Introduction
Maurice Ravel est né à Ciboure en France en 1875. Très vite, la famille ira habiter Paris. Sa mère, d’origine basque, influencera considérablement son activité de composition, où se retrouvera le goût des rythmes et des couleurs d’Espagne (voir par exemple sa Rhapsodie espagnole, écrite en 1907). Son père, né en Suisse, est ingénieur. Il rencontrera celle qui allait devenir son épouse en Espagne. C’était un mélomane averti. Maurice Ravel a un frère, Edouard.
Il suivra ses premiers cours de piano dès l’âge de 6 ans. À 12 ans, il débute l’harmonie et la composition. Mais il sera plutôt paresseux au Conservatoire. Ne parvenant pas à décrocher un premier prix à la fin de ses études, il sera radié du Conservatoire en 1895. Il échouera ensuite cinq fois au Prix de composition de Rome (de 1900 à 1905). Des rencontres avec plusieurs compositeurs de l’époque, dont Emmanuel Chabrier et Erick Satie auront une influence considérable sur son œuvre.
Des épreuves de vie précoces
Tôt dans sa vie, Maurice Ravel devra faire face à des épreuves de vie douloureuses. En 1908, son père décède d’un accident vasculaire cérébral à l’âge de 76 ans. Il sera exempté du service militaire pour « faiblesse ». Il est vrai qu’il est plutôt chétif et ne mesure que 1,61 mètre. Il ne pourra pas être mobilisé pour la guerre 1914-1918 ; ce qu’il vivra très mal. Se pose un vrai dilemme dans sa tête : doit-il quitter sa mère au risque de la laisser seule, ou bien refuser l’appel de la patrie ? Il finira par se faire engager comme conducteur de poids lourds. Il voulait toutefois être muté dans l’aviation, mais il sera recalé en raison d’une « hypertrophie au cœur », dont on ne saura pas beaucoup plus1.
En 1916 (il est alors âgé de 41 ans), apparaissent ses premiers signes de dépression : il se plaindra d’apathie, d’insomnie et de tristesse. Sa musique et sa mère lui manquent ! Il parlera de sa « neurasthénie ».
Puis en 1917, sa mère décède. Il se sentira coupable : et si sa mère s’était laissée mourir de chagrin ?
À nouveau, il est déprimé, mange peu, a perdu du poids. Il est réformé temporairement puis définitivement car on lui découvre une anomalie au niveau du sommet du poumon droit (tuberculose). En 1918, il tente de se remettre au piano mais l’esprit n’y est pas. Il recevra de la valériane (pour insomnie) et du cacodylate (dérivé de l’arsenic comme remontant). Mais le deuil de sa mère le poursuit… Puis son oncle (frère de son père) décède, ce qui n’arrange rien. Pour la première fois, ll évoque des idées suicidaires.
Les années de gloire
En 1921, Maurice Ravel achètera une maison au calme à Montfort (46 km de Paris). A partir de 1921, sa musique dépasse les frontières de la France. Il jouera à Londres, New York (1928) avec grand succès.
En 1928, il composera son fameux « Boléro ». Une spectatrice crie : « Au fou, au fou! » lors de la première. Ravel dira : « Celle-là, elle a compris ! ». Il s’est, en fait, inspiré du bruit martelé des usines et de la cadence incessante des coups du marteau. Il appelle cela « la beauté folle des machines ». Ce boléro devait évoquer l’automatisme d’une chaîne d’usine. Il imaginait les ouvriers et ouvrières quittant l’atelier pour participer à une danse générale. Il dira lui-même que ce Boléro est une œuvre « vide de musique ».
Cette fascination pour les nouvelles technologies, « la beauté folle des machines » lui vient de son père, ingénieur et inventeur (il inventera un moteur à 2 temps, une machine à fabriquer des sacs en papier, …).
Le tempérament du compositeur
Nous pouvons certainement retrouver chez Maurice Ravel un tempérament obsessionnel2. Il est décrit comme exigeant envers lui-même et les autres, il a le souci du détail (il ne pouvait pas se présenter en concert sans ses fameuses chaussures noires vernies). La composition prend chez lui des allures de maladie, avec fièvre, asthénie, et inappétence. Il compare la composition musicale à un exercice de mathématiques (influence de son père ingénieur ?).
À la mort de son père, il devient le chef de famille et prend sa mère sous sa protection. Il a vécu 42 ans avec elle. Son décès (elle mourra dans ses bras) sera suivi de plusieurs années de dépression. Cet attachement massif à sa mère se retrouvera dans sa musique et son goût pour cette musique chaude et ensoleillée du Sud-Ouest. Il cherchera à cacher à sa mère sa demande d’incorporation en 1914.
Sa gouvernante plus tard, ne sera-t-elle pas son substitut maternel ? C’est elle qu’il demandera à son chevet avant de mourir.
Maurice Ravel aime le monde de l’enfance : les petits automates, les boîtes à musique, les jouets. Il puisera d’ailleurs son inspiration musicale dans les contes traditionnels.
Il ne s’est jamais marié, on ne lui a connu aucune maitresse officielle. Le « psy » pourrait aisément émettre l’hypothèse que son attachement à sa mère l’ait quelque peu perturbé dans ses relations avec les femmes. Rien dans son attitude ne laisse penser à une homosexualité latente… On apprend qu’il fréquentait des « dames », c’est-à-dire des prostituées. Ne pourrait-on pas dire qu’il réserve l’affection à sa mère et l’amour physique à une prostituée ?
Voici ce qu’il en dira : « La morale, c’est celle que je pratique et que je suis décidé à continuer. Nous ne sommes pas faits pour nous marier, nous autres artistes. Nous sommes rarement normaux et notre vie l’est encore moins… »
Nous pourrions également dire que Ravel se cache derrière sa musique, trahissant une sensualité évidente. Est-ce le moyen d’assouvir ses désirs cachés et inconscients ?1
Le début de la maladie mystérieuse
En 1929 (il est alors âgé de 54 ans), Maurice Ravel part en tournée en Europe. Sa fatigue se fait sentir. Il composera son Concerto pour la main gauche (en hommage à un pianiste autrichien, Paul Wittgenstein, ayant perdu son bras droit à la guerre). Mais le compositeur est lent, sa recherche de la perfection l’épuise peu à peu.
En 1930, il aura beaucoup de mal à terminer son Concerto en sol. Cette fatigue excessive ne semble pas normale, avec des insomnies à nouveau présentes. Mais l’écriture reste normale…
Dès 1931, sa fatigue est omniprésente et s’accentue et notons les premiers changements de son écriture. Il consulte le Dr Desjardins qui lui prescrit du cacodylate injectable comme stimulant. Son état de santé ne lui permettra pas d’interpréter la partie soliste de son Concerto et il demandera à Marguerite Long de le remplacer.
Sa dernière apparition comme soliste en concert aura lieu le 9 mars 1931 à Bruxelles.
Puis apparaissent des troubles moteurs à type de gestes incoordonnés et involontaires3 (troubles praxiques), qui datent bien avant son accident de taxi d’octobre 1932. Il cherche machinalement quelque chose dans ses poches et est incapable d’exprimer oralement qu’il souhaite fumer. En faisant des ricochets dans l’eau avec des cailloux, il en envoie un au visage de son amie. Excellent nageur, il est incapable de revenir sur le rivage et avoua : « je ne sais plus nager ». Il fera de multiples fautes d’orthographe, de syntaxe, d’omissions.
Le 8 octobre 1932, il sera victime d’un accident de taxi et souffrira de multiples contusions dont un traumatisme facial (plusieurs plaies au visage), un hémothorax, avec des lésions sterno-costales probables.
L’écriture devient de plus en plus petite et il fait des ratures. Son écriture devient instable, sa signature modifiée, des mots sont « oubliés », rajoutés entre les lignes. Il y a de plus en plus des fautes de syntaxe (« il a suffit »). Nous pouvons parler d’une agraphie progressive.
Un test de la syphilis, fréquente à l’époque, est négatif (Wassermann négatif).
En 1933, il évoque sa « dépression nerveuse » après 3 ans de travail acharné à écrire ses 2 concertos… mais il a encore plein de projets ! Aucun des projets évoqués ne verra le jour toutefois.
Il recevra comme traitement: antasthène carrion (un remontant à base de magnésium, un extrait de substance cérébrale et de moelle épinière) indiqué à l’époque dans les dépressions.
Progressivement, il ne pourra plus écrire sa musique. « Valentine, je ne ferai jamais ma Jeanne d’Arc, cet opéra est là, dans ma tête, je l’entends, mais je ne l’écrirai plus jamais ». Il évoque cet affreux sortilège qui emprisonnait toutes ses idées dans son cerveau. Il ne pouvait plus signer, il était gelé. Il sera alors dans un désespoir profond, conscient de son déclin. Il garde la faculté de penser, d’imaginer, de concevoir. Ses facultés intellectuelles sont ainsi préservées. Sa mémoire est également parfaite.
En 1934 (il est alors âgé de 59 ans) son médecin est de plus en plus inquiet. Différents examens seront réalisés : examen normal de la prostate, radiographie normale du tube digestif, prise de sang normale (en particulier l’urée).
Résumé des traitements médicaux reçus
En novembre 1935, Maurice Ravel sera hospitalisé à la demande du Dr Alajouanine. Il reçoit 5 séances d’électrothérapie. Ce n’est pas de la sismothérapie mais de la stimulation électrique cérébrale transcrânienne (pour traiter l’insomnie).
Un traitement de Véryl sera utilisé contre la syphilis (alors que le test de Wassermann est pourtant négatif).
En 1937 (à l’âge de 62 ans), il devient de plus en plus mutique. Le 17 décembre 1937, le Dr Clovis Vincent, à la Salpêtrière, lui pratiquera un volet frontal droit croyant en une « petite hydrocéphalie congénitale décompensée avec l’âge ». Notons toutefois l’absence de troubles du contrôle sphinctérien et des troubles cognitifs souvent présents dans cette affection. L’hydrocéphalie s’est trouvée réfutée à l’ouverture du crâne, car le cerveau était affaissé et non gonflé. Le Dr Clovis Vincent décrit une dilatation des espaces sous-arachnoïdiens résultant de l’atrophie cérébrale.
Maurice Ravel meurt le 28 décembre 1937 d’un collapsus cérébral peropératoire (affaissement du cerveau).
Analyse sémiologique
Un examen clinique soigneux de Maurice Ravel devrait conclure en l’existence de cette sémiologie.
Agraphie : troubles de l’écriture.
Apraxie : perte de la faculté d’exécuter des gestes indépendamment d’une paralysie, d’un trouble sensitif, d’une rigidité. Il s’agissait d’une apraxie idéatoire (portant sur l’utilisation des objets) et idéomotrice (réalisation des actes simples) Ex : prendre le bon bout d’une cigarette, des fourchettes, ouvrir la porte,…jusqu’à l’impossibilité de jouer du piano.
Aphasie : altération du langage oral et écrit, surtout pour ce qui concerne l’expression, la compréhension étant moins atteinte.
Aucune altération de la mémoire ni de l’intelligence, pas d’altération de son orientation dans l’espace (il continuera de faire de grandes promenades dans les bois sans se perdre, en rapport avec un hémisphère cérébral droit intact).
Altération du langage musical : le Dr Alajouanine utilisait son propre piano pour étudier Ravel et avait noté :
- l’impossibilité de l’expression musicale écrite ou instrumentale ; une pensée musicale préservée ;
- une bonne reconnaissance des airs joués (dans le rythme, le style, les fautes introduites) ;
- une bonne reconnaissance des sons (il avait remarqué que le piano du Dr Alajouanine était mal accordé…) ;
- une reconnaissance analytique des notes et la dictée musicale défectueuses : il ne trouvait pas le nom de la note (rôle de l’aphasie), il pouvait chanter les notes s’il ne devait pas les nommer ;
- jouer du piano était impossible : il cherchait les notes, se trompait de place ; il pouvait jouer un peu mieux de mémoire (rôle de la mémoire procédurale intacte) ;
- l’écriture musicale était très difficile.
Absence d’amusie (qui est l’incapacité à reconnaître la musique dans ses caractères structuraux (tonalité, timbre) ou les mélodies : absence d’agnosie musicale.
La neuropsychologie de la musique nous apprend aujourd’hui le rôle respectif des deux hémisphères cérébraux.
- Hémisphère droit : intervient dans la reconnaissance de la musique comme musique et non comme bruit (lobe temporal droit), pour les contours mélodiques et les mélodies sans paroles, les timbres musicaux.
- Hémisphère gauche : intervient dans la reconnaissance du rythme (cortex frontal gauche : aire de Broca), de la hauteur tonale (il arrivait à Ravel de jouer une tierce en-dessous) et la reconnaissance des paroles chantées et parlées. Ainsi on peut oublier les paroles d’une chanson mais pas l’air…
Dans le cas de Maurice Ravel, la combinaison d’un trouble de l’expression orale (aphasie de Wernicke) et d’un trouble du geste (apraxie idéomotrice) avec un trouble de l’écriture (agraphie), doit faire craindre une atteinte de la jonction temporo-pariétale gauche.
Quels diagnostics différentiels ?
Il importe de considérer plusieurs diagnostics différentiels dans le cas de la maladie de Maurice Ravel.
- Un hématome sous-dural suite à l’accident de taxi : mais l’absence de céphalées et de tout signe neurologique dans les suites de l’accident plaident contre cette hypothèse.
- Une commotion cérébrale : choc sans lésion du cerveau. Si elle est probable dans les suites de son accident de taxi, elle n’explique pas tout le tableau neurologique présent.
- Une maladie d’Alzheimer : non car il n’y a aucune altération de la mémoire.
- Une démence fronto-temporale (maladie de Pick) : non car il n’y a pas de troubles de la personnalité ni du comportement, pas de perte de sens des convenances sociales, pas d’indifférence affective.
- Une aphasie lentement progressive : une dégénérescence cortico-basale impliquant le cortex fronto-pariétal et les ganglions de la base avec un dysfonctionnement moteur asymétrique des membres supérieurs (cela pourrait-il expliquer son problème à la nage ?), une perte sensorielle corticale (avec perte du sens du toucher présent dans son cas), une apraxie sans détérioration intellectuelle avec nosognosie persistante. C’est bien le diagnostic le plus probable dans le cas de la maladie de Maurice Ravel.
Le Dr Alajouanine4 écrira un article à ce sujet en 1948.
Une encéphalographie gazeuse pratiquée chez Maurice Ravel montrera une dilatation ventriculaire bilatérale et une atrophie évoquée par le Dr Alajouanine. Le Dr Clovis Vincent en avait-il connaissance ? Car cela plaide contre une hydrocéphalie. L’intervention neurochirurgicale de Maurice Ravel et son décès précipité aurait-il pu ainsi être évité ?
Incidence de sa maladie sur sa créativité
La maladie neurologique de Maurice Ravel aurait-elle eu une répercussion sur son activité de composition et sa créativité. C’est une hypothèse que fait le neurologue Amaducci5. Dans son article, il émet l’hypothèse selon laquelle, la maladie de Ravel et donc, l’atteinte de l’hémisphère gauche était prédominante déjà fin des années 1920, à l’époque de la création du Boléro. Nous le savons, cette œuvre est caractérisée par la richesse des timbres (or l’hémisphère droit intervient pour les timbres sonores) mais il se caractérise aussi par une rigidité rythmique (pourrait-on y voir un rôle de l’hémisphère gauche atrophié ?). Selon Amaducci, le Boléro témoigne donc d’un déséquilibre entre les deux hémisphères au profit du droit. D’aucuns pourraient réfuter ces dires en avançant que le rythme monotone du Boléro témoigne de la rigidité obsessionnelle bien connue du compositeur ou selon ses dires, de « l’automatisme d’une chaîne d’usine » dont il s’est inspiré.
En pathologie, les patients souffrant de lésions corticales postérieures voient souvent les capacités artistiques visuelles diminuées et ceux souffrant d’atteinte focale antérieure, comme c’est le cas dans l’aphasie lentement progressive, voient plutôt des capacités artistiques visuelles stimulées.
En 2008, un autre neurologue, Seeley6 décrira le cas d’une patiente, artiste peintre, atteinte, elle aussi, progressivement de dégénérescence cortico-basale, tout comme Ravel. La créativité visuelle sera considérablement stimulée chez cette patiente, parallèlement à l’appauvrissement de son langage. Ses premières peintures étaient essentiellement architecturales aux couleurs pastel. Cette artiste peintre va ensuite représenter en peinture le Boléro de Ravel. Au fur et à mesure que sa maladie progresse, elle va utiliser des couleurs de plus en plus vives et riches (Ravel, quant à lui, utilisait les couleurs sonores). La hauteur de ses figures augmente en parallèle avec l’élargissement du son dans le Boléro. Par la suite, ses peintures deviennent de plus en plus abstraites, comme le fait de peindre la lettre « pi ». L’imagerie cérébrale de structure mettra en évidence chez cette patiente, une atrophie des régions frontales inférieures gauches, mais également de l’insula gauche et du striatum gauche. Par contre, le volume du lobe pariétal supérieur droit et sulcus temporal supérieur droit (aires associatives polymodales néocorticales impliquées dans l’imagerie visuelle et les habilités visuo-constructives) sont augmentées de taille. L’imagerie fonctionnelle mettra en évidence un signal diminué au niveau du lobe frontal gauche et augmenté dans l’aire pariétale supérieure droite. Selon les auteurs, le signal intense au niveau des aires néocorticales postérieures droites pourrait expliquer le phénomène de la créativité transmodale stimulée, phénomène par lequel notre artiste peintre convertira le langage musical du Boléro de Ravel en images mentales. Ce phénomène est normalement inhibé par les aires frontales gauches. Dans le cas de l’aphasie lentement progressive, étant donné que les aires frontales gauches dégénèrent et donc, ne jouent plus ce rôle d’inhibition, l’activité artistique intermodale pourrait être, de ce fait, activée. Nous pourrions penser à un processus similaire chez Maurice Ravel lorsqu’il écrit son Boléro, avec le développement de riches palettes sonores au fur et à mesure que son langage s’appauvrit. Ces phénomènes témoigneraient donc de l’existence d’un réseau anatomo-fonctionnel qui pourrait expliquer, pour le moins, certains aspects de la créativité artistique !
Implications épistémologiques
Expliquer le comportement humain n’est pas chose aisée. Non seulement la structure du cerveau détermine le comportement, mais à son tour, la structure du cerveau est déterminée par l’histoire de l’individu et sa culture7… En ce sens, nous pouvons dire que le fonctionnement du cerveau détermine également sa structure. Déterminants biologiques et culturels sont ainsi finement entremêlés.
Par conséquent, si le mental et le cérébral d’un individu représentent deux facettes d’une même réalité (monisme à la Spinoza), cela ne plaide pas pour une interprétation déterministe de la dynamique cérébrale. À la fois les expériences vécues et la culture dans laquelle évolue un individu vont modifier, ce que j’appelle, ses conditions de possibilité (le contenant) du fonctionnement cérébral pour y accueillir ces expériences de vie (le contenu).
En ce sens, si selon Amaducci5, le style du Boléro de Maurice Ravel (palettes sonores développées dans un rythme inchangé) eût été favorisé par la modification de son fonctionnement cérébral, de par son affection neurodégénérative (le contenant), il n’en reste pas moins que c’est bien un Boléro que le compositeur a désiré écrire, vraisemblablement en référence à la culture espagnole transmise par sa mère (le contenu), et non une Valse par exemple. L’œuvre artistique, est non seulement dépendante du contenant (les conditions de possibilités) mais elle est également ancrée dans une histoire de vie et une culture (le contenu) modelant et influençant à son tour le contenant.
Références
- Le cerveau de Ravel, Lechevalier B., Mercier B., Viader F. Odile Jacob, 2023, 336 pages.
- Danan M, Maurice Ravel, Académie des Sciences et lettres de Montpellier, 2008 ; 38 : 69-82.
- Cardoso F, The movement disorder of Maurice Ravel, Movement disorders, 2004; 19(7): 755-757.
- Alajouanine T., Aphasia and artistic realization. Brain 1948; 71(Pt. 3): 229-41.
- Amaducci L., Grassi E., Boller F. 2002. Maurice Ravel and righ-hemisphere musical creativity: influence of disease on his last musical works ? Eur. J. Neurol. 2002; 9(1):75-82.
- Seeley W.W. et al. Unravelling Boléro : progressive aphasia, transmodal creativity and the right posterior neocortex. Brain. 2008;131: 39-49.
- Theunissen S., Constant E. Musique, créativité et neurosciences : pour une dialectique entre contenant et contenu. Psychiatrie, Sciences humaines, Neurosciences, 2014 ; 12(2) : 77-92.
Affiliations
* Directeur médical du Centre Hospitalier Spécialisé Notre-Dame des Anges, Liège Professeur invité UCLouvain et ULiège Membre titulaire de l’Académie royale de Médecine de Belgique