INTRODUCTION
La route est encore longue pour nos patients atteints d’un cancer métastatique mais chaque mois qui passe leur apporte plus d’espoir suite à l’avènement de nouveaux médicaments efficaces. Notre arsenal thérapeutique s’est encore étoffé en 2016 et le pronostic de certains cancers ou sous-types de cancers change favorablement. Nous pouvons classer nos médicaments en trois grandes catégories différentes : la chimiothérapie qui s’attaque à toutes les cellules se divisant ; les thérapies ciblées qui comme leur nom l’indique ciblent des protéines impliquées dans la carcinogenèse des cancers ; et enfin l’immunothérapie qui va activer les propres défenses immunitaires du patient afin de détruire son cancer.
NOUVEAUTÉS DANS LES THÉRAPIES CIBLÉES
Les Inhibiteurs CDK4/6 dans le cancer du sein métastatique
La prolifération cellulaire incontrôlée est l’une des caractéristiques majeures du cancer. La dérégulation du contrôle du cycle cellulaire et l’activation de kinases dépendant des cyclines (CDKs) promeut la progression dans le cycle cellulaire. En particulier, les CDK4/6 jouent un rôle important dans la transition de la phase G1 vers la phase S (1). Trois inhibiteurs sélectifs de CDK4/6 sont actuellement en cours de développement : le palbociclib, le ribociclib et l’abemaciclib. Ils sont tous administrés par voie orale.
Cette année, deux études de phase III ont démontré que l’ajout d’un inhibiteur de CDK4/6 à une hormonothérapie augmentait la survie sans progression (PFS) des patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique naïf de tout traitement. L’étude Paloma-2 a ainsi démontré que les patientes traitées avec une combinaison de letrozole et de palbociclib (Ibrance®, Pfizer) avaient une PFS médiane de 24,8 mois, ce qui constitue une amélioration statistiquement significative par rapport aux 14,5 mois obtenus avec le letrozole seul (HR = 0,58, p<0,000001) (2). Des résultats similaires ont été obtenus avec le ribociclib dans l’étude Monaleesa-2 : en effet, les patientes traitées par letrozole seul avaient une PFS médiane de 14,7 mois (très similaire au bras contrôle de l’étude Paloma-2), alors que la PFS médiane n’était pas encore atteinte pour les patientes traitées par une combinaison de letrozole et de ribociclib (HR = 0,56, p<0,000001) (3). Les effets secondaires induits par ces deux molécules sont très modérés, et consistent essentiellement en une neutropénie, très rarement fébrile (moins de 2% des patientes).
L’engouement de la communauté oncologique pour cette nouvelle classe thérapeutique est grand, puisqu’il s’agit là d’un traitement très efficace et peu toxique. Il faut toutefois noter que les données générées jusqu’à présent n’ont pas encore démontré d’avantage en survie globale pour ces molécules. Actuellement, le palbociclib et le ribociclib sont disponibles en Belgique dans le cadre d’un programme d’usage compassionnel pour le premier et d’une étude de phase IIIb pour le second. L’abemaciclib est quant à lui encore en cours d’étude vs placebo dans des protocoles de phase III. La question du coût de ces traitements sera très prochainement à l’ordre du jour en Belgique, et on estime que ces molécules seront commercialisées à un prix d’environ 4.000 EUR par mois. Etant donné que tous les sous-groupes de patientes tirent un bénéfice de ce traitement, il sera très difficile de restreindre l’accès à ces molécules sur base d’arguments scientifiques. Il s’agit là d’un challenge qui se pose pour un nombre croissant de nouveaux médicaments en oncologie : de plus en plus efficaces, nos traitements coûtent de plus en plus cher ; des approches pharmaco-économiques innovantes vont assurément devoir être mises au point pour relever ce défi !
Les Inhibiteurs PARP dans le cancer de l’ovaire
Les voies de réparation de l’ADN sont essentielles pour les cellules tumorales. Les protéines BRCA1 et BRCA2 jouent un rôle crucial dans la voie de réparation de l’ADN de type « recombinaison homologue » (HR). Cette voie de réparation de l’ADN est déficiente en cas d’inactivation de BRCA1 ou BRCA2, ce qui est systématique dans les cellules tumorales de patients porteurs d’une mutation constitutionnelle, c.-à-d. héréditaire, sur les gènes BRCA1 ou BRCA2. Mais cela peut aussi survenir dans des cellules tumorales de patients qui ne sont pas porteurs d’une prédisposition héréditaire au cancer du sein ou de l’ovaire. Cette inactivation de BRCA1 ou BRCA2, quelle qu’en soit la cause, rend donc inefficace dans les cellules tumorales la voie de réparation de l’ADN HR, mais il persiste encore la voie de réparation « Base Excision Repair » (BER). Lorsque les cellules tumorales sont endommagées par la chimiothérapie, elles peuvent encore réparer leur ADN par cette seconde voie et de la sorte résister au traitement. De nouveaux traitements, les inhibiteurs de PARP (poly-ADP-ribose-polymérase), inactivent cette seconde voie de réparation de l’ADN. Trois inhibiteurs de PARP sont en cours de développement : l’olaparib, le niraparib et le veliparib.
Une étude de phase 2 randomisée en double aveugle a étudié la maintenance par olaparib (Lynparza®, Astra Zeneca), un inhibiteur de PARP administré par voie orale, chez des patientes atteintes d’un cancer de l’ovaire séreux de haut grade ayant déjà reçu au moins 2 lignes de traitement par platine et restant en réponse partielle ou complète après le dernier traitement par platine (4). Dans cette étude, les patientes porteuses d’une mutation sur les gènes BRCA1 et BRCA2 et ayant été traitées par olaparib avaient une survie sans progression de 11,2 mois vs. 4,3 mois pour les patientes sous placebo.
L’étude ENGOT-OV16 de phase III a étudié la place du niraparib comme traitement de maintenance chez les femmes ayant un cancer de l’ovaire récidivant et répondant aux sels de platine. Plus de 500 patientes ont été randomisées entre le niraparib et un placebo, qu’elles soient porteuses ou non d’une mutation germinale de BRCA1/2 (5). Le bénéfice en terme d’augmentation de la survie sans progression est plus important chez les femmes porteuses d’une mutation (PFS médiane de 21,0 vs 5,5 mois, HR=0,27, p<0,0001) ce qui était attendu, mais il existe aussi un bénéfice pour les femmes non mutées (PFS médiane de 9.3 vs 4.3 mois, HR=0,45, p<0,0001). C’est la première fois qu’un tel bénéfice est observé dans cette maladie. Ceci légitime l’étude PRIMA dans laquelle le niraparib est proposé aux patientes comme traitement de maintenance en première ligne après une chimiothérapie et une chirurgie de cytoréduction maximale.
NOUVEAUTÉS EN IMMUNOTHÉRAPIE
L’Immunothérapie : toujours mieux dans le traitement du mélanome
Nous avons tous des lymphocytes capables de reconnaître et de détruire des tumeurs. Nous savons que toutes les tumeurs sont antigéniques et immunogéniques. Cependant, les lymphocytes anti-tumoraux ne parviennent pas à tuer la tumeur de nombreux patients. L’analyse des mécanismes de résistance au système immunitaire a permis d’identifier plusieurs mécanismes. L’inhibition des lymphocytes T via l’interaction CTLA-4 et B7 ainsi que celle de PD1 et PD-L1 en est un (figure1). Des anticorps bloquant ces interactions ont été développés et testés chez des patients atteints de différents cancers avec succès.
L’ipilimumab (Yervoy®, BMS) est un anticorps monoclonal humanisé dirigé contre une protéine appelée CTLA-4. Celle-ci est induite sur les lymphocytes T après leur activation, et bloque cette dernière, agissant comme un feed-back négatif empêchant ces lymphocytes d’être activés trop longtemps, ce qui serait susceptible d’entraîner à la longue des dommages tissulaires ou des réactions auto-immunes. L’inhibition de CTLA-4 par l’Ipilimumab restaure et prolonge l’activation des lymphocytes T. Un autre mécanisme d’action est l’élimination par ADCC (Antibody-Dependent Cell-mediated Cytotoxicity) des lymphocytes T suppresseurs exprimant de façon constitutive du CTLA-4 à leur surface. Cet anticorps administré par perfusion induit des réponses cliniques chez 10 à 20 % des malades atteints de mélanome métastatique (6,7). Des réponses complètes de longue durée ont été observées (8). Dix-huit pourcent des patients sont encore en vie après 5 ans. Cette année, il a été démontré que l’ipilimumab pouvait augmenter de 11% la survie à 5 ans des patients atteints d’un mélanome de stade 3 traité par chirurgie mais à haut risque de récidive (65,4% vs 54,4%, HR=0,72, p=0,001) (9). L’Ipilimumab est associé à des effets secondaires parfois sévères, qui sont auto-immuns, tels que des colites ulcéreuses, des hépatites et des insuffisances endocriniennes. Il est important de les connaître et de les reconnaître pour pouvoir les traiter précocement et, dès lors, éviter de menacer le pronostic vital du patient traité.
L’ipilimumab n’est plus le traitement standard en première intention pour des patients avec un mélanome métastatique. Le pembrolizumab (Keytruda®, MSD) et le nivolumab (Opdivo®, BMS) sont deux anticorps monoclonaux bloquant l’interaction entre PD-1 et PD-L1. PD-1 est exprimé sur les lymphocytes T activés au niveau du site tumoral. L’activation des lymphocytes induit la sécrétion d’interféron qui va conduire à l’expression de PD-L1 sur les tumeurs. L’interaction de PD-1 et PD-L1 va conduire à l’inactivation des lymphocytes. Ces deux anticorps vont donc réactiver les lymphocytes anti-tumoraux. Leur toxicité est nettement moins importante que celle de l’ipilimumab avec principalement des dysthyroïdies. Leur efficacité clinique est supérieure à l’ipilimumab avec un taux de réponse entre 30 et 40% (10,11). Ces réponses sont durables avec une durée médiane impressionnante de 24 mois.
Depuis le 1er janvier 2017, nous pouvons utiliser la combinaison de l’ipilimumab et du nivolumab en première intention pour les mélanomes métastatiques. Cette combinaison est plus efficace que la monothérapie. La survie médiane sans progression est de 11,1 mois par rapport à 5,3 mois pour le nivolumab et 2,8 mois pour l’ipilimumab chez les patients atteints d’un mélanome métastatique exprimant faiblement PD-L1. Le taux de réponse dépasse les 50% (12). La toxicité est également plus importante avec plus d’un patient sur deux qui présente des effets secondaires graves (grade 3-4). Cette combinaison devra être réservée à des patients en excellent état général avec une maladie agressive.
L’Immunothérapie dans les autres cancers
Les patients atteints d’un cancer des voies aérodigestives supérieures (= tumeur ORL) en rechute locale ou métastatique ont un pronostic réservé (médiane de survie d’un an). Le traitement standard est, en première ligne palliative, une chimiothérapie à base de platine associée à un anticorps contre le récepteur au facteur de croissance épidermique (EGFR). Aucun traitement n’avait pu démontrer un bénéfice lorsque les patients échappaient à cette thérapeutique. Cette année plusieurs études ont démontré que des anticorps immunostimulants bloquant le récepteur PD-1 ont une efficacité clinique significative. En particulier, le nivolumab augmente significativement la durée des patients avec une meilleure qualité de vie par rapport à une chimiothérapie standard (13). De façon intéressante, 20% de ces patients auront une rémission au très long cours.
Le carcinome rénal (encore appelé hypernéphrome) est un cancer rare. Lorsque la maladie est métastatique, elle était classiquement traitée avec des inhibiteurs de l’angiogenèse ciblant le récepteur VEGF (Vascular Epithelial Growth Factor). Récemment, le cabozantinib, une thérapie ciblée orale bloquant le VEGF et également le récepteur MET, a montré qu’il permettait d’augmenter également la durée de vie de ces malades (14). En 2016, l’arsenal thérapeutique s’est enrichi du nivolumab qui augmente la survie des patients, renforçant la place de l’immunothérapie dans cette maladie (15). Grâce à ces traitements, l’espérance de vie des patients souffrant d’un carcinome rénal atteint deux à trois ans avec chez certains patients un bénéfice à très long terme.
Le cancer du poumon métastatique reste une maladie avec un pronostic sombre (survie médiane de 9 mois). Ces dernières années plusieurs thérapies ciblées ont permis d’améliorer la survie des patients avec des tumeurs exprimant des mutations dans les gènes EGFR et ALK. L’année passée, le nivolumab a montré qu’il était très efficace et moins toxique que la chimiothérapie en deuxième ligne de traitement des cancers du poumon non à petites cellules. Cette année, l’étude Keynote-024 a montré que le pembrolizumab pouvait remplacer la chimiothérapie dans les cancers du poumon non à petites cellules naïfs de tout traitement et exprimant fortement PD-L1 (>50% des cellules tumorales). La survie sans progression est augmentée de 4,3 mois (10,3 vs 6,0 mois, HR=0,50, p<0,001), et la survie globale à 6 mois passe de 72,4% à 80,2% (HR=0,60, p=0.005). Il est à noter que 44% des patients présentent une réponse complète ou partielle et que la durée médiane de cette réponse n’était pas atteinte lors de la publication des résultats (16). Ces données font du pembrolizumab un nouveau standard dans le traitement du cancer du poumon en première ligne surexprimant PD-L1.
Affiliations
Correspondance
Références
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