Troubles érectiles : Symptôme sentinelle d’une pathologie cardiovasculaire infra clinique ou débutante ?

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Thierry Roumeguère Publié dans la revue de : Octobre 2016 Rubrique(s) : Pathologie sexuelle masculine
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Résumé de l'article :

La dysfonction érectile (DE) affecte des millions d'hommes dans le monde entier avec des implications qui vont bien au-delà de l'activité sexuelle. La DE est reconnue comme un marqueur précoce de maladies cardiovasculaires et du diabète sucré. Elle est un élément important de la qualité de vie, mais elle confère également un risque indépendant de potentiels futurs événements cardiovasculaires, similaire aux facteurs de risque traditionnels.

La maladie coronarienne est souvent plus sévère chez les patients atteints de dysfonction érectile par rapport aux patients sans DE. Une importance particulière est le risque accru d'un événement cardiaque chez les hommes atteints de dysfonction érectile âgés de 50 ans ou moins. La prévention de l'artériosclérose devrait être une cible thérapeutique de choix, en particulier chez les patients où l'urgence est liée à l'âge. Les modifications des causes réversibles ou des facteurs de risque à la base de la pathogénie de l'athérosclérose restent la première approche vers l'amélioration de la fonction endothéliale qui fait le lien entre DE et pathologie cardiovasculaire. Les praticiens doivent pouvoir prévenir et identifier des maladies cardiovasculaires dont la DE pourrait être un symptôme d’alarme.

Que savons-nous à ce propos ?

La dysfonction érectile affecte des millions d'hommes dans le monde entier avec des implications qui vont bien au-delà de l'activité sexuelle. La DE est reconnue comme un marqueur précoce de maladies cardiovasculaires.

Que nous apporte cet article ?

Revue de la littérature sur le rôle de signal d’alarme potentiel de la dysfonction érectile d’origine vasculaire quant à la survenue de maladie cardiovasculaire ultérieure et intérêt de la prévention.

Mots-clés

Troubles érectiles, pathologie cardiovasculaire, symptôme d’alarme, prévention

Article complet :

La dysfonction érectile (DE) affecte des millions d’hommes dans le monde entier avec des implications qui vont bien au-delà de l’activité sexuelle. La DE est principalement une maladie vasculaire, coexiste souvent avec des maladies cardiovasculaires (CVD) et partage des facteurs de risque communs, tels que le syndrome métabolique, l’hyperlipidémie, le tabagisme, la consommation excessive d’alcool et le comportement sédentaire (1)

La DE est maintenant reconnue comme un marqueur précoce de maladies cardiovasculaires, de diabète sucré et de dépression (2). Elle est un élément important de la qualité de vie, mais elle confère également un risque indépendant de futurs événements cardiovasculaires (3, 4). Une période de temps habituelle de 2 à 5 ans est rapportée entre le début de la dysfonction érectile chez les hommes sans CVD connue et un événement cardiovasculaire (5, 6, 7). En outre, il semble que la DE soit un facteur prédictif de la maladie artérielle périphérique et d’accident vasculaire cérébral (8, 9). Elle offre donc aux praticiens une occasion d’évaluation du risque cardiovasculaire (10). La DE incidentelle a une valeur prédictive du risque de survenue d’événements cardiovasculaires similaire aux facteurs de risque traditionnels, tels que les antécédents familiaux d’infarctus du myocarde, le tabagisme et l’hyperlipidémie (11, 12). La maladie coronarienne est souvent plus sévère chez les patients atteints de dysfonction érectile par rapport aux patients sans DE (13). Pour cette raison, les patients qui cherchent un traitement pour la dysfonction sexuelle ont une prévalence élevée de maladies cardiovasculaires présentant un risque vital (14).

La gestion des patients atteints de dysfonction érectile en fonction du risque de survenue d’événements cardiovasculaires futurs semble pouvoir être proposée (15,16).

DYSFONCTION ENDOTHÉLIALE

La dysfonction endothéliale est le précurseur des lésions d’athérosclérose (17). Le principal lien entre DE, CVD et les facteurs de risque reconnus est l’endothélium vasculaire, qui joue un rôle fondamental dans la régulation de la circulation. Cette association est provoquée par une altération de la relaxation endothélium-dépendante des cellules musculaires lisses dans les corps caverneux, ce qui nuit à la perfusion du pénis (18). La dysfonction endothéliale peut être démontrée chez les patients présentant des facteurs de risque cardiovasculaire et a été retrouvée chez les hommes avec DE sans aucune CVD (19).

Étant donné que les cellules endothéliales recouvrent les espaces sinusoïdaux dans le tissu caverneux, il est logique que l’impuissance vasculaire présente la même physiopathologie que d’autres maladies vasculaires. Cela est en outre corroboré par une implication pathogène similaire de la voie de l’oxide nitrique (NO) (20). Dans le cadre de l’amélioration de l’oxygènation, les nerfs autonomes qui favorisent la dilatation et l’endothélium sont capables de stimuler la formation de NO et la médiation de la relaxation du muscle lisse trabéculaire. Les récepteurs de l’endothéline diminués dans le corps caverneux pourraient réduire la production de NO et pourrait être l’une des explications pour le développement d’une DE. À des concentrations faibles en oxygène, mesurée à l’état flaccide du pénis, la synthèse de NO est inhibée (21). Hors, le pénis est le seul organe qui passe d’une concentration d’oxygène équivalente à celle retrouvée dans du sang veineux à une concentration artérielle d’oxygène au cours de son fonctionnement normal. Une concentration critique d’oxygène inférieure pourrait altérer l’activité cellules endothéliales, mais également réduire la teneur en muscle lisse et diminuer l’élasticité du pénis avec un taux plus élevé de collagène tissulaire (22, 23).

THEORIE DU DIAMÈTRE DES VAISSEAUX

Le lien entre DE et les événements cardiaques ultérieurs comprend également l’hypothèse de la taille des artères. Les manifestations cliniques de maladies vasculaires apparaissent rarement en même temps, parce que les artères alimentant divers régions ou organes ont des tailles différentes. Ainsi, l’obstruction de la lumière d’une artère pénienne constituerait un risque mineur d’obstruction importante du flux sanguin dans les artères coronaires ou périphériques, en raison de leur plus grande taille (24, 25).

IMPORTANCE DE L’ÂGE ET DU DIABÈTE

Des données probantes permettent de considérer la DE comme un signe avant-coureur particulièrement important de maladies cardiovasculaires dans 2 populations : les hommes de moins de 60 ans et ceux atteints de diabète

Un risque accru de survenue d’un événement cardiaque chez les hommes âgés de 50 ans ou moins présentant une DE a été rapporté avec une incidence d’événements cardiovasculaires 7 fois supérieure à celle retrouvée dans une population de référence (26).

Inman et al. ont étudié un échantillon aléatoire de plus de 1400 hommes ayant une activité sexuelle régulière et pas de CVD connue. Sur une période de suivi de 10 ans, un dépistage de la présence d’une DE a été réalisé tous les deux ans (27). Les prévalences de l’ED étaient respectivement de 2%, 6%, 17%, et 39% pour les hommes de 40 à 49 ans, 50 à 59 ans, 60 à 69 ans et ≥70 ans. En l’absence de DE, l’incidence de CVD pour 1000 personne-an étaient respectivement de 0,94 (40-49 ans), 5,09 (50-59 ans), 10,72 (60 -69 ans), et 23.30 (≥70 ans). Pour les hommes atteints de dysfonction érectile, cette incidence augmentait à 48,52 (40-49 ans), 27.15 (50-59 ans), 23,97 (60-69 années), et 29,63 (≥70 ans) (figure). Ces données suggèrent que la dysfonction érectile chez les hommes plus jeunes est associée à une augmentation marquée du risque d’événements cardiaques futurs, alors que chez les hommes plus âgés, l’importance pronostique de la dysfonction érectile est moindre.

Riedner et al. ont réalisé une étude cas-témoins impliquant 242 hommes (âge moyen, 58 ans) adressés pour une coronarographie (28). 114 hommes avaient une maladie coronarienne significative (CAD), définie par une sténose de 50% ou plus dans 1 des principaux vaisseaux épicardiques. Ils présentaient un risque significativement plus élevé de présenter une DE que ceux sans CAD (p = 0,009). Cependant, la CAD n’a pas été associée à une probabilité accrue de trouble érectile chez les hommes de 60 ans ou plus (p = 0,5). Ces études soutiennent la présence d’une DE comme un puissant indicateur du risque cardiovasculaire chez les hommes dans leur troisième, quatrième, cinquième et sixième décennies et suggèrent que son dépistage pourrait être un moyen précieux pour identifier les hommes jeunes et d’âge moyen qui sont candidats à l’évaluation des risques cardiovasculaires et à une éventuelle intervention médicale adaptée.

Des études sont nécessaires pour déterminer si la DE est un facteur prédictif de maladies cardiovasculaires chez les diabétiques comparé aux patients non diabétiques mais plusieurs études indiquent que les hommes diabétiques avec DE sont plus à risque cardiovasculaire. Dans une analyse de cohorte, plus de 6300 hommes (âge moyen 66 ans) présentant un diabète sucré de type 2 (DM2) ont participé à un examen médical de base qui comprenait une évaluation de la présence d’un éventuel trouble érectile (29). Les incidences des résultats mortels et non mortels par CVD ont été enregistrées sur une période de suivi de 5 ans. Après ajustement pour les facteurs de risque de CVD classiques, la présence d’une DE de base a été associée de façon significative à un risque accru pour tous les événements cardiovasculaires (HR, 1,19), maladie coronarienne (HR, 1,35), et les maladies cérébro-vasculaires (HR, 1,36).

Ces conclusions renforcent l’affirmation selon laquelle les symptômes de la dysfonction érectile doivent être indépendamment recherchés afin d’identifier les sujets à haut risque pour leurs proposer une évaluation cardiovasculaire. La littérature soutient clairement un plus grand risque cardiovasculaire chez les diabétiques atteints de dysfonction érectile. Ainsi, tous les hommes avec DM2 et nouvelle apparition d’une DE devraient subir une évaluation approfondie de leurs risques cardiovasculaires.

Le lien est assez fort pour justifier l’affirmation que les hommes avec DE doivent être considérés comme des patients cardiovasculaires, sauf preuve contraire. La présence d’une DE, surtout chez les hommes âgés de 30 à 60 ans, devrait alerter le médecin de la possibilité de risque de maladie cardiovasculaire accru et une attitude pro active viserait à modifier ce risque. L’évaluation d’un trouble érectile doit tenir compte de la sévérité de la DE car elle a été associée à un risque accru d’événements cardiovasculaires majeurs et à l’étendue des maladies cardiovasculaires (29, 30, 31).

La prévention de l’athérosclérose devrait être une cible thérapeutique de choix, en particulier chez les patients les plus jeunes. L’intervalle de temps entre les symptômes de DE et la CVD est un facteur important à prendre en compte car il fournit une occasion pour le diagnostic précoce, le traitement et la prévention.

ÉVALUATION DE LA FONCTION ENDOTHÉLIALE

L’inflammation est importante dans l’athérosclérose précoce. Plusieurs marqueurs inflammatoires, comme l’interleukine-6, facteur de nécrose tumorale-α ou la protéine C-réactive (CRP) ont été associés à une fonction endothéliale altérée, des événements cardiovasculaires et une dysfonction érectile.

Les taux de CRP élevés ont également été trouvés dans une corrélation significative avec une DE vasculaire telle que mesurée par Doppler pénien (32). Mais à l’exception de la CRP, la plupart des marqueurs ne sont pas couramment exécutés dans nos laboratoires, et ils peuvent aussi être élevés dans une multitude d’autres processus inflammatoires. L’Endothéline-1 (ET-1) est un puissant vasoconstricteur et peptide pro inflammatoire associé à la dysfonction endothéliale, l’inflammation. Des marqueurs sériques étudiés, ET-1 est probablement celui qui est le plus proche d’atteindre une pertinence clinique (33). Cela souligne l’importance de l’inflammation dans l’athérosclérose précoce (34).

Lorsque l’endothélium est endommagé, les cellules progénitrices endothéliales circulantes (cEPCs) sont activées dans la circulation sanguine à partir de la moelle osseuse et se transforment en cellules endothéliales qui aident à réparer le site de la blessure (35). Ce processus, appelé vasculogénèse, est altéré (faibles niveaux de cEPCs) dans les cas de DE et de CVD. (36, 37). La détermination des taux de cEPCs en cytométrie de flux n’est actuellement pas disponible en pratique courante.

L’épaisseur intima-média (IMT) de l’artère carotide commune est mesurée après la visualisation par échographie. L’IMT est en adéquation avec d’autres mesures de la fonction endothéliale et est corrélée avec la présence d’un trouble érectile. Son interprétation est entravée par des mesures peu reproductibles liées à variabilité de l’opérateur (38).

La dilatation de l’artère humérale (FA) médiée par le flux : la résistance rencontrée dans l’artère brachiale avec évaluation échographique est devenue la norme la plus largement publiée dans l’évaluation de la dysfonction endothéliale. En bref, l’occlusion artérielle avec un brassard de pression sanguine pendant 5 minutes et la libération ultérieure conduit à une hyperémie réactive et à l’activation endothéliale locale. Lorsque cela est réalisé sur le bras du patient, l’augmentation de la contrainte de cisaillement conduit à une dilatation endothélium-dépendante de l’artère brachiale, qui peut être mesurée et quantifiée par ultrasons. Les résultats peuvent ensuite être comparés à la dilatation de l’endothélium provoquée par l’administration de nitroglycérine. La fonction endothéliale de l’artère brachiale, telle que mesurée a longtemps été fermement lié à la fonction endothéliale coronaire (39). De nombreuses études ont ainsi permis de corréler trouble de la fonction endothéliale et DE sans signe de CVD manifeste (40, 41, 42). Bien que non invasive et largement publiée pour évaluer la fonction endothéliale, des problèmes de reproductibilité persistent. Les résultats sont très dépendants de l’opérateur et peuvent être confondus par les variations de diamètre de base de l’artère brachiale.

Une méthode plus récente d’évaluation de la fonction endothéliale artérielle périphérique par tonométrie mesure là encore une hyperémie réactive (RH-PAT). Cette technique en cabinet utilise une sonde de doigt pour évaluer les changements de volume numériques accompagnant des ondes pulsées après l’induction de l’hyperémie réactive avec un brassard de pression artérielle sur le bras supérieur (43).

Les modifications des causes réversibles ou des facteurs de risque à la base de la pathogenèse de l’athérosclérose restent la première approche vers l’amélioration de la fonction endothéliale. Associée à une exposition chronique aux PDE5-I, elles pourraient améliorer l’ED et prévenir certains accidents cardiovasculaires (44).

En tant que premier point de contact médical pour les hommes présentant des symptômes de dysfonction érectile, le médecin généraliste parmi tous les autres praticiens, a une occasion unique d’identifier les patients qui nécessitent une intervention précoce pour prévenir les maladies cardiovasculaires (45).

Le consensus de Princeton, a axé son évaluation sur la gestion du risque cardiovasculaire chez les hommes atteints de dysfonction érectile sans maladie cardiovasculaire connue, avec un accent particulier sur l’identification des hommes avec DE pouvant bénéficier d’une prise en charge cardiologique adaptée (46,47).

Il est important de considérer une DE comme un symptôme et ne pas se contenter de la DE maladie telle que rapportée par les patients en consultation. Les patients atteints de dysfonction érectile ont un risque plus élevé de développer des maladies cardiovasculaires. La DE est souvent d’origine vasculaire et doit être considérée comme un symptôme sentinelle d’une pathologie cardiovasculaire. Une évaluation clinique et biologique appropriée pour les facteurs de risque cardiovasculaire doit être envisagée. La réduction alimentaire des lipides sériques et l’activité physique sont probablement le traitement de première ligne. Une adoption rapide d’un style de vie sain peut être la meilleure approche pour réduire le fardeau de la dysfonction érectile sur la santé et le bien-être des hommes. Comme la dysfonction endothéliale est un lien important entre DE et maladies cardiovasculaires, l’inhibition de la PDE5 comme traitement de première ligne de la DE peut améliorer la fonction endothéliale en amplifiant la réponse des muscles lisses vasculaires à NO.

Il faut donc encourager les hommes ayant des problèmes d’érection à consulter avec en corollaire l’opportunité pour les praticiens de diagnostiquer précocement des facteurs de risque de pathologies maladies cardiovasculaires, dont la DE pourrait être un premier symptôme. Cela permet une intervention précoce une amélioration des résultats du traitement, une réduction de la morbidité et de la mortalité des maladies cardiovasculaires tout en pouvant réduire les coûts des soins de santé.

Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si l’amélioration de la fonction érectile pourrait servir de mesure de l’efficacité thérapeutique des interventions préventives des pathologies cardiovasculaires.

Recommandations pratiques

Il faut encourager les hommes ayant des problèmes d’érection à consulter avec en corollaire l’opportunité pour les praticiens de diagnostiquer précocement des facteurs de risque de pathologies cardiovasculaires, dont la DE pourrait être un premier symptôme. Une intervention précoce peut permettre une amélioration des résultats du traitement, une réduction de la morbi-mortalité des maladies cardiovasculaires tout en réduisant les coûts des soins de santé. Les troubles de l’érection représentent une fenêtre d’opportunités pour prévenir les conséquences des maladies cardiovasculaires.

Note : pas de conflit d’intérêt

Correspondance

Pr. Thierry Roumeguère
Service d’Urologie
Cliniques Universitaires de Bruxelles
Hôpital Erasme, ULB
Route de Lennik 808
1070 Bruxelles
Tel/Fax : +32 2 555 36 14/36 99
Thierry.roumeguere@erasme.ulb.ac.be

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