Commençons par distinguer 2 termes:
Spondylarthrite : arthrite de la colonne.
SpondylOarthrite : atteinte de la colonne (spondylite) ET atteinte périphérique, à savoir des membres (arthrite).
Le "o" connectif a valeur de "et", tout comme dans bronchoalveolaire il s'agit des bronches ET des alvéoles.
Les spondyloarthrites (SpA) regroupent un groupe de pathologies inflammatoires, à médiation immunitaire, qui partagent des caractéristiques génétiques, cliniques, et pathogéniques semblables. La figure 1 reprend l’ensemble des affections concernées.
On estime que la prévalence se situe entre 0.5 et 1.5 % de la population, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis. Le poids de la génétique est important, avec un facteur de risque génétique de 80 à 90 % dans la spondylarthrite ankylosante (SA). La concordance entre les jumeaux (risque de développer la maladie par un des jumeaux quand l’autre est malade) est de 15 % pour les dizygotes, et va de 50 à 75% pour les monozygotes. On estime que 5 à 6 % de la population caucasienne HLA-B27 risque de faire une SA. (Ref 1, 2, 3).
Le rhumatisme psoriasique est relativement fréquent. C’est une problématique complexe qui a parfois de lourdes conséquences chez les patients. Au quotidien, il a un impact sur la qualité de vie, au vu de l’impotence fonctionnelle, en plus du stress, de l’anxiété, et de la dépression nerveuse engendrée chez ces patients. Bien entendu, le risque d’usage abusif de tabac, alcool, ou drogues est grand chez ces personnes. Sa perception par l’entourage n’est pas toujours facile, Etant parfois considéré à tort comme une « maladie contagieuse », surtout en cas d’atteinte cutanée.
Ces rhumatismes sont associés à une co-morbidité accrue. Les principales co-morbidités sont : l’ostéoporose (13%), les problèmes gastro-entérologiques (11 %), l’atteinte cardio-vasculaire, l’obésité, le diabète, l’infection, et les néoplasies, comme le montre l’étude ASAS – COMOSPA, portant sur 3984 patients SpA, menée dans 22 pays et 4 continents. (Ref 2, 4).
Les facteurs de risques associés (HTA dans 34%, tabagisme dans 29%, hypercholestérolémie dans 27% des cas) sont également à prendre en considération. Il y a bien entendu un impact de la co-morbidité sur le choix thérapeutique.
L’enthésite est un élément important dans la pathogénèse de la SpA, et contribue à l’atteinte axiale et périphérique, même si la synovite existe parfois (figure 2) (Ref 5). C’est surtout le complexe enthéso-synovial qui est le siège des hostilités (figure 3) (Ref 6). Le stress mécanique sur un terrain génétiquement prédisposé, entraîne la production de cytokines pro-inflammatoires telles que le Tumor Necrosis Factor alpha (TNFa), l’interleukine -23 (IL-23), l’interleukine -17 (IL-17). De plus, la production de l’interleukine 22 (IL-22), et du Bone Morphogenic Protein 7(BMP7) occasionne une ostéoprolifération importante. Ce qui entraîne l’ankylose, bien connue et caractéristique de la Spondylarthrite ankylosante (SA).
Il existe une association entre la SpA et les gènes de l’Human Leucocyte Antigen B27 (HLA-B27), de l’Endoplasmic Reticulum AminoPeptidase 1 (ERAP1), et surtout du récepteur de l’Interleukine-23 (IL-23R) (Tableau 1, Ref 3). La présence de ces gènes augmente le risque de développer la maladie, comme le prouve des modèles animaux, notamment les rats transgéniques B-27.
Les enthèses (autant que l’articulation, la peau, l’uvée, ou la racine de l’aorte entre autre) contiennent une population cellulaire résidente exprimant l’IL23R. Ce sont des cellules (IL-23R+RORγt+CD3+CD4-CD8-) TH17, qui sont des Lymphocytes T helpers-17.
L’expérience de Sherlock JP et al. (Ref 7) publiée dans Nature Medicine en 2012, montre qu’après une nuit de culture d’enthèses provenant de tendon achilléen de souris, en présence d’IL-23, les cellules TH17 sus-mentionnées sont activées, et surexpriment l’IL-17A, l’IL-17F, l’IL-22, et Bmp7. Ce qui entraine une inflammation tant axiale que périphérique. Cependant, l’équipe de Sherlock ne nous dit pas pourquoi est-ce qu’on produit de l’IL-23.
L’IL-23 peut être produite en réponse à une stimulation bactérienne d’origine digestive, comme l’ont prouvé Benham et al. (Ref 8).
L’IL-12 et l’IL-23, par interaction avec leurs récepteurs respectifs, entraînent une activation des voies de signalisation en aval, avec synthèse de l’interféron gamma et développement de TH1 pour l’IL-12, alors que pour l’IL-23, on a une production d’IL-17A, IL-17F, IL-22, et une stabilisation de TH17 (figure 4) (Ref 9).
Dans la SpA, il y a donc de nouvelles cibles thérapeutiques différentes du TNFa, notamment par l’antagonisme de L’IL-23R ou de l’IL-17 (pour l’activité inflammatoire de la maladie), ou par blocage de l’IL-22 impliquée dans l’ostéoprolifération (responsable de l’ankylose, à l’origine du handicap fonctionnel dans les atteintes axiales).
Avant de poser un diagnostic de SpA devant une enthésite ou une sacroiliite, il conviendrait au préalable d’exclure les autres causes pouvant être associées à ces manifestations. (Cf. tableau 2).
En 2009, des critères ASAS (Assessment of SpondyloArthritis international Society) de classification des SpA ont été établis. On distingue donc 2 groupes : la SpA axiale (avec une prédominance de l’atteinte de la colonne), et la SpA périphérique (prédominance du squelette appendiculaire). La figure 5 (Ref 11) reprend les différents éléments requis.
Pour l’atteinte axiale, il faudrait idéalement, avoir des rachialgies inflammatoires (qui réveillent la nuit, et sont calmée par l’exercice) depuis au moins 3 mois, avant l’âge de 45 ans, avec un volet radiologique (sacroiliite), associées à au moins une des 11 caractéristiques propres aux SpA. Si on a plutôt le volet clinique (HLA-B27), il faudrait y associer au moins 2 caractéristiques de SpA.
Pour l’atteinte périphérique, le critère clinique (enthésite, dactylite, arthrite) devrait également être associé aux autres caractéristiques de SpA.
Etant donné le délai moyen de 6 ans avant le diagnostic de l’atteinte axiale (axSpA), il est important de détecter et traiter précocement ces patients (fenêtre d’opportunité ?). Le diagnostic clinique étant souvent difficile face aux lombalgies atypiques
La clinimétrie est l’ensemble des moyens permettant de mesurer les signes et symptômes cliniques de façon objective.
L’évaluation subjective comprend pour les atteintes axiales 2 questionnaires relatifs à la situation fonctionnelle du patient (BASFI, 10 questions), et à l’activité de sa maladie (BASDAI, 6 questions) au courant de la semaine qui précéde la consultation.
L’évaluation objective comprend une série de mesures. Dans les atteintes périphériques, le patient désigne sur une échelle allant de 0 à 10 sa situation globale en termes de douleur et d’activité de sa maladie (EVA), et complète en plus une série de 10 questions sur son état de santé (HAQ).
Les mesures relatives à la mobilité (BASMI), l’évaluation articulaire (NAD/NAG), l’évaluation cutanée (BSA, PASI) et unguéale (NAPSI) et la quantification des enthèses (MASES) complètent le tableau.
Le score ASDAS (AS Disease Activity Score) permet d’établir l’activité de la maladie de manière objective (car présence d’un paramètre biologique de type CRP ou VS), contrairement à l’index BASDAI qui est plus subjectif. De plus, l’ASDAS est utile dans l’évaluation de la réponse thérapeutique.
On distingue 2 types de score ASDAS, obtenus par le calcul ci-dessous, en fonction de la CRP ou de la VS:
ASDAS-crp (0.121 x Rachialgies) + (0.110 x EVA patient) + (0.073 x atteinte Périphérique) + (0.058 x durée de RM) + 0.579 x Ln (CRP +1)
ASDAS-vs (0.079 x Rachialgies) + (0.113 x EVA patient) + (0.086 x atteinte Périphérique) + (0.069 x durée de RM) + (0.293 x Racine carrée ESR)
Sur le plan biologique, les analyses seront faites en tenant compte du diagnostic différentiel (Cf. Tableau 2), et de la co-morbidité. On demandera les paramètres inflammatoires (CRP, VS), un hémogramme, une enzymologie hépatique, une fonction rénale, des sérologies (infectieuses, auto-immunes y compris l’ HLA-B27), et les analyses relatives aux co-morbidités (lipidogramme, remodelage osseux,….).
L’imagerie diagnostique a fait d’énormes progrès ces dernières années. S’il est vrai que les radiographies standards permettent de poser le diagnostic de SA selon les critères de New-York modifiés (datant de 1984, et qui associent la rachialgie inflammatoire avec limitation fonctionnelle à l’atteinte radiologique des sacro-iliaques), de nouvelles approches iconographiques ont vu le jour. Les échographes sont de plus en plus performants dans l’évaluation des enthèses et des articulations. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) n’est pas en reste. Elle permet non seulement de poser un diagnostic plus précoce (par exemple dans les atteintes actives non radiologiques), mais surtout d’avoir en même temps une évaluation complète de l’atteinte axiale et/ou périphérique, notamment par le moyen d’une IRM de la colonne totale et/ou du corps entier. De plus, l’absence d’irradiation tant pour le diagnostic que pour le suivi sous traitement, dans une population relativement jeune (< 45 ans), est un atout important. Par ailleurs, en utilisant des séquences spécifiques, on pourrait évaluer lors du même examen l’activité de la maladie (en STIR) et la présence de signes de chronicité (en pondération T1).
La scintigraphie osseuse et la tomographie par émission de positrons ou PETscan peuvent trouver une indication dans le diagnostic différentiel.
La densitométrie osseuse est utile dans le cadre de la co-morbidi, car l’ostéoporose est fréquente dans ce type de rhumatisme inflammatoire.
Depuis 2003 (date du début de leur remboursement dans la SpA), les anti-TNFa ont transformé de manière remarquable le quotidien des patients SpA, résistants ou intolérants aux AINS (dans les formes axiales ou axSpA), et aux corticoïdes locaux ou systémiques, associés ou non aux inducteurs de rémission non biologiques (nbDMARDs) dans les formes périphériques. Les facteurs prédictifs de bonne réponse aux anti-TNFa dans l’axSpA étant le jeune âge, la courte durée de la maladie (< 3 ans), l’index d’activité BASDAI élevé, la CRP élevée, et la présence de lésions actives à l’IRM.
Dans ce cadre, la présence de signes d’activité à l’IRM rachidienne et/ou des sacro-iliaques, sans signes d’atteinte radiologique (patients ne respectant pas les critères diagnostics de New-York modifiés) établi une entité nosologique de plus en plus reconnue et nommée « spondyloarthrite axiale non radiologique – nraxSpA ». De plus, depuis 2014, nous avons en Belgique le remboursement des anti-TNFa dans cette indication spécifique.
Cependant, malgré leur efficacité sur l’activité de la maladie, les anti-TNFa ne freinent pas de façon substantielle l’évolution vers l’ankylose, principale cause de la limitation fonctionnelle dans l’axSpA.
De récentes études montrent que l’Apremilast (inhibiteur des phosphodiestérases 4 –PDE4) à la dose de 30 mg 2x/j donne des résultats cliniques intéressants pour le score ACR20 (20% d’amélioration clinique selon les critères de l’American College of Rheumatology), et significativement différents du placebo, dès la 16ème semaine, et ce jusqu’à la 52ème semaine de traitement. (Ref 12). Il est surtout indiqué dans les formes périphériques (arthrite psoriasique), en cas d’échec ou de mauvaise tolérance aux nbDMARDs tel que le Méthotrexate ou la Salazopyrine. Il est commercialisé en Belgique depuis ce 01 fevrier 2016 sous le nom d’OTEZLA.
La mise en évidence de nouveaux mécanismes physiopathogéniques, notamment la découverte de l’axe IL-23 – IL-17 et sa grande implication dans la SpA donne des espoirs quant à un meilleur contrôle de cette maladie, au demeurant très hétérogène.
Des études publiées en 2015 dans Nature Medicine (Ref 9) et dans le NEJM (Ref 13), montrent l’efficacité des anti-IL-23 et anti-IL-17 dans le psoriasis cutané, avec ou sans atteinte articulaire (figure 6).
Une des études à laquelle nous avons participé à St-Luc (grâce à notre « Spondyloarthritis clinic »), et qui vient d’être publiée dans le NEJM (24 décembre 2015) montre l’efficacité du Sécukinumab (anti-IL-17A) dans l’axSpA (Ref 14) (figure 7).
Pour le futur, bloquer l’IL-22 pourrait s’avérer salutaire dans les formes axiales, étant donné son implication dans la prolifération osseuse et le développement de l’ankylose. Cependant, la prudence est de mise vu son rôle dans la protection du tube digestif.
Au sein du service de Rhumatologie des CUSL, une consultation dédicacée aux spondyloarthropathies inflammatoires (entre autre, la pelvi-spondylite et le rhumatisme psoriasique) et nommé « Spondyloarthritis clinic » a vu le jour. Elle se déroule chaque jeudi (de 08h à 17h). Les patients (venant pour la 1ère ou la nième fois) ayant des plaintes axiales et/ou périphériques sont évalués cliniquement, et leur iconographie est discutée avec nos radiologues osseux, particulièrement avisés depuis de nombreuses années sur ces pathologies. Ce qui permet dans la majorité des cas de donner un avis le jour même. De plus, l’accès à une évaluation échographique quantitative, et à une IRM du corps entier permet d’avoir une « cartographie complète » tant axiale que périphérique, de la situation du patient. La prise en charge diagnostique et thérapeutique étant ainsi bien meilleure.
Par ailleurs, cette clinique de la SpA permet d’offrir aux patients l’opportunité d’avoir accès aux nouvelles molécules. Bien entendu, le traitement standard associant les AINS ou les DMARDs (biologiques ou non), à une prise en charge en physiokinésithérapie (Kinésithérapeute – madame Marie Avaux, physiothérapeute – Dr Virginie FRASELLE), n’est certainement pas délaissé.
Une collaboration pluridisciplinaire (gastro-entérologie, dermatologie, ophtalmologie, médecine physique, radiologie) est indispensable chez certains patients, dans un souci d’évaluation optimale de cette pathologie aux multiples facettes.
- Secrétariat (Rendez-vous) : 02/764.29.92 (route 604) (Etage -2).
- Nom du médecin : Adrien NZEUSSEU TOUKAP
- Email : Adrien.Nzeusseu@uclouvain.be
Cliniques universitaires Saint-Luc, Service de Rhumatologie, avenue Hippocrate 10, B-1200 Bruxelles
Dr. Adrien NZEUSSEU TOUKAP
Adrien.Nzeusseu@uclouvain.be
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