CAS CLINIQUE
ME est une petite fille de 2 mois et demi sans antécédent particulier qui se présente aux urgences pour un premier épisode de toux dans un contexte afébrile. L’examen clinique met en évidence de fins crépitants de fin d’inspiration et d’expiration dans les deux champs antérieurs et aux bases, ainsi que de fines sibilances polyphoniques à prédominance expiratoire. L’entrée d’air est correcte et symétrique. Elle présente un tirage intercostal léger. La saturation pulsée en oxygène (SpO2) est normale (98%). L’examen cardiovasculaire est sans particularité. Un diagnostic de bronchiolite est posé et un traitement par aérosols de NaCl 3% est instauré. Le papa la présente à nouveau 48 heures plus tard suite à l’impression d’une aggravation de sa détresse respiratoire. L’examen clinique est cependant inchangé et la SpO2 reste normale. Le traitement n’est pas modifié. Deux semaines plus tard, la patiente se présente à nouveau en raison de la persistance de la toux, accompagnée de difficultés alimentaires. L’examen clinique objective alors des signes de détresse respiratoire, sous forme de polypnée avec tirage sous-costal. L’auscultation pulmonaire est caractérisée par la présence de fines sibilances antérieures. La SpO2 est toujours normale, de même que les autres paramètres hémodynamiques. Une hospitalisation de 48h est préconisée, pendant laquelle le traitement par soins de nez au sérum physiologique et par aérosols de NaCl 3% est poursuivi. L’appétit se corrige peu à peu et la SpO2 à l’air ambiant reste normale tout au long du nycthémère.
La patiente est revue une semaine après sa sortie en consultation de suivi. La prise alimentaire est normalisée mais elle garde une détresse respiratoire. L’état général est par ailleurs préservé. L’examen clinique objective toutefois la persistance de crépitants aux deux bases et permet d’entendre pour la première fois un souffle cardiaque systolique 1 à 2/6ème au 2ème espace parasternal gauche. Les pouls fémoraux sont palpés, il n’y a pas d’hépatomégalie. La radiographie du thorax objective une cardiomégalie avec pléthore vasculaire (figure1).Une mise au point échocardiographique est réalisée dans le décours, mettant en évidence, outre un foramen ovale perméable, une insuffisance mitrale majeure avec dilatation auriculaire gauche ainsi qu’une altération importante de la contractilité ventriculaire gauche (figure 2). La fraction d’éjection est réduite à 45%. L’électrocardiogramme montre des ondes q suggestives de nécrose dans les dérivations latérales.
L’enfant est transféré dans un service universitaire de soins intensifs.
L’échocardiographie avec Doppler couleur y confirme l’insuffisance mitrale (figure 3) et démontre la présence d’un flux rétrograde au niveau de l’ostium coronaire gauche, raison pour laquelle un cathétérisme cardiaque est réalisé. Ce dernier met en évidence une coronaire droite dominante, perfusant à contre sens l’artère interventriculaire antérieure, dont l’origine est située au sein du sinus pulmonaire postérieur (figure 4), correspondant à l’entité nosologique dénommée ALCAPA soit l’acronyme anglais pour Anomalie de Naissance de l’Artère Coronaire Gauche à partir de l’Artère Pulmonaire (Anomalous Left Coronary Artery from Pulmonary Artery). Un traitement par diurétiques et inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine est instauré vu l’insuffisance cardiaque. Un traitement antiagrégant prophylactique par aspirine est également mis en place. La réimplantation chirurgicale de la coronaire gauche est effectuée quelques jours plus tard. Les suites opératoires sont simples, la détresse respiratoire cède rapidement, et l’enfant est autorisée à regagner son domicile après quelques jours. Lors de la consultation de contrôle réalisée 6 mois plus tard, l’évolution clinique et échographique de la patiente est favorable. En particulier, la contractilité myocardique s’est améliorée avec une fraction d’éjection du ventricule gauche mesurée à 65 %.
Le cas ci-dessus illustre l’importance d’un examen clinique complet devant toute détresse respiratoire, en particulier chez le nourrisson. Il souligne également la nécessité de rechercher une pathologie sous-jacente, en particulier cardiaque, devant une évolution inhabituelle ou un signe d’appel (souffle cardiaque).
DISCUSSION
L’ALCAPA, aussi connu sous le nom de syndrome de Bland-White-Garland (1), est une malformation cardiaque rare, affectant un enfant sur 300.000 (2). Elle représente 0,25% à 0.5% des atteintes cardiaques congénitales, mais est néanmoins l’anomalie coronaire congénitale la plus fréquente. L’anomalie est souvent isolée mais peut être associée dans 5% des cas à d’autres anomalies cardiaques. Elle se caractérise par une perfusion cardiaque dépendant de manière prépondérante de l’artère coronaire droite. La coronaire gauche naissant de l’artère pulmonaire, soit vascularise le myocarde ventriculaire gauche par du sang pauvre en oxygène susceptible dès lors d’induire des lésions d’ischémie à l’effort (3), soit est perfusée de façon rétrograde à partir de la coronaire droite et se vide dans l’artère pulmonaire lorsque les pressions pulmonaires baissent, entrainant un vol coronaire.
Il existe deux formes d’ALCAPA.
La première se caractérise par l’absence de circulation collatérale entre la coronaire droite et la coronaire gauche, et est responsable dans les premiers mois de vie d’une ischémie myocardique engendrant une insuffisance cardiaque, qui, en l’absence de correction chirurgicale, donne lieu au décès dans 90% des cas (4).
Cette malformation, bien que congénitale, est asymptomatique in utero et dans les premières heures de vie. Elle se manifeste plus tard, du fait de la diminution post-natale des pressions pulmonaires, qui a pour effet d’engendrer un flux rétrograde au sein de l’artère coronaire gauche et favorise donc l’ischémie myocardique (5). L’âge lors du diagnostic se situe le plus fréquemment aux alentours de 2 mois de vie. Les infections des voies respiratoires peuvent jouer le rôle de facteur déclenchant, via une majoration des besoins myocardiques en oxygène (6).
Le mode de présentation le plus fréquent (75% des cas) est la décompensation cardiaque dans la petite enfance, évoquée par des signes tels l’irritabilité, la polypnée au biberon, et l’altération de la perfusion périphérique. Ces symptômes peuvent être pris à tort pour des coliques, du reflux ou un épisode de bronchiolite (6-7)
Le tableau clinique de détresse respiratoire peut être dès lors lié à une infection respiratoire (type bronchiolite) qui entraine une augmentation du travail cardiaque et une décompensation aiguë de la fonction cardiaque ou être la manifestation clinique de la décompensation cardiaque elle-même (8-10). Dans notre cas clinique, la durée de la symptomatologie et l’absence de souffle au début de la pathologie plaident plus pour une bronchiolite initiale ayant entraîné une décompensation du problème cardiaque.
La deuxième forme, modérée, d’ALCAPA, où le réseau collatéral entre les coronaires est suffisant, est souvent diagnostiquée à l’adolescence ou à l’âge adulte, par la mise en évidence d’un souffle, d’un angor d’effort ou, dans le pire des cas, par mort subite (5).
Sur le plan paraclinique, l’électrocardiogramme (ECG) montre des signes d’ischémie au repos. L’échocardiographie peut montrer une insuffisance mitrale (par lésion ischémique des muscles papillaires) souvent pathognomonique. Toute insuffisance mitrale significative qui n’est pas associée à une anomalie congénitale de la valve ou à des antécédents de maladie cardiaque rhumatismale (RAA) doit entrainer la recherche spécifique de l’ALCAPA (11). A l’aide du Doppler couleur, on peut mettre en évidence une structure émergeant de la racine pulmonaire dans laquelle on n’observe soit aucun flux, soit un flux rétrograde. Cette image, combinée à une coronaire droite dilatée et à un flux rétrograde au site d’insertion de l’artère coronaire gauche au niveau de l’artère pulmonaire, sont les signes cardinaux de cette pathologie.
Dans les formes les plus sévères, les signes échocardiographiques, en l’absence de circulation collatérale, se résument à une insuffisance mitrale avec visualisation d’une seule coronaire et à des signes d’ischémie à l’ECG (2). Le diagnostic échographique est souvent difficile et le cathétérisme cardiaque permet de confirmer la suspicion clinique. La résonance magnétique a également été proposée et elle permet en outre de préciser l’existence ou non d’ischémie ou de fibrose sous-endocardique.
La prise en charge optimale consiste en la réimplantation de la coronaire gauche au sein de la racine aortique, ou, à défaut, en créant un tunnel intrapulmonaire dérivant le flux de l’artère coronaire gauche vers une fenêtre aorto-pulmonaire artificielle, selon la procédure dite de Takeuchi. Dans les cas où de telles procédures sont anatomiquement impossibles, ou proscrites par les comorbidités du patient, une ligature ou embolisation sélective de l’artère anormale peut contribuer à améliorer l’état clinique du patient, en entravant le vol myocardique lié à la perfusion à rebours de la coronaire gauche (12). La transplantation cardiaque s’avère nécessaire dans une minorité des cas. Lorsque le diagnostic et le traitement sont réalisés précocement, le pronostic vital à long terme approche les 85% dans les études récentes (5), la normalisation de la fonction ventriculaire s’effectuant dans la première année suivant l’intervention (3).
Recommandations pratiques
- L’examen complet de tout nourrisson se présentant aux urgences est indispensable. La découverte d’un tableau clinique classique, comme une bronchiolite, peut être associée à des facteurs favorisant ou mimant cette pathologie, notamment les pathologies cardiaques. Dans ces conditions, la découverte d’un souffle cardiaque ne doit pas être banalisée.
- Le diagnostic d’insuffisance cardiaque doit être considéré chez tout nourrisson irritable présentant des difficultés alimentaires accompagnées de pâleur ou de tachypnée. Un bilan minimal par radiographie thoracique et électrocardiogramme est recommandé.
- Le diagnostic d’ALCAPA doit être évoqué devant tout tableau de cardiomyopathie dilatée avec insuffisance mitrale et fraction d’éjection effondrée.
Affiliations
(1) Département de Pédiatrie, CHR Namur, B-5000 Namur
(2) Département de Médecine Aiguë, Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Woluwé-St-Lambert
(3) Département de Chirurgie, Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Woluwé-St-Lambert
(4) Département de Pédiatrie, Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Woluwé-St-Lambert
Correspondre
Dr Georges de Bilderling
CHR Namur
Département de Pédiatrie
Avenue Albert Ier 185
B-5000 Namur
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