaissent lorsque le contact avec l’allergène responsable est maintenu. Dans ce cas, les lésions sont généralement érythémato-squameuses et les lésions s’épaississent (ou se lichénifient), entraînant parfois des fissures/crevasses douloureuses.
Différentes techniques de tests existent afin d’identifier les allergènes auxquels le patient est sensibilisé.
Tests épicutanés ou patch tests
Pour explorer une réaction d’hypersensibilité de type retardée (ou eczéma de contact allergique), des patch tests (tests épicutanés) sont recommandés. Le principe est de réexposer les patients au(x) allergène(s) suspecté(s) dans des conditions contrôlées. Ces tests sont effectués en appliquant divers produits chimiques et/ou les produits personnels du patient sur le haut de son dos. Une batterie standard européenne permet d’identifier les sensibilisations aux allergènes les plus fréquents en Europe. Selon la clinique du patient, cette batterie devra être complétée par d’autres allergènes. Les patchs sont retirés après 48 heures et les lectures sont effectuées au jour 2 (J2) et au jour 4 (J4) selon les critères définis par l’European Society of Contact Dermatitis (ESCD). Une lecture au jour 7 est recommandée pour les bilans avec certains allergènes, en particulier, les corticoïdes et les acrylates.
Des recommandations pratiques doivent être fournies aux patients pour le maintien des tests épicutanés. En effet, il est conseillé d’éviter de mouiller le dos et de pratiquer une activité sportive pendant toute la durée des tests. Etant donné le risque de faux négatifs et par manque d’études réalisées dans ces conditions, les patch tests seront reportés chez une patiente enceinte ou allaitante.
La présentation a ensuite abordé les directives pratiques relatives à l’utilisation des immunosuppresseurs pour la réalisation des tests épicutanés, conformément aux recommandations récentes de la littérature. Idéalement, l’arrêt de tous les immunosuppresseurs devrait être envisagé un mois avant le bilan ; toutefois, dans la pratique courante, cette approche semble peu réalisable. L’arrêt des immunosuppresseurs revêt une importance particulière chez les patients traités pour de l’eczéma, afin d’éviter des résultats faussement négatifs. En revanche, les patients sous immunosuppresseurs pour d’autres pathologies peuvent réaliser des tests épicutanés, à condition que les doses de leurs immunosuppresseurs soient précisément ajustées. (cfr Tableau 1).
Repeated open application test (ROAT)
Des résultats faussement négatifs peuvent survenir lors des tests épicutanés. Dans de tels cas, le ROAT est souvent recommandé au patient lorsque la suspicion envers un produit est élevée. Ce test consiste à appliquer le produit suspecté deux fois par jour, sur la face antérieure de l’avant-bras, pour une durée de quinze jours. Le test est considéré comme positif si un érythème infiltré couvrant plus de 25% de la zone testée apparait. Néanmoins, il convient de souligner que la différenciation entre une irritation cutanée et une réaction allergique de contact peut parfois s’avérer complexe lors de ce test. Ces tests sont principalement proposés avec les produits cosmétiques ou les collyres du patient.
Glove repeated application test (GRAT)
Ce test, dont le principe est proche du précédent, permet d’identifier une sensibilisation aux gants portés par le patient. Il consiste à appliquer un morceau (de 3cm x 3cm) de gant utilisé par le patient 1x/jour, pendant 6-8 heures sur la face antérieure de l’avant-bras et à répéter pendant 10 jours consécutifs, idéalement avec un nouveau morceau de gant lors de chaque application. Le test est considéré comme positif si un érythème infiltré est présent (avec ou non la présence de papules-vésicules) sur une surface de > 25% de la zone testée.
Scratch patch tests
Ce test consiste à scarifier la peau avec une aiguille de façon exsangue, sur chaque site où des produits chimiques seront appliqués, avant d’y apposer les tests épicutanés. Ce test est peu standardisé et peut donner de possibles résultats contradictoires. Il est particulièrement utilisé pour tester des collyres. Il permet d’améliorer la sensibilité par rapport aux patch tests standrards.
Quels allergènes suspecter selon la topographie clinique ?
Eczéma des mains
Il est estimé qu’un adulte sur dix est touché par l’eczéma des mains, une condition dont la prévalence est plus élevée chez les femmes ou les filles et dont l’incidence se majore d’années en années. Parmi ces patients, environ un tiers présente une forme modérée à sévère. La plupart des patients présentent une combinaison de facteurs, comprenant un terrain génétique prédisposant à l’atopie, une exposition à des agents irritants, ainsi qu’une dermatite allergique, tous interagissant de manière complexe.
Il s’agit de la maladie cutanée professionnelle la plus fréquente. En effet, le travail en milieu humide, les traumatismes cutanés répétés ainsi que le contact avec de multiples substances allergisantes sont tous des facteurs favorisant l’eczéma de contact des mains. Une anamnèse sur la profession et les habitudes de vie est indispensable. De nombreuses causes professionnelles sont fréquemment impliquées (coiffeurs, esthétique, métiers du bâtiment, dentistes …).
Les caractéristiques cliniques ou la localisation de l’eczéma des mains peuvent orienter vers certains allergènes potentiels. Par exemple, un eczéma situé sur le dos des mains peut évoquer une réaction allergique à des composants présents dans les gants ou à des substances contenues dans les cosmétiques appliquées sur les mains (notamment lors de la phase aiguë). En revanche, une inflammation au niveau des pulpes des doigts est plus fréquemment observée chez des professionnels manipulant des produits avec les extrémités des doigts, tels que les horticulteurs, les cuisiniers, les dentistes ou les prothésistes ongulaires.
Les résines époxy sont des agents sensibilisants fréquemment identifiés dans les allergies professionnelles. Elles font partie des plastiques thermodurcissables et sont classiquement retrouvées dans le secteur de la construction, les revêtements de sols, les adhésifs, les peintures etc. Les réactions pouvant être sévères et le manque de gants protecteurs efficaces nécessitent souvent dans ce cas une réorientation professionnelle.
D’autres agents fréquemment impliqués dans les ECA des mains sont les acrylates. Les résines acrylates et méthacrylates font partie des thermoplastiques. Les acrylates sont notamment utilisées en onglerie (dans les vernis en gels, les semi-permanents, les ongles artificiels), en dentisterie, en art graphique, dans des colles, des adhésifs et des plastiques, etc. L’ECA aux acrylates présent dans les produits d’onglerie est de plus en plus fréquent et se manifeste par des pulpites, des éruptions péri-unguéales avec parfois des dystrophies unguéales. Des plaques eczématiformes au visage (avec une atteinte possible des paupières et des lèvres) sont également observées chez certains patients suite à un contact manuporté ou aéroporté. Il convient également de noter qu’une sensibilisation cutanée aux acrylates chez une esthéticienne spécialisée dans le domaine de l’onglerie peut s’accompagner d’un asthme allergique (causé par l’inhalation des molécules volatiles lors du ponçage et du retrait des «faux-ongles»). La recommandation efficace pour cette profession est de porter des gants adaptés (par exemple : gants SilverShield 4H®) afin d’éviter tout contact direct des acrylates avec la peau. Cependant, l’atteinte aéroportée des particules dispersées dans l’air sera difficilement évitable.
La réalisation des ongles en gel étant devenue très populaire, de plus en plus de patientes souffrent des mêmes symptômes. Malgré l’existence d’une législation récente interdisant l’utilisation des molécules les plus allergisantes (dont l’hydroxyéthylmétacrylate (HEMA) et le dicarbamate de triméthylhexyle de di-HEMA) dans les produits non professionnels, il semble que cette législation soit peu respectée, ce qui expose les utilisateurs non professionnels à un risque accru de sensibilisation et de réactions allergiques cutanées.
Une sensibilisation aux acrylates peut avoir de nombreuses conséquences. Pour les professionnels en les manipulant, cela peut engendrer des incapacités de travail allant parfois jusqu’à une réorientation professionnelle. Une fois sensibilisé, le consommateur ou le professionnel dévéloppera des réactions aux produits contenant des acrylates par réactions croisées. Ces patients peuvent donc avoir des réactions suite à la pose de prothèses de genou cimentées, à des capteurs de glycémie, à des pansements, etc. Tous ces derniers exemples contenant des dérivés d’acrylates.
Sur le plan professionnel, les dentistes sont également exposés aux acrylates contenus dans les résines composites des amalgames. Cela engendre des ECA sur le dos des mains, les doigts et les paumes. Fréquemment, les 2 mains des dentistes sont atteintes avec un prurit, de l’œdème, des douleurs voire même des paresthésies des doigts. Le début des symptômes se fait parfois lors de leurs études, mais se voit dans la majorité des cas après plus de 10 ans d’exercice.
Eczéma des paupières
Une autre localisation fréquente d’ECA concerne les paupières. Les allergènes peuvent y être appliqués de manière directe, comme avec des cosmétiques ou des collyres. Ils peuvent également être transportés par voie aéroportée, en raison du contact de molécules volatiles dans l’air avec la peau, comme c’est le cas avec les parfums ou la diffusion d’huiles essentielles. Enfin, les allergènes peuvent être déposés sur les paupières par voie manuportée, après avoir été appliqués sur le visage par les mains, par exemple avec les acrylates utilisés dans les gels pour ongles.
Les allergènes les plus fréquemment impliqués dans l’ECA des paupières sont les parfums. L’allergie aux parfums touche entre 1.9 et 2.6% de la population générale et est causée par des allergènes tels que le lyral, le limonène ou encore le linalol, très présents dans notre environnement.
Il est important de noter que les huiles essentielles jouent un rôle prépondérant dans les eczéma de contact allergique. En effet, plus de 80 huiles essentielles ont été rapportées comme agent causal d’ECA.
Les composants des collyres oculaires (corticoïdes, antibiotiques, conservateurs, etc) sont des agents qui peuvent également être impliqués dans les eczémas de contact des paupières. Il est important de les rechercher spécifiquement à l’anamnèse car ils sont souvent peu rapportés par le patient. Les scratch patch tests sont généralement réalisés en première intention avec les collyres des patients, car de faux négatifs sont très fréquents avec les tests épicutanés. Si les scratch patch tests s’avèrent négatifs, des ROAT peuvent être proposés.
Eczéma des lèvres (chéilites)
Les lèvres sont également fréquemment affectées par de l’eczéma de contact. La chéilite de contact allergique peut prendre différents aspects cliniques. Elle peut toucher l’intégralité des lèvres avec ou non une atteinte péri-buccale. Lorsque seules les commissures des lèvres sont affectées, on la nomme : chéilite angulaire. La chéilite de contact peut être associée à des lésions intra-buccales telles qu’une aphtose, des érosions ou des réactions lichénoides.
Les allergènes impliqués dans les chéilites de contact sont notamment des composants présents dans les cosmétiques appliquées directement sur les lèvres (par exemple : baume à lèvres, etc) mais également les allergènes apportés aux lèvres par contact manuporté (par exemple : ongles en gel, etc). Les allergènes peuvent être également présents dans les bains de bouche, des instruments de musique (nickel, chrome, cobalt) ou plus récemment, dans des cigarettes électroniques. De plus en plus de réactions sont observées sur des dentifrices. L’étain (tin ou Stannous) utilisé dans certains dentifrices pour ses propriétés antibactériennes semble de plus en plus problématique.
Les réactions intrabuccales et des chéilites allergiques peuvent survenir sur des composants de prothèses dentaires, des plombages ou des amalgames.
Eczéma des pieds
L’eczéma du pied peut affecter différentes zones, chacune étant souvent corrélée à des allergènes spécifiques.
Lorsqu’un eczéma touche le dos des pieds, les orteils ou encore les bords latéraux des pieds, nous évoquerons plutot un ECA aux composants chaussures tels que le cuir, les tissus synthétiques ou la mousse des chaussures. Les allergènes impliqués sont dès lors le chrome (utilisé dans le processus de tannage de certains cuirs), l’octylisothiazolinone (conservateur utilisé dans le transport/stockage des chaussures) ou l’acétophénone azine (utilisé dans la mousse en éthylène-acétate de vinyle (EVA) de certaines chaussures).
L’eczéma des plantes de pieds (épargnant l’arche plantaire) est caractérique d’un ECA à certains composants de semelles. Les allergènes impliqués sont des composants de caoutchoucs (thiurams, mercaptobenzothiazole), de résine (p-tert-butyl-phenolformaldehyde resine) ou des dérivés de la colophane.
Lorsque les talons et des orteils sont atteints, on évoquera un ECA aux parties solidifiées des chaussures, par exemple des composants de plastique.
Un allergène qui semble réémerger est le thiocyanométhylthio- benzothiazole (TCMBT). Il s’agit d’un conservateur utilisé dans le processus de tannage de certains cuirs. Il était autrefois considéré comme le deuxième allergène le plus fréquent dans les chaussures en cuir, après le potassium dichromate. Cependant, il n’a plus été rapporté dans la littérature scientifique pendant plusieurs années, car il n’a plus été testé en routine. Depuis plus de quatre ans, cet allergène semble être responsable de plusieurs cas de dermatite de contact allergique, non seulement causées par des chaussures en cuir mais aussi par d’autres objets en cuir, tels que des ceintures et des fauteuils. Des cas de « Sofa Dermatitis » ont même été rapportés. Il s’agit de lésions d’eczéma qui se développent sur les zones en contact avec des assises (fauteuils, chaises, etc), pour la plupart en cuir. Cette dermatite particulière avait été rapportée en 2006 suite à la présence de diméthylfumarate (DMF) présent dans des sachets anti-humidité accompagnant des fauteuils de provenance de pays asiatiques.
Depuis lors, plusieurs cas ont été rapportés avec des conservateurs utilisés dans le processus de tannage du cuir tels que l’octylisothiazolinone, la methylisothiazolinone mais surtout le TCMBT.
ECA chez les enfants et adolescents
Les enfants et les adolescents ne sont pas épargnés par l’ECA. L’aspect clinique présente les mêmes caractéristiques que chez les adultes. Chez les enfants, les sites préférentiellement touchés sont le visage, les mains puis les pieds.
Il existe toutefois quelques allergènes de contact plus spécifiques, par exemple l’acétophénone azine, qui est retrouvé dans les protèges tibia ou les chaussures, ou encore l’aluminium utilisé comme excipient dans de nombreux vaccins, responsables de granulomes post-vaccinaux.
Certains allergènes sont plus spécifiques aux enfants suite à des loisirs, jeux bien particuliers à cette tranche d’âge. Pour exemple, la présence de conservateurs tels que la méthylisothiazolinone dans le Slime (« pâte à prout »). Il conviendra donc d’y être très attentif lors de l’anamnèse.
Tout comme chez les adultes, le diagnostic d’ECA repose sur la réalisation de tests épicutanés. Il n’y a aucune limite d’âge restrictive. Cependant, en dessous de 12 ans, on sélectionnera les allergènes pertinents en fonction de la clinique et on évitera d’appliquer les allergènes au potentiel sensibilisant tels que la résine époxy, l’HEMA, le formaldéhyde ou la paraphénylènediamine.
Les allergènes les plus fréquemment retrouvés chez les plus jeunes sont le métal nickel et les parfums linalol et limonène.
Ce qu’il faut retenir
L’ECA est observé chez ¼ de la population générale, il est donc primordial de le détecter. Une anamnèse approfondie est donc essentielle, elle incluera divers aspects tels que la profession, les habitudes de vie, l’utilisation de cosmétiques, la pratique des nouvelles tendances, etc. Un bilan allergologique sera proposé par tests épicutanés afin d’identifier l’allergène responsable. Ce bilan pourra éventuellement être complété par des ROAT par le patient.
Affiliations
1 CHU Mont Godinne, Godinne
2 Cliniques Universitaires Saint-Luc, Bruxelles
Correspondance
Dre Lucie Van Esbeen
lucie.vanesbeen@student.uclouvain.be