Le traitement du cancer a continué à faire de grands progrès ces dernières années. Si l’incidence du cancer poursuit son augmentation, la mortalité par cancer ne cesse de décliner dans les pays développés (1).
Cette amélioration du pronostic est en partie liée aux nouvelles thérapeutiques, dont le nombre ne cesse de croître. Ainsi, sur les 27 nouveaux médicaments approuvés en 2016 par la European Medicines Agency (EMA), 8 concernaient l’oncologie (2). L’un d’entre eux en particulier concerne le cancer du sein métastatique : il s’agit du palbociclib, un inhibiteur du cycle cellulaire qui bloque les CDK4/6, importants pour la transition de la phase G1 vers la phase S (3). Cette molécule est à présent disponible en Belgique grâce à un programme d’usage compassionnel. L’enregistrement européen a été obtenu suite à la publication des résultats de l’étude Paloma-2, qui a démontré que les patientes traitées avec une combinaison de letrozole et de palbociclib avaient une survie sans progression (PFS) médiane de 24,8 mois, ce qui constitue une amélioration statistiquement significative par rapport aux 14,5 mois obtenus avec le letrozole seul (HR = 0,58, IC95 = 0,46 – 0,72, p<0,000001) (4).
Plusieurs dizaines de patientes ont déjà été incluses dans ce programme d’usage compassionnel car il s’agit d’un traitement très efficace et peu toxique. Il est toutefois à noter qu’aucune donnée de survie globale n’est encore disponible. Cela est d’autant plus important à signaler que le coût de ce nouveau médicament est loin d’être anodin : on estime que cette molécule sera commercialisée à un prix d’environ 4.000 EUR par mois. Il n’y a malheureusement pas de biomarqueur d’activité autre que la positivité aux récepteurs hormonaux, ce qui signifie que toutes les patientes ménopausées atteintes d’un cancer du sein métastatique hormono-dépendant seront justifiables d’un tel traitement, quels que soient la localisation de leurs métastases, leur âge, la nature des traitements reçus en situation (néo)-adjuvante, … Aucun argument scientifique ne permettra donc de sélectionner les patientes les plus à même de bénéficier de ce traitement coûteux. En termes d’effets secondaires, le palbociclib entraîne essentiellement des neutropénies, très rarement fébriles (moins de 2% des patientes). Il est dès lors bien plus facile à supporter qu’une chimiothérapie, mais nécessite néanmoins un suivi plus lourd qu’une « simple » hormonothérapie. Une visite toutes les 4 semaines avec hémogramme et examen clinique est ainsi requise. Il s’agit là d’une opportunité forte de synergie entre les services d’oncologie médicale et les médecins traitants, dont le rôle dans le suivi des patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique pourrait être revalorisé.
D’autres molécules de la même famille sont actuellement disponibles dans le cadre d’études cliniques de phase IIIB (c’est le cas du ribociclib, dont l’efficacité a été démontrée par l’étude Monaleesa-2 (5), et qui est déjà approuvé aux Etats-Unis) et de l’abemaciclib, dont le développement est encore en cours dans le cadre d’études plus précoces.
En situation non métastatique, au vu des taux de guérison très élevés obtenus ces dernières années, l’une des principales questions de recherche est celle de la désescalade thérapeutique. S’il ne fait pas de doute que les cancers du sein triple négatifs et HER2 positifs nécessitent quasi dans tous les cas de figure une chimiothérapie (néo)-adjuvante, la situation est moins claire pour les cancers du sein avec expression du récepteur à l’œstrogène et ne présentant pas d’amplification de HER2. Dans de nombreux cas, les patientes atteintes de tels cancers seront malgré tout traitées par chimiothérapie adjuvante. De nouveaux tests génomiques, qui se basent sur l’expression de certains gènes au sein de la tumeur, permettent de mieux évaluer le risque pour la patiente de développer à l’avenir des métastases à distance. L’utilisation à large échelle de ces tests devrait permettre de restreindre la prescription de chimiothérapie adjuvante aux patientes dont le risque métastatique le justifie réellement. L’un des scénarios qui se profilent est celui d’une évaluation en deux temps, telle que proposée dans l’étude Mindact, dont les résultats ont été publiés très récemment (6). Dans un premier temps, un score de risque clinique binaire (faible ou élevé) est attribué sur base de critères anatomo-pathologiques très simples tels que la taille tumorale et le nombre de ganglions axillaires envahis. Au cas où le risque clinique est faible, aucune investigation complémentaire n’est nécessaire, et la patiente n’a pas besoin de chimiothérapie adjuvante car elle a d’emblée un bon pronostic. Au cas par contre où le risque clinique est élevé, un test génomique est réalisé. Dans le cas de l’étude Mindact, il s’agissait du test Mammaprint®. Ce test fournit aussi un résultat binaire : si le risque est génomiquement faible, l’intérêt d’une chimiothérapie adjuvante est très limité ; il est par contre bien présent si le test génomique rapporte un risque élevé. Par cette approche en deux étapes, on peut identifier des patientes dont le risque clinique aurait justifié d’une chimiothérapie adjuvante mais chez qui on va pouvoir surseoir à cette modalité thérapeutique potentiellement toxique grâce à un test complémentaire. Un dossier de remboursement des tests génomiques est actuellement en cours de discussion. Ces tests sont déjà disponibles dans plusieurs pays voisins et il est important que les médecins généralistes soient bien au courant de leur existence afin de pouvoir répondre aux questions que leurs patientes vont immanquablement leur poser.
Le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge médicale du cancer du sein est donc amené à évoluer. D’une part, l’utilisation de plus en plus large de thérapies orales administrées dans le cancer du sein métastatique est une opportunité pour revaloriser le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge de cette maladie. D’autre part, la connaissance par le médecin généraliste des outils génomiques permettant d’identifier les patientes les plus susceptibles d’avoir réellement besoin d’une chimiothérapie adjuvante leur permettra de conseiller efficacement leurs patientes à un moment où l’incertitude décisionnelle atteint son paroxysme.
Recommandations pratiques
Les inhibiteurs oraux de CDK4/6 sont de plus en plus largement utilisés dans le traitement du cancer du sein métastatique ; il s’agit là d’une opportunité pour revaloriser le rôle du médecin traitant dans la prise en charge de ces patientes. En situation non métastatique, les tests génomiques permettent de mieux sélectionner les patientes devant bénéficier d’une chimiothérapie adjuvante ; le rôle de conseil du médecin traitant sera primordial dans le choix de la meilleure stratégie thérapeutique.
Correspondance
Pr Francois P Duhoux, MD, PhD
Institut Roi Albert II
Oncologie médicale
Cliniques universitaires Saint-Luc
Avenue Hippocrate 10, 1200 Bruxelles
Références
1. Miller KD, Siegel RL, Lin CC, Mariotto AB, Kramer JL, Rowland JH, et al. Cancer treatment and survivorship statistics, 2016. CA: a cancer journal for clinicians 2016;66(4):271-89.
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2. Available from: http://www.ema.europa.eu.
3. O’Leary B, Finn RS, Turner NC. Treating cancer with selective CDK4/6 inhibitors. Nat Rev Clin Oncol 2016;13(7):417-30.
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4. Finn RS, Martin M, Rugo HS, Jones S, Im SA, Gelmon K, et al. Palbociclib and Letrozole in Advanced Breast Cancer. N Engl J Med 2016;375(20):1925-36.
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5. Hortobagyi GN, Stemmer SM, Burris HA, Yap YS, Sonke GS, Paluch-Shimon S, et al. Ribociclib as First-Line Therapy for HR-Positive, Advanced Breast Cancer. N Engl J Med 2016;375(18):1738-48.
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6. Cardoso F, van’t Veer LJ, Bogaerts J, Slaets L, Viale G, Delaloge S, et al. 70-Gene Signature as an Aid to Treatment Decisions in Early-Stage Breast Cancer. N Engl J Med 2016;375(8):717-29.
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