L’adieu à celle qui n’est plus

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Carl Vanwelde Publié dans la revue de : Décembre 2024 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Il a vieilli de dix ans, il évoque avec émotion l’épouse perdue il y a quelques semaines, sa souffrance, une affection commune de cinquante ans.

Article complet :

Il a vieilli de dix ans, il évoque avec émotion l’épouse perdue il y a quelques semaines, sa souffrance, une affection commune de cinquante ans. L’examinant je lui découvre sur le bras un tatouage calligraphié « I don’t forget you my love », datant d’une semaine. Maintenant elle est avec lui pour toujours.

La musique, quand les mots manquent

Je lui partage mon émotion, pareille à ma découverte de cette œuvre emblématique de la musique écossaise, écrite par Niel Gow, célèbre violoniste et compositeur du XVIIIe siècle, « Lament for the Death of His Second Wife », en mémoire de sa deuxième épouse décédée en 1791. L’expression du chagrin est universelle, chacun la traduit selon son langage propre.

Par-delà les mots, cette longue lamentation musicale nous émeut sans passer par la barrière cognitive du langage. De la douceur à la douleur intense, sans avoir à définir explicitement l’aimée perdue, les circonstances de son décès, l’affection partagée, la musique crée un espace où le chagrin peut être ressenti et compris de manière instinctive. Le violon à la mélodie mélancolique, accompagné d’autres instruments traditionnels comme le piano ou la cornemuse, adopte ici un schéma simple au tempo lent, avec une mélodie qui tombe progressivement, traduisent une sensation de perte ou de chute. L’utilisation des dissonances, ces notes qui ne s’accordent pas harmonieusement lors d’une première écoute, créent une tension musicale reflétant la souffrance intérieure, le conflit émotionnel et l’absence de résolution face à la perte. Le violon pleure, alternant le doux et le fort, la douleur et l’apaisement.

La musicalité au service de l’émotion

On ne décrit pas un chagrin, on le partage. L’art du compositeur est de faire appel à une technique musicale éprouvée pour émouvoir par des notes juxtaposées comme une évidence. La pièce de Niel Gow est écrite en la mineur, tonalité couramment utilisée pour des pièces exprimant la douleur, le deuil ou la nostalgie. La mélodie est simple mais expressive, avec un mouvement pas trop rapide et des phrases construites de manière régulière, petites cellules mélodiques répétées et légèrement modifiées, ce qui accentue l’effet méditatif et répétitif du chagrin. Le phrasé musical commence par un motif descendant typique des lamentations, une sorte de soupir mélodique, au rythme libre et souple faisant se succéder doucement noires et croches, avec un caractère légèrement rubato avançant certaines notes de la mélodie et en retardant d’autres, comme pour abandonner la rigueur antérieure d’une existence brutalement malmenée par le deuil. La mélodie crée ainsi des moments de tension légère, adoucie par des moments de détente, imitant les vagues de tristesse ressenties dans le deuil.

I don’t forget you my love

Mon regard se pose à nouveau sur l’avant-bras tatoué, I don’t forget you my love, aussi introspectif et méditatif que l’est la mélodie répétitive et doucement ornementée de Niel Gow. Une même simplicité, deux hommages touchants à la perte et à l’amour. Musique éternelle, bras mortel, merveilleux moment d’émotion inattendu dans une banale journée de médecin.