O. Lebecque, V. Godding, P. Lebecque
En Belgique, la mucoviscidose affecte près d’un nouveau-né sur 3.000. Le traitement actuel reste symptomatique. Basé sur une meilleure compréhension de la maladie, il a considérablement amélioré son pronostic mais il est complexe, coûteux et prend beaucoup de temps (presque 2H/jour en moyenne). Trouver un traitement plus « fondamental » de l’atteinte pulmonaire qui conditionne presque toujours le pronostic est une nécessité. Il y a un peu plus de 2 ans, était saluée dans cette revue la découverte de l’Ivacaftor (KALYDECO ®) qui, isolément, semblait ne devoir concerner que quelque pourcents des patients à l’échelle mondiale (0.2% en Belgique …) mais pouvoir constituer un jalon dans cette voie. Le lecteur est renvoyé à cet article (1) pour plus de détails sur ce contexte.
Brièvement, l’approche privilégiée depuis plus de 10 ans était le développement de molécules qui en fonction du type de mutations présentées par chaque patient apparaîtraient capables de rétablir partiellement ou d’améliorer au niveau des cellules épithéliales la fonction de la protéine CFTR, défectueuse dans la mucoviscidose. À ce jour, près de 2.000 mutations du gène CFTR ont été répertoriées. Selon leurs conséquences sur la protéine CFTR pour laquelle code ce gène, les plus fréquentes d’entre elles ont pu été catégorisées selon 6 classes. Contrairement aux classes III à VI, les mutations de classes I (absence de synthèse) et II (destruction prématurée d’une protéine bancale par les mécanismes intracellulaires de contrôle de qualité) ne permettent pas ou pratiquement pas de présence de la protéine CFTR au niveau du pole apical des cellules. La seule mutation très fréquente du gène CFTR est une mutation de classe II (F508del : 85% des patients Belges sont porteurs d’au moins une copie de cette mutation). Une même mutation peut relever de plusieurs classes. La plupart des mutations sont extrêmement rares et on ignore de quelle(s) classe(s) elles relèvent. La mutation G551D est le prototype des mutations de classe III (une protéine CFTR bancale atteint le pole apical des cellules mais elle est inopérante et ne joue notamment pas son rôle de canal pour l’ion chlorure). Chez des patients âgés de plus de 11 ans et porteurs d’au moins une copie de cette mutation, l’administration d’Ivacaftor se révélait capable d’améliorer le VEMS rapidement (endéans les 2 semaines) et substantiellement (de 10% de la valeur prédite en moyenne ), entraînant également une nette prise de poids, une réduction de 55% des exacerbations sur une période de 48 semaines, une amélioration très significative du volet respiratoire d’un questionnaire évaluant la qualité de vie et – ce qu’aucun autre traitement n’est capable de faire - une réduction moyenne de 48 mmol/L du taux de chlorure dans la sueur, lequel se normalisait près d’une fois sur deux. En dépit de ces résultats spectaculaires, les incertitudes et limitations ne manquaient pas, pour la plupart encore d’actualité : peu de recul quant à l’efficacité et la tolérance, pas d’expérience chez le très jeune enfant (a priori le plus à même de profiter d’un tel traitement ; ce qui est détruit est détruit), mécanisme d’action mal élucidé, coût opaque et très élevé.
Le premier février 2016, ce traitement sera disponible et remboursé en Belgique, chez les patients âgés d’au moins 6 ans, pesant au moins 25 kg et porteurs d’au moins une copie de mutation de classe III parmi une liste de 9. Les patients éligibles prendront 1 comprimé de 150 mg matin et soir. Chaque comprimé coûte 340 € (traitement annuel : plus de 248.000 € par patient). Les lignes qui suivent ne concernent que l’usage de l’Ivacaftor seul, sans entrer donc dans le domaine des combinaisons entrevues avec d’autres modulateurs pour remédier surtout aux conséquences de la mutation F508del. Elles résument ce qui a tout récemment été appris sur le sujet, évoquent les perspectives qui se dessinent et précisent des aspects pratiques de ce traitement très coûteux qui expose à de multiples interférences médicamenteuses.
Au cours des 30 derniers mois, pas moins de 160 publications référencées sur Pubmed ont été publiées au sujet de l’Ivacaftor. En dehors de celles inspirées par la question du prix qui fait scandale (2), on retient quelques observations anecdotiques et des études plus structurées. Toutes vont dans un même sens : efficacité de l’Ivacaftor dans les indications actuellement consensuelles et bonne tolérance de la médication. Des case-reports suggèrent un possible effet favorable sur la sécrétion d’insuline ou sur une éventuelle stéatose hépatique. Un auteur décrit l’amélioration marquée sous Ivacaftor d’un patient porteur de la mutation P67L, qui est une mutation de classe IV. Plusieurs études ont concerné les patients porteurs d’au moins une copie de la mutation G551D. L’efficacité et la bonne tolérance de l’Ivacaftor ont été documentées chez des patients sévèrement atteints (VEMS < 40% pr) (3) mais aussi chez l’enfant de 6 à 11 ans (4), la mesure de l’indice de clearance pulmonaire (LCI) apparaissant ici un outil d’évaluation sensible lorsque le VEMS est bien préservé (5). Avec un recul de 3 ans, la bonne tolérance (6) et le maintien de l’efficacité du traitement (7) ont été étayés. L’amélioration des paramètres nutritionnels a été précisée (8), comme celle de la qualité de vie (9). D’autres bénéfices ont maintenant été décrits, en termes d’imagerie (CT-scann) des sinus (10) ou du thorax (11) mais aussi de microbiologie: diminution de la fréquence d’isolement du Pseudomonas aeruginosa au niveau des prélèvements respiratoires (12). Barry et al. (13) ont montré l’absence de corrélation utile entre la diminution du taux de chlorure notée sous Ivacaftor et l’augmentation du VEMS.
L’intérêt potentiel de l’Ivacaftor a été prédit in vitro pour d’autres mutations que G551D (14), confirmé en clinique pour 8 autres mutations de classe III (15) et - dans une bien moindre mesure - chez des patients porteurs de la mutation R117H, le bénéfice étant alors pratiquement réservé à ceux portant cette mutation sur un background 5T (16). À ce jour, aucune étude de « désescalade » du traitement symptomatique n’a été menée. Or, le faire, en commençant par les séances de kinésithérapie si longues et fastidieuses, devrait être une priorité chez les patients présentant peu ou pas de bronchectasies.
En novembre 2015, l’agence européenne du médicament a donné son approbation à une extension des indications de l’Ivacaftor seul aux jeunes enfants (2 - <6 ans) porteurs d’une mutation de classe III parmi la liste des 9 mais aussi aux adultes (≥ 18 ans) porteurs de la mutation R117H, ouvrant la porte à des négociations sur les prix à l’échelon national. Si la première indication semble simplement logique, la seconde se révèlera problématique, surtout dans des pays comme la Belgique et la France où R117H est presque toujours associé à un background 7T et résulte alors très rarement en une atteinte respiratoire importante. En 2016, la firme prévoit de débuter une étude chez le nourrisson porteur de l’une des mutations de classe III agrées. La dose sera ici ajustée en fonction du poids et la médication administrée sous forme de granules à mélanger à des liquides.
Enfin, la compagnie Vertex a soumis tout récemment à la FDA (USA) une demande d’approbation pour usage dès l’âge de 2 ans chez les patients porteurs d’une mutation de classe IV ou V parmi une liste de 23 (2789+5G- > A, 3849+10kbC- > T, 3272-26A- > G, 711+3A- > G, A455E, D110E, D110H, D1152H, D1270N, D579G, E56K, E831X, F1052V, F1074L, L206W, P67L, R1070W, R117C, R347H, R352Q, R74W, S945L, S977F). Cette démarche-là n’est donc que très préliminaire. Si elle devait aboutir, elle concernerait potentiellement 8% des patients suivis à St Luc (n>200). Et il n’est pas exclu qu’une quinzaine de patients supplémentaires puissent un jour apparaître comme candidats potentiels à un traitement par l’Ivacaftor seul. Il s’agirait sans doute pour l’essentiel de patients porteurs de mutations plus rares et dont la fonction pancréatique exocrine est préservée (ce qui traduit le plus souvent la présence d’une mutation de classe IV ou V), mais aussi notamment de quelques patients porteurs d’une mutation de classe III non encore identifiée ou reconnue comme telle. Dans ces situations, un équilibre parfois délicat serait à trouver entre le bénéfice escompté, s’il se confirme, et le coût du traitement.
Les gélules ont une durée de conservation de l’ordre de 3 ans et doivent être conservées à une température inférieure à 30° C. L’absorption de l’Ivacaftor est trois fois meilleure si la médication est ingérée en même temps que des aliments gras (fromage, lait entier, poisson gras, avocat, barre chocolatée …). Parmi les effets secondaires, une fréquente augmentation des transaminases justifie leur suivi systématique, rapidement espacé. Certains patients se plaignent de vertiges qui disparaîtront mais peuvent contre-indiquer temporairement la conduite d’un véhicule. De rares cas d’opacification partielle du cristallin ont été rapportés chez l’enfant, sans répercussion sur la vision. Faute de données, l’Ivacaftor est en principe actuellement évité pendant la grossesse et l’allaitement.
La métabolisation se fait essentiellement au niveau du foie de telle sorte qu’une hépatopathie sévère peut restreindre l’indication de ce médicament. Le cytochrome P450 et plus précisément les isoenzymes CYP3 A jouent un rôle important dans la dégradation de l’Ivacaftor et de son principal métabolite, également actif. Les substances qui inhibent CYP3 A exposent à un ralentissement de l’élimination de l’Ivacaftor et imposent des posologies réduites. Inversement, les substances qui induisent une activité accrue de CYP3A exposent à une élimination accélérée de l’Ivacaftor (tableau 1). Par ailleurs, l’usage d’Ivacaftor impose une prudence particulière vis-à-vis de médications comme les benzodiazépines dont la dégradation peut être ralentie (par compétition pour les CYP2C9, CYP3A et la glycoprotéine P). En pratique, comme l’indication et la surveillance sont réservées aux pédiatres et pneumologues des 7 centres de référence belges de la mucoviscidose, il importe surtout au médecin généraliste ou au pédiatre de se rappeler l’existence de nombreuses interférences médicamenteuses et d’éviter en particulier de prescrire les antifungiques oraux (Itraconazole, fluconazole …), la clarithromycine et l’érithromycine qui risquent d’exposer à des taux trop élevés d’Ivacaftor. Pour la même raison, jus de pamplemousses ou d’oranges amères sont évités. À noter que l’azithromycine, souvent prescrite dans la mucoviscidose, ne pose pas problème. Parmi les substances qui risquent d’atténuer le bénéfice de l’Ivacaftor, réduisant parfois presque d’un facteur 10 sa concentration dans le sang, figurent notamment la rifampicine, le phénobarbital, la carbamazépine, la phénytoïne, le millepertuis.
- Actuellement, l’Ivacaftor n’est indiqué que chez quelques pourcents des patients belges atteints de mucoviscidose. Il représente pour eux un médicament très important. Son prix est exorbitant. Son usage doit être optimal.
- L’ivacaftor expose à de multiples interférences médicamenteuses. En médecine générale, il importe notamment d’éviter d’y ajouter clarithromycine, érythromycine et antimycotiques oraux (azoles).
(1) CHU Dinant Godinne | UCL Namur, Service de radiologie, Godinne
Avenue G.Thérasse 1
B-5530 Yvoir, Belgium
(2) Unité de Pneumologie pédiatrique & Mucoviscidose,
Université catholique de Louvain, Cliniques universitaires Saint-Luc
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Brussels, Belgium
Professeur Patrick Lebecque, MD, Ph D
Tel.: +32 2 7641939, Fax: +32 2 7648906
Patrick.Lebecque@uclouvain.be
1. Van Lier Z, Godding V, Lebecque P. Ivacaftor et mucoviscidose : le tournant ? Louvain Med 2012; 131 (10): 622-628.
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