Je vais vous résumer un livre qui est à la frontière de la musique et des neurosciences. Il nous convainc que la musique est bien plus qu’un passe-temps agréable, et même bien plus qu’un art… Le sous-titre en est d’ailleurs éloquent : « Pourquoi la musique est indispensable au cerveau ». Ses deux auteurs font en effet la preuve que la musique contribue à construire notre cerveau, autant qu’à le garder en bon état de marche.
Deux mots sur les deux auteurs
- Emmanuel BIGAND a été musicien d’orchestre ; il est aujourd’hui professeur de psychologie cognitive et chercheur au CNRS avec, comme thématique principale, l’étude des processus cognitifs impliqués dans la perception de la musique.
- Barbara TILMANN est elle aussi directrice de recherche au CNRS à Lyon. Ses travaux ont contribué à révéler le rôle bénéfique de la musique dans le traitement de troubles cognitifs.
Vous avez compris que le ton du livre est résolument scientifique.
Ce livre a été publié en 2021 aux Editions humenSciences.santé à Paris. Il compte un peu plus de 200 pages et il décline en une quarantaine de chapitres répartis en 5 parties qui égrènent les étapes de la vie :
1. La musique à l’embryon de la vie (stade pré-natal)
2. Pourquoi le bébé naît-il musical ?
3. Plaidoyer pour musicaliser l’éducation
4. Bien vivre avec la musique (entendez, au cours de toute la vie adulte)
5. La musique lorsque le cerveau vacille (qui répertorie les bénéfices de la musicothérapie sur nos cerveaux vieillissants)
… Sans oublier que le livre s’ouvre, non par une préface, mais par un PRÉLUDE et qu’il se ferme sur une synthèse intitulée « En guise de coda », clôturée comme il se doit par un POST-LUDE !
Le prélude explicite la thèse des auteurs par l’exemple suivant : « Imaginez que l’on vous demande de choisir pour votre enfant la pratique d’un instrument de musique ou celle d’un sport ou d’une langue étrangère. Eh bien, la musique passe généralement APRÈS, car même si nous la considérons comme importante, elle ne paraît pas aussi ESSENTIELLE que d’autres activités ».
Cet ouvrage prend à contre-pied cette conception. La musique est, pour les auteurs, une nécessité BIOLOGIQUE de l’être humain, car elle a contribué à transformer notre cerveau en vue de régler des problèmes adaptatifs décisifs pour la survie de l’espèce.
Qui plus est, la musique, écrivent-ils, est indispensable pour la vie des humains, tout au long de leur existence.
Pour quelles raisons est-elle aussi indispensable ?
Pour le comprendre, il faut rappeler que l’évolution extraordinaire du cerveau humain sur plusieurs millions d’années correspond au développement de deux types d’intelligence : l’intelligence COGNITIVE (mesurée par le QI) ET l’intelligence AFFECTIVE et SOCIALE, celle-ci étant tout aussi importante que celle-là. Et ces deux formes d’intelligence gagnent à être harmonisées (le choix de cet adjectif n’étant pas innocent…). La musique, vous le savez, stimule précisément, de façon complice, ces deux formes d’intelligence, la cognitive et la socio-émotionnelle, l’enrichissement de l’une entraînant le raffinement de l’autre.
Ce pouvoir de la musique commence dès la vie intra-utérine : c’est l’objet de la première partie : « La musique à l’embryon de la vie ».
Avant d’entrer dans le vif du sujet, les auteurs remontent dans l’histoire de l’homme pour s’arrêter sur les premières traces des outils de communication de nos ancêtres.
Alors que la lecture et l’écriture apparaissent vers 6000 ans avant J-C, l’aptitude humaine pour la musique est bien plus ancienne : des études archéologiques récentes ont mis au jour des flûtes taillées dans l’os, remontant à 40.000, voire 60.000 ans avant J-C.
Ainsi donc, avant d’avoir le pouvoir d’exprimer leurs sentiments par le langage, les humains ont utilisé un langage fait de notes et de rythmes !
Ce qui est avéré dans l’histoire de l’humanité se retrouve dans l’histoire de chacune de nos vies. On en arrive aux observations ayant trait à notre vie intra-utérine.
Plusieurs observations font la preuve que des sons entendus in utero sont déjà un apprentissage qui laisse une empreinte. Exemple : des nourrissons nés en Corée et adoptés par des familles néerlandaises vont être plus performants dans l’apprentissage de la langue coréenne que les nourrissons néerlandais. Autrement dit, le langage entendu avant la naissance laisse une trace qui est en quelque sorte une « carte postale » adressée au fœtus.
Carte postale qui est un peu déformée par le passage du son à travers le liquide amniotique. Le fœtus perçoit essentiellement les voyelles (très peu les consonnes) qui sont des sons périodiques harmoniques produits par la vibration des cordes vocales … Comme la musique ! Autrement dit, le langage se présente à lui comme une petite musique. Au fond, le fœtus apprend que nous chantons bien avant de savoir que nous parlons !
Et on peut aussi constater, après la naissance, que les nourrissons reconnaissent – et préfèrent – les musiques auxquelles ils ont été familiarisés in utero.
Les sons musicaux sont en en fait la toute première expression de connexion à l’autre dont le petit humain fait l’expérience in utero.
Sur le plan thérapeutique maintenant, nous apprenons que la musicothérapie s’applique aux grands prématurés !
On sait que ces grands prématurés sont constamment stimulés, de façon invasive, par le bruit des machines et du personnel hospitalier. Eh bien, dans de nombreux services, la musique est utilisée pour accompagner les soins et améliorer le bien-être du grand prématuré. Et ça marche ! L’écoute de la musique augmente leur taux de bêta-endorphine (dont on connaît le pouvoir analgésique), elle ralentit leur rythme cardiaque et abaisse leur tension artérielle. On objective même un effet favorable sur leur développement cérébral.
Ça marche en tout cas avec une berceuse de Brahms. Le livre ne nous dit pas si ce serait vrai avec du hard-rock ou du rap ! Cette aptitude innée à la musique doit bien avoir une raison : c’est l’objet de la deuxième partie.
Le nourrisson est un véritable « musicien en herbe ». Il est capable de percevoir toutes les caractéristiques d’une séquence de sons : hauteur, intensité, durée et tempo.
Ce n’est pas pour rien que, spontanément et dans toutes les cultures, une mère CHANTE à son enfant pour le calmer ou le rassurer. Cela entraîne par exemple une baisse de son taux de cortisol. Et c’est clairement plus efficace, à ce titre, que le parler bébé ou le langage adulte !
Une fonction peut-être encore plus importante de la musicalité communicative à l’adresse du nourrisson, c’est qu’elle est le meilleur PRÉCURSEUR DU LANGAGE.
Un dernier avantage de l’exposition du nourrisson à la musique est qu’elle crée un LIEN SOCIAL avec son environnement.
Il se crée ainsi par la musique, en concluent les auteurs, un cercle vertueux entre cognition et émotion, qui contribue, on le devine, au renforcement de la neuroplasticité.
La conclusion pratique est que le développement d’activités musicales dans les crèches doit être plus largement encouragé. Et si elles existent déjà dans certaines crèches, c’est à titre de divertissement, alors que l’écoute de la musique – c’est la thèse des auteurs –, devrait être considérée comme une véritable pratique éducative.
Les auteurs rapportent une de leurs études qui paraît convaincante : des séances répétées de 45’ de musique améliore les capacités linguistiques de nos petits musiciens en herbe !
Pourquoi dès lors ne pas donner plus de place à la musique à l’école également ?
Nous voici à la troisième partie du livre : « Musicaliser l’éducation ».
Notre société hyperactive demande très vite aux enfants des efforts cognitifs proches de ceux de l’adulte. Or, encourager toujours plus les enfants vers l’excellence et la compétition, peut avoir des effets opposés. S’en prémunir passe par une éducation bienveillante.
Les études scientifiques montrent que les activités musicales peuvent puissamment y concourir. Sachant qu’il s’agit moins d’apprendre la musique qu’éduquer par la musique.
Les activités musicales ont en effet la propriété de stimuler, de façon synchrone, les compétences cognitives et les compétences affectives, sociales et motrices de l’enfant. D’où le titre de cet ouvrage « La symphonie neuronale ». Sans compter que l’activité musicale que l’éducateur partage avec l’enfant a le pouvoir de tisser des liens de confiance et de respect mutuels.
On sait qu’il est plus difficile de se disputer avec des personnes avec lesquelles on vient de chanter… Ce n’est pas pour rien que l’Assemblée Nationale en France, propose des séances de chant collectif à ses députés !
Il est en tout cas dommage que la musique soit le « parent pauvre » de l’enseignement primaire. Car les enseignants devraient savoir que les activités musicales facilitent les autres acquisitions scolaires, que ce soit la lecture ou le calcul. Ainsi, les écoliers bénéficiant d’interventions musicales (2h de musique par semaine suffisent) réussissent mieux que les autres dans des matières n’ayant rien à voir, a priori, avec la musique, comme la reconnaissance de mots dans un texte.
Les auteurs illustrent, notamment, le pouvoir de la musique sur le langage.
C’est ainsi qu’une étude détaillée montre clairement que le groupe d’enfants qui est engagé dans une activité musicale apprend plus vite la lecture qu’un groupe témoin comparable, sans pratique musicale.
Par quels mécanismes ? Très probablement parce que la musique prépare les différentes aptitudes qui seront sollicitées pour le traitement de la langue. Tout porte à croire que les processus d’acquisition communs à la musique et au langage passent par le tronc cérébral, qui agit comme une photocopieuse entre l’appareil auditif et le cortex. Nous apprenons dans ce livre que l’introduction d’un programme d’activité musicale aide les enfants dyslexiques dans le traitement du langage. Et c’est tout aussi vrai pour l’arithmétique.
La musique rend-elle l’enfant plus intelligent ?
Une équipe de Toronto a étudié l’effet, sur le développement du QI, de 4 activités : musique instrumentale, musique chantée, théâtre ou autre activité au choix, et ce, chez des ados de 14 à 16 ans durant un an. Résultat : le QI augmente, en moyenne, chez tous les enfants, mais on observe que cette augmentation est la plus marquée dans les deux groupes « musique ».
S’agissant de l’intelligence, il est bien intéressant de lire, dans l’autobiographie d’Albert Einstein (qui était aussi violoniste à ses heures) : La découverte de la relativité restreinte m’est arrivée par intuition, et la musique était la force motrice, derrière cette intuition. Ma découverte était le résultat de la perception musicale.
Un dernier argumentaire dans le plaidoyer des auteurs pour la musicalisation de l’éducation, c’est sa capacité à susciter l’empathie et la socialisation, ce qui n’est pas à négliger dans une société du « moi-je », qui de plus est envahie par les écrans.
On peut ainsi montrer, études à l’appui, que la participation à des ateliers-musique améliore la reconnaissance des émotions, ce qui est la base de l’empathie. Qui plus est, c’est chez les enfants ayant au départ le niveau le plus faible d’aptitudes sociales et empathiques que l’amélioration est la plus marquée. Augmentation qui va de pair, comme dans les études précédentes portant sur les bébés, avec une majoration mesurable de la production d’endorphine.
En résumé de cette troisième partie, musicaliser l’éducation, tant en famille qu’à l’école, va faciliter les apprentissages cognitifs, et ce, dans un climat de confiance et de collaboration, favorisant ainsi la socialisation de l’enfant.
Je me permets de faire l’impasse sur la 4e partie qui couvre l’âge adulte car je crois que je prêche ce matin à des convaincus…
Je termine par la 5e partie qui n’est pas la moins intéressante, vous allez voir.
Dans l’introduction de cette dernière partie, intitulée La musique quand le cerveau vacille – ça nous concerne – les auteurs font appel à des notions de neurophysiologie.
Réalisons bien, nous disent-ils, que le cortex auditif est connecté au système limbique, qui, lui, stimule les réactions émotionnelles, mais aussi au cortex moteur, qui est bien sûr important pour le traitement rythmique de l’information.
Au total, la perception (ou la production) de la musique nécessite une coordination d’un réseau de neurones impliquant des structures perceptives, cognitives, émotionnelles et motrices, constituant la fameuse « symphonie neuronale ».
Ce « recouvrement neuronal », dont nous ne connaissons pas encore tous les mécanismes, explique sans doute les nombreux effets de la MUSICOTHERAPIE.
Un des plus connus est l’apaisement ou encore l’effet analgésique : c’est bien pourquoi la musique est utilisée lors de traitements médicaux lourds comme la chimiothérapie.
Autre effet remarquable de la musique : la récupération des capacités cognitives – dont le langage – après un AVC.
Dans une grande étude clinique, trois groupes de patients ont été suivis pendant plus de 6 mois. Le groupe « musique » écoute de la musique 2h/j, le groupe « audio » écoute un livre-audio durant 2h et le groupe « contrôle » n’a pas de séance auditive. Résultat : le groupe « musique » affiche des progrès plus marqués en mémoire verbale ainsi qu’un score moindre de confusion et de dépression, et ce, 6 mois après l’AVC.
D’autres essais cliniques, dont je vous épargne les détails, montrent qu’une activité musicale quotidienne favorise la récupération MOTRICE après un AVC. Elle améliore aussi la marche chez les patients atteints de Parkinson.
La musique vient également au secours de la MÉMOIRE. Tant la mémoire sémantique que la mémoire épisodique.
La mémoire SÉMANTIQUE, c’est p.ex. « Paris est la capitale de la France, ou 8x5=40 ». Eh bien, on constate qu’une mélodie est un support efficace pour mémoriser un texte.
La structure rythmique facilite en effet le découpage d’un texte en unités pertinentes, ce qui favorise la transcription des informations en mémoire de travail et en mémoire à long terme.
La mémoire ÉPISODIQUE, c’est typiquement la mémoire autobiographique. Eh bien, l’écoute de certains morceaux musicaux correspondant à une période de vie de l’individu âgé, permet souvent la remémoration d’événements vécus, et parfois même l’accès à certains détails qui y sont attachés. En résumé : musicaliser l’information en facilite la mémorisation.
La musique peut-elle atténuer ou retarder le vieillissement cérébral physiologique ?
Plusieurs observations vont clairement dans ce sens. Une des plus convaincantes est le suivi de jumeaux monozygotes discordants pour la pratique musicale. Vous devinez le résultat : les jumeaux ayant fait de la musique présentent moins de déficit cognitif et moins de démences que leurs pairs non musicalisés.
Et il n’est jamais trop tard pour apprendre. Et quand ce n’est pas (ou plus) possible d’apprendre à jouer d’un instrument ou de chanter, l’ÉCOUTE de la musique suffit déjà à mieux récupérer d’un AVC, et ce, en termes de fluence verbale et de mémoire de travail, notamment.
Autre avantage de la musique : c’est une activité plaisante, que l’on peut partager avec des proches ; elle peut donc aussi contribuer à lutter contre l’isolement.
Enfin, c’est bien connu, écouter une bonne musique une demi-heure avant le coucher peut favoriser un sommeil réparateur.
Ma sœur se rend régulièrement avec sa chorale dans les maisons de repos de ma Gaume natale. Elle m’a dit plus d’une fois à quel point elle avait pu voir que leur récital était une véritable oasis pour des personnes qui, parfois, ne parlaient quasi plus, mais étaient encore capables de reprendre en chœur des chansons de leur époque, ou tout simplement vivaient et partageaient une parenthèse enchantée.
Moi aussi j’ai été enchanté par la lecture de cet ouvrage et ravi d’avoir pu, je l’espère, vous inciter à le butiner avec autant de plaisir que moi !