Introduction
La tuberculose méningée est une entité rare et de diagnostic difficile (accessibilité des sites et rentabilité des examens faibles). Le pronostic de la tuberculose méningée reste extrêmement sévère. Les présentations cérébrales peuvent être tout à fait aspécifiques et trompeuses chez de jeunes patients avec un délai prolongé en terme de diagnostic et thérapeutique. L’introduction du traitement est urgente et doit souvent être empirique. Nous rapportons le cas d’un patient avec une tuberculose méningée illustrant la complexité diagnostique initiale, dans le cadre d’une manifestation d’allure psychiatrique.
Cas clinique
Nous rapportons le cas d’un patient de 47 ans d’origine africaine, vivant en Belgique depuis 3 ans, admis en salle d’urgence pour des troubles du comportement au domicile. Suite à l’appel d’un voisin, le patient est retrouvé à son domicile, confus, mutique avec des troubles du comportement (se masturbe de façon répétée, lèche le sol,…). Les antécédents et le traitement du patient sont inconnus. Selon ce voisin, le patient aurait déjà déclenché un incendie volontaire dans l’habitat deux années auparavant. Le comportement est décrit comme inadapté.
L’examen clinique d’admission décrit un état confusionnel accompagné d’une agitation psychomotrice sans déficit moteur latéralisé ou de dysmétrie. Les réflexes sont normaux. Les pupilles sont isocores et isoréactives. Il est apyrétique. La tension artérielle est normale (140/90 mmHg). L’ECG montre un rythme sinusal avec une fréquence cardiaque à 84 bpm. La saturation pulsée en oxygène est à 98% à l’air ambiant. La biologie d’admission montre une lymphopénie légère (690/µL), une hyponatrémie vraie légère (133 mmol/L) et un léger syndrome inflammatoire (CRP à 7 mg/dL). La glycémie et l’éthanolémie sont normales. Une toxicologie urinaire qualitative montre une positivité pour les benzodiazépines et le cannabis. Un scanner cérébral sans injection de produit de contraste est normal. Sur base de ces éléments, un avis psychiatrique retient une décompensation psychotique délirante et une mise en observation en urgence est décidée. Dans l’attente du transport, le patient se détériore progressivement sur le plan neurologique avec une altération de l’état de conscience progressive durant les 36h suivantes qui devient sévère, accompagné d'une raideur de nuque (Glasgow Coma Scale 3/15) avec une raideur de nuque. Les pupilles sont alors en myosis et très peu réactives. Il n’y a pas d’atteinte des paires crâniennes. Il est alors placé sous ventilation mécanique invasive. La mise au point est complétée d’une RMN cérébrale qui retrouve une inflammation leptoméningée diffuse avec une prédominance frontale et une lésion ischémique récente dans la tête du noyau caudé droit (figure 1). Une ponction lombaire est réalisée et montre une cellularité de 296 éléments nucléés exclusivement lymphocytaire avec une hyperprotéinorachie importante (7.6 g/L) et le rapport LCR/plasma de la glycémie à 0,3. L’examen direct sur le LCR est négatif. Le patient est alors admis en unité de soins intensifs. Un EEG est réalisé et montre un tracé très ralenti sans élément irritatif. Un traitement empirique antiviral est débuté par aciclovir. Les sérologies syphilis et HIV sont négatives. Un scanner thoraco abdominal montre plusieurs adénopathies rétro péritonéales volumineuses. Il n’y a par contre pas d’anomalie parenchymateuse ou ganglionnaire thoracique. Une intradermoréaction et un test IGRA sont réalisés et sont négatifs. La PCR herpès est négative permettant l’arrêt de l’aciclovir. Une exérèse chirurgicale des adénopathies est réalisée et montre une lymphadénite GRANULOMATEUSE avec deux petits granulomes contenant de la nécrose sans caséum. L’examen direct sur ces prélèvements est négatif, tout comme la PCR tuberculose. Malheureusement, l’état du patient se dégrade rapidement. Il développe alors un diabète insipide, un début d’hydrocéphalie et un oedème cérébral sévère. Le patient est placé sous haute dose de corticostéroïdes (méthylprednisolone 200 mg/jour) et transféré dans une unité neuro chirurgicale pour un drainage ventriculaire externe. Le patient décèdera malheureusement 72h plus tard après être passé en état de mort cérébrale. Le diagnostic final sera finalement retenu 4 semaines après le décès sur base d’une culture positive pour une mycobactérie tuberculeuse sur les adénopathies abdominales.
Discussion
Le diagnostic retenu est donc une tuberculose méningée sévère associée à une forme extra cérébrale (ganglionnaire abdominale isolée). Il s’agit d’une entité rare en Belgique qui peut souffrir d’un retard diagnostique. Dans notre cas, cela peut être expliqué par plusieurs facteurs : présentation subaiguë et insidieuse chez de jeunes patients ainsi qu’une accessibilité et une rentabilité parfois faible des tests diagnostiques pour les sites extra respiratoires et en particulier pour le LCR.
Les formes extra respiratoires sont des entités peu fréquentes (16% en Europe) (1). Les sites les plus atteints sont la plèvre et les ganglions. L’atteinte méningée ne représente que 3% des formes extra respiratoires. Les facteurs de risque sont le HIV et les extrêmes de l’âge (2). La mortalité peut être extrêmement importante pour les formes sévères (jusqu’à 50% chez les HIV- et 75% pour les HIV +). Chez les patients survivants, les séquelles neurologiques sont fréquentes (3).
La symptomatologie est souvent de présentation subaiguë avec un tableau méningé, à savoir des céphalées, une photophobie avec une atteinte encéphalique comme de la confusion et des troubles du comportement. Les symptômes peuvent parfois être très pauvres. Dans les formes sévères, une atteinte des paires crâniennes, des AVC ischémiques et de l’hydrocéphalie par obstruction à l’écoulement du LCR peuvent être retrouvés. L’épilepsie est moins fréquente chez l’adulte. Les symptômes psychiatriques à l’avant-plan sont rares et peu décrits. Mouhadid and all rapporte le cas d’un jeune patient à la présentation psychiatrique typique isolée (4).
Le diagnostic de la tuberculose méningée se base sur l’analyse du liquide céphalorachidien montrant une hypercellularité (100-500 éléments nucléés) avec une prédominance lymphocytaire (> 50%), une protéinorachie et une hypoglycorachie. Le tableau 1 reprend les différents éléments d’orientation diagnostique dans l’analyse du liquide céphalo-rachidien. L’examen direct a une rentabilité pauvre sur le LCR (52-58%) mais augmente avec la quantité de LCR prélevée (> 6 ml), le nombre de ponctions réalisées et le temps de lecture par le biologiste (5). La culture est le gold standard mais sa sensibilité est également pauvre avec un temps de réponse prolongée (4-8 semaines). Les nouvelles techniques de détection d’acides nucléiques (PCR) peuvent être prises en défaut dans les sites extra respiratoires (LCR, liquide péricardique, pleural,…). La spécificité de ces techniques est toutefois excellente (>99%) mais la sensibilité n’est que d’environ 60% sur le LCR. Par ailleurs, pour les prélèvements respiratoires, la sensibilité de la PCR dépend également de la positivité de l’examen direct (96% vs 66% en fonction de l’examen direct) (6). Dans notre cas, l’examen direct et la PCR étaient négatifs sur le LCR comme sur les ganglions.
L’intradermoréaction (IDR) et les tests IGRA ne permettent pas de différencier une tuberculose latente d’une tuberculose active, et souffrent également d’une faible sensibilité chez le patient immunodéprimé, dans les formes actives et sévères (anergie) ainsi que dans les primo infections (6). Chez notre patient, l’IDR ainsi que le test IGRA étaient négatifs. Les recommandations de 2017 de l’ATS/IDSA/CDC recommandent un examen direct, une culture, un test d’amplification d’acide nucléique (PCR) et une histologie à la recherche de granulomes sur les prélèvements disponibles. L’IDR et les tests IGRA ne sont théoriquement pas recommandés en cas de suspicion de maladie active. Ils ne devraient être réservés qu’aux formes latentes.
D’autres tests biochimiques peuvent être utiles dans les atteintes tuberculeuses de diagnostic difficile. L’adénosine désaminase (ADA) est une protéine ubiquitaire, surtout présente dans les tissus lymphoïdes où les lymphocytes T sont activés. Son élévation peut être retrouvée dans toute situation où l’immunité lymphocytaire T est activée. Plusieurs études et deux méta analyses ont retrouvé un taux de sensibilité et de spécificité de 79 et 89% respectivement, avec toutefois un seuil diagnostique qui est discuté et dépend du site prélevé (LCR, liquide péricardique, pleural ou péritonéal) (7,8). Le taux d’IFN gamma libre est également utilisé dans le même but et décrit dans le liquide pleural et péritonéal. Aucune étude n’est disponible pour le LCR ou le péricarde (6). Enfin, il faut savoir que ces tests ne sont pas disponibles en routine en Belgique, mais une place leur sera peut-être trouvée à l’avenir dans les sites où la rentabilité des autres tests est plus faible.
L’imagerie cérébrale a une place centrale dans le diagnostic. La tomodensitométrie est utile, mais c’est la résonance magnétique qui est recommandée avec des signes TDM typiques pour une méningite tuberculeuse (rehaussement des citernes de la base, épaississement des espaces sous arachnoïdiens et atteinte des nerfs crâniens). La recherche d’un site extra méningé est essentielle pour le diagnostic, mais aussi pour la recherche d’une contagiosité en recherchant une forme broncho-pulmonaire. Un testing HIV est recommandé pour tout patient avec une tuberculose suspectée ou confirmée.
Le traitement comprend une quadrithérapie identique aux formes respiratoires (avec des posologies identiques) à base d’Isoniazide, de Rifampicine, d’Ethambutol et de Pirazynamide. L’Isoniazide et la Pyrazynamide sont les deux molécules qui passent le mieux la barrière hématoencéphalique. Le traitement comprend une phase d’induction de 2 mois puis une phase d’entretien par Izoniazide et Rifampicine pour une durée prolongée (au moins 7 à 10 mois). Le délai d’initiation du traitement est corrélé à la mortalité. Le traitement doit donc très souvent être débuté empiriquement sur base d’une probabilité clinique, de l’analyse du LCR et de l’imagerie (9,10,11). Des aides au diagnostic existent, comme celle de Marais and all. qui, sur base de critères diagnostiques établis par un consensus d’experts, permet d’établir un indice de confiance au diagnostic sous la forme d’un score (12).
L’intérêt de la corticothérapie réside dans l’intense réaction immune et inflammatoire qui a été décrite dans les atteintes méningées. Il y a un net bénéfice en survie à l’utilisation d’une corticothérapie à base de dexaméthasone ou prednisolone dans les méningites tuberculeuses avec toutefois une absence de bénéfice sur les séquelles neurologiques chez les survivants (13). La dexaméthasone a été largement plus utilisée dans les études disponibles avec une préférence pour une forte dose, à savoir 0.4 mg/kg/j en schéma décroissant sur 6-8 semaines. Les recommandations 2016 de l’ATS/CDC/IDSA ainsi que l’ERS en recommandent l’utilisation systématique quelle que soit la sévérité de la méningite. La neurochirurgie a parfois sa place notamment en cas d’hydrocéphalie, d’abcès cérébraux ou encore de tuberculose vertébrale.
Nous pouvons discuter du mode de transmission chez notre patient sans atteinte respiratoire apparente. Bien qu’un mode de transmission digestive soit décrit dans la littérature avec une inhalation de gouttelettes ou d’aliments contaminés, cela reste extrêmement rare (exception faite de Mycobacterium bovis). Une transmission respiratoire reste le plus probable chez notre patient. L’évolution subaiguë habituellement décrite présuppose un retard important de présentation chez un patient apparemment isolé.
Le patient est d’origine africaine sans que nous ayons pu obtenir d’autres renseignements en l’absence de famille ou de proches s’étant manifestés. Les recherches par la police sont restées vaines. Nous pouvons néanmoins discuter de l’influence des flux migratoires sur l’incidence de la tuberculose en Belgique. La Belgique est un pays à faible incidence de tuberculose. L’incidence globale en 2022 a été de 7,4 cas/100.00 hbts. Elle reste intimement liée aux flux migratoires (62% des cas enregistrés sont de nationalité étrangère), avec une prédominance pour les personnes originaires d’Afrique (57% Afrique, 21% Asie, 11% Europe de l’Est). Nous pouvons donc également comprendre que l’incidence se concentre essentiellement dans les grandes villes du pays (Bruxelles, Liège, Anvers,…) pour atteindre 16.8 cas/100.00 hbts en 2022 (14).
Enfin, nous évoquons une présentation psychiatrique d’une tuberculose méningée. Comme mentionné précédemment, il s’agit d’un mode de présentation décrit dans la littérature. La nature insidieuse de la symptomatologie neurologique centrale chez des patients jeunes, associée à des tests diagnostiques parfois peu rentables, peuvent faire erronément poser un diagnostic d’ordre psychiatrique. Chez notre patient, il y a quelques éléments anamnestiques qui suggèrent toutefois des troubles du comportement plus anciens sans lien avec la tuberculose méningée. Une maladie psychiatrique antérieure reste bien sûr une possibilité sans que nous puissions toutefois la prouver à posteriori.
En conclusion, la présentation d’une tuberculose méningée peut être insidieuse et trompeuse et conduit souvent à un retard diagnostique et thérapeutique avec un pronostic qui reste de nos jours extrêmement sévère avec des séquelles neurologiques fréquentes chez les survivants. La suspicion diagnostique doit être précoce et un traitement empirique doit être introduit sans attendre la confirmation diagnostique. Elle se base essentiellement sur le contexte clinique, l’analyse du liquide céphalorachidien et les résultats d’imagerie.
Recommandation pratique
Toute méningite lymphocytaire hypoglycorachique doit faire évoquer le diagnostic de tuberculose méningée. En fonction de la probabilité diagnostic sur base de la clinique, de l’analyse du liquide céphalorachidien et de l’imagerie, cela doit conduire à un traitement empirique en urgence à base d’anti tuberculeux et une corticothérapie sans attendre la confirmation du diagnostic.
Références
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Affiliations
1. Médecin assistant candidat clinicien spécialiste (MACCS) en médecine d’urgence, service de soins intensifs de l’hôpital de Mouscron
2. Directeur médical, maître des stages et intensiviste, service de soins intensifs de Mouscron, Centre hospitalier de Mouscron
3. Médecin spécialiste en soins intensifs et médecine d’urgence, service de soins intensifs de Mouscron, Centre hospitalier de Mouscron
4. Chef de service de pneumologie du centre hospitalier de Mouscron, maître des stages, et médecin spécialiste en pneumologie, service de pneumologie, Centre hospitalier de Mouscron
5. Médecin spécialiste en radiologie, Centre hospitalier de Mouscron
6. Médecin spécialiste en pneumologie et soins intensifs. Centre hospitalier de Mouscron
Correspondance
Dr Laurent Truffaut
Centre Hospitalier de Mouscron
Département de soins intensifs et réanimation
Av. de Fécamp, 49
B-7700 Mouscron
l.truffaut@chmouscron.be