Le psoriasis est une maladie inflammatoire chronique, génétique et auto-immune à expression principalement cutanée et articulaire. Elle touche 2 à 3 % de la population caucasienne. Les deux sexes sont affectés de manières équivalentes. Le psoriasis peut survenir à tout âge. Toutefois chez la femme la première poussée survient en moyenne à 28 ans (1). Le psoriasis touche dès lors fréquemment des femmes enceintes. Aux Etats-Unis, Horn et al. estiment que chaque année, 9000 à 15000 naissances le sont d’une mère atteinte d’un psoriasis modéré à sévère (2).
La sévérité du psoriasis est évaluée par le pourcentage de surface corporelle atteinte (BSA pour body surface area) et/ou le score de sévérité du psoriasis (PASI). Le psoriasis est défini comme modéré à sévère en cas de BSA>10 ou de PASI>10. Ce dernier ne peut la plupart du temps être contrôlé de façon optimale par des traitements topiques. Il nécessite une prise en charge par photothérapie et/ou traitements systémiques. Dans ce type de psoriasis, des traitements biologiques peuvent être prescrits en cas d’échec de la photothérapie et des traitements systémiques classiques (méthotrexate et ciclosporine). Les traitements biologiques ou biothérapies sont par définition, des médicaments obtenus à partir d’une substance biologique (soit par extraction, soit par production). Cette substance peut être de nature humaine, animale ou micro organique. Ces médicaments biologiques comportent entre autres des médicaments immunologiques, les médicaments dérivés du sang et du plasma, des vaccins, des cellules vivantes utilisées en thérapie cellulaire…
Il y a actuellement cinq biologiques prescrits dans le psoriasis, trois inhibiteurs du tumor necrosis factor ou TNF (l’etanercept, l’infliximab et l’adalimumab) et deux inhibiteurs d’interleukines (l’ustekinumab [inhibiteur d’IL12/23] et le secukinumab [inhibiteur d’IL17]). L’etanercept est une protéine de fusion, tandis que les 4 autres molécules sont des anticorps monoclonaux humains. Une nouvelle molécule est par ailleurs depuis peu disponible : il s’agit de l’apremilast, un inhibiteur de la phosphodiestérase 4, administré par voie orale.
Une femme de 32 ans, atteinte de psoriasis depuis l’âge de 15 ans, a été traitée par méthotrexate, ciclosporine et photothérapie PUVA. Malgré ces traitements, la maladie reste sévère (BSA> 30% et score de sévérité du psoriasis PASI =33,7). Un traitement par ustekinumab est commencé en août 2012 (injection trimestrielle). En janvier 2013, le psoriasis est amélioré de façon spectaculaire : le score PASI est de 2,4. Suite à un oubli de prise de contraception, la patiente réalise un test de grossesse en avril 2013. Il est positif et sa grossesse est évaluée à 16 semaines d’après le dosage de béta HcG. La dernière injection date de février 2013. Le traitement biologique est suspendu et la patiente accouche à 38 semaines d’une petite fille de 2,8 kg, en bonne santé. Le psoriasis s’aggrave durant la grossesse et est contrôlé par des dermocorticoïdes et une photothérapie aux UVB. Devant l’étendue des lésions, l’ustekinumab est repris après l’accouchement et permet à nouveau un contrôle rapide de sa maladie cutanée. L’enfant a actuellement 2 ans et 4 mois et est en bonne santé.
Le psoriasis s’améliore généralement durant la grossesse grâce aux changements immunologiques qui permettent à la mère de tolérer le fœtus. Cette amélioration est retrouvée chez un peu plus de 50% des patientes. 16-21% n’observent pas de changements et 23-24% connaissent une aggravation de leur maladie (3).
Les recommandations classiques de traitements durant la grossesse sont en première ligne l’application de dermocorticoïdes, en deuxième ligne (pour les psoriasis modérés à sévères) l’adjonction d’UVB et en troisième ligne les inhibiteurs du TNF, les corticoïdes systémiques et la ciclosporine (4). Le méthotrexate et l’acitrétine sont formellement contre-indiqués durant la grossesse. La Food and Drug Administration (FDA) détermine différentes catégories de médicaments à risque durant la grossesse (tableau 1). Les UVB reconnus comme sans risque pour la grossesse ne sont pas classés dans les catégories FDA.
En ce qui concerne l’usage des biologiques, les cinq médicaments (etanercept, infliximab, adalimumab, ustekinumab, secukinumab) doivent être arrêtés avant la grossesse, selon les notices des firmes pharmaceutiques. Il en va de même avec l’aprémilast. Les cinq premiers traitements sont tous classés en catégorie B de la FDA, ce qui signifie qu’il n’y a pas de risque fœtal démontré dans les études animales mais qu’il n’y a pas d’études contrôlées chez la femme (4,5). En cas de grossesse non planifiée, la plupart des patientes arrêtent le biologique lors de la confirmation de la grossesse (6). Les données concernant l’exposition aux biologiques durant la grossesse sont progressivement disponibles, principalement grâce aux registres des maladies inflammatoires articulaires et digestives (7). Ces données montrent que le taux de malformation après exposition à des biologiques durant le premier trimestre de grossesse (3%) est plus bas que celui attendu dans la population générale (8,9). Par ailleurs, il n’y pas eu jusqu’à présent de description de malformations spécifiques ou de syndrome polymalformatif liés à la prise de biologiques (7,10-11). Ces données ne concernent pas l’ustekinumab et le secukinumab, qui sont trop récents.
En ce qui concerne l’ustekinumab, l’exposition durant la grossesse chez l’animal n’a pas montré de toxicité pour la mère, le fœtus ou le bébé (12). Il y a cependant très peu de cas rapportés de grossesse sous ustekinumab : six enfants nés à terme, en bonne santé (13-17) et un avortement spontané (18).
Quant à l’apremilast, il est classé en catégorie C de la FDA. Les études chez l’animal montrent une augmentation des avortements dose dépendante (19).
Le passage transplacentaire des biologiques est assez spécifique et est fonction de sa nature. D’une part, il y a l’etanercept, une protéine de fusion qui diffuse peu dans le placenta (20). Les concentrations d’etanercept dans le sang du cordon (après un traitement durant toute la grossesse) sont de 4 à 7% de celles dans le sang maternel (20,21). D’autre part, les autres biothérapies sont des anticorps monoclonaux IgG1. Ces anticorps ne passent pas par diffusion à travers le placenta mais nécessitent un transport actif via les récepteurs Fc des trophoblastes. Ces récepteurs ne sont pas présents avant 14 semaines de grossesse. Il n’y donc pas de passage transplacentaire de ces anticorps monoclonaux durant le premier trimestre, ce qui est donc le cas de notre patiente. Le transport actif des immunoglobulines débute au deuxième trimestre pour augmenter rapidement durant le troisième trimestre. La demi-vie des immunoglobulines est par ailleurs beaucoup plus longue chez l’enfant que chez l’adulte (22-23). Dès lors les taux de ces immunoglobulines sont beaucoup plus élevés dans la circulation fœtale que maternelle. Les pourcentages par rapport au sérum maternel sont selon les études de 160% pour l’infliximab (24) et de 153% pour l’adalimumab (25). Pour l’ustekinumab, cette donnée n’a pas encore été publiée. Toutefois Martin et al. (12) ont montré dans une étude animale sur des macaques cynomolgus que l’ustekinumab restait décelable dans le sang infantile jusqu’à 120 jours post-partum.
En se basant sur ces données, l’etanercept semble donc être le biologique le plus sûr à utiliser durant la grossesse (26).
Un des risques importants de ce passage placentaire est d’entraîner une immunosuppression chez l’enfant, avec un risque accru d’infections. Un enfant né d’une mère sous infliximab pour maladie de Crohn durant sa grossesse est décédé d’une infection au bacille de Calmette-Guérin suite à une vaccination BCG (27). Dès lors, il est contre-indiqué d’administrer des vaccins vivants chez des enfants dont la mère a été exposée à des biologiques durant la grossesse et ce, jusque 6 mois postpartum, le temps nécessaire à la disparition sérique de l’anticorps (28). Les vaccins de routine non vivants ne posent quant à eux pas de problème, et la réponse immunitaire vaccinale est normale (29).
Au vu de ce risque d’immunosuppression, il est conseillé de limiter l’usage des biologiques aux 30 premières semaines de grossesse en cas de psoriasis sévère difficile à contrôler par d’autres traitements (25).
Suite à la description d’un enfant né à terme et en bonne santé après une grossesse exposée à l’ustekinumab au premier trimestre, une revue de littérature a été faite. Celle-ci nous a permis d’avoir une vue plus claire sur l’administration des biologiques chez la femme enceinte atteinte de psoriasis sévère.
L’exposition imprévue à des biologiques durant le premier trimestre de grossesse semble sans risque au vu de l’ensemble des données collectées. En ce qui concerne plus spécifiquement l’ustekinumab, il y a peu de données disponibles. Toutefois son mécanisme de passage actif transplacentaire par les récepteurs Fc est absent durant le premier trimestre (comme pour tous les anticorps monoclonaux), ce qui est une donnée très rassurante.
En cas de psoriasis sévère chez une femme enceinte, le traitement de choix reste l’association de dermocorticoïdes et d’UVB. Néanmoins, si une patiente est sous traitement biologique pour un psoriasis sévère difficile à contrôler, il est envisageable de poursuivre celui-ci jusqu’à 30 semaines de grossesse (26). Au-delà de cette date le passage transplacentaire est maximal (à l’exception de l’etanercept) et le risque d’immunosuppression du nouveau-né augmente fortement. Ce dernier ne pourra en aucun cas recevoir de vaccin vivant avant l’âge de 6 mois. L’étanercept reste par ailleurs le biologique le plus sûr pendant la grossesse.
Dr. H. Fierens
Clinique Générale Saint Jean
Chef de Service Service de Dermatologie
Boulevard du Jardin Botanique 32
B-1000 Bruxelles
Pr. Marie Baeck
Cliniques universitaires Saint-Luc
Chef de Service Service de Dermatologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
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