INTRODUCTION ET BASES ANATOMIQUES DU VENTRICULE DROIT
Les connaissances à propos du rôle du ventricule droit (VD) dans les maladies cardiovasculaires ont toujours manqué, comparativement aux données sur le ventricule gauche.
Moins musculaire, souvent réduit à son rôle de pompe sanguine au travers d’un seul organe, moins fréquemment impliqué dans des maladies de proportions épidémiques (comme l’ischémie myocardique, les valvulopathies, les cardiomyopathies), le VD a souvent été considéré comme une simple pompe. Or, il contribue à de nombreux processus pathologiques, surtout à l’hypertension artérielle pulmonaire. Les autres maladies cardiaques affectant le ventricule droit sont les cardiomyopathies gauches en général, l’ischémie ou l’infarcissement du ventricule droit, les maladies valvulaires droites (pulmonaire ou tricuspidienne), la dysplasie arythmogène du ventricule droit et le shunt gauche-droit.
Sa géométrie est complexe (portion d’entrée – sinus, portion de sortie - conus, séparés par la crista supraventricularis, nettement séparées ; forme de croissant autour du VG ; position très antérieure et superficielle ; forte dépendance des conditions de charge). Le raccourcissement longitudinal contribue plus au raccourcissement et donc à l’éjection ventriculaire droite que le raccourcissement court-axe circonférentiel. Le VD est lié au ventricule gauche par une paroi commune qu’est le septum interventriculaire, par des fibres épicardiques, par un attachement du bord libre du VD au septum antérieur et postérieur, et par le péricarde. Le septum interventriculaire et la paroi libre du ventricule droit contribuent de manière égale à la fonction ventriculaire droite.
Le rôle du VD est d’assurer un débit et une pression adéquats dans l’artère pulmonaire. Le VD pompe le même volume éjectionnel que le ventricule gauche (VG) mais avec environ 25% du travail d’éjection, au vu des faibles résistances de la circulation pulmonaire. Il a donc des parois moins épaisses et est plus compliant que le VG. En cas de résistances pulmonaires basses et de pressions auriculaires gauches normales, ce rôle de pompe peut être passif. Les dérivations cavo-pulmonaires réalisées en cardiologie congénitale montrent bien qu’en cas de telles circonstances (pressions basses), il est possible de remplacer le VD par une simple connexion des veines caves aux artères pulmonaires (comme dans l’intervention de Fontan). L’importance du VD se révèle par contre lorsque les résistances pulmonaires s’élèvent ou en cas d’insuffisance cardiaque gauche, lorsque la pression veineuse pulmonaire s’élève. Le VD va longtemps tolérer une surcharge de volume mais difficilement une surcharge de pression. Il va s’adapter à une élévation de postcharge par une première étape d’hypertrophie. Mais progressivement, la surcharge de pression finit par entraîner une altération de la fonction systolique du VD et sa dilatation, une dilatation de l’anneau tricuspide et donc une aggravation d’une insuffisance tricuspidienne (IT) préexistante, entraînant à son tour une altération de la fonction diastolique.
Par contraste au ventricule gauche, la vulnérabilité du ventricule droit aux phénomènes d’ischémie/reperfusion est différente. Dans des conditions normales, la demande myocardique du VD en oxygène est moindre que pour le VG, étant donné les faibles résistances vasculaires pulmonaires comparativement aux pressions systémiques à gauche. De plus, de par sa paroi libre moins épaisse et par une pression intracavitaire plus basse, le VD reçoit une perfusion endocardique transmurale directe en systole et en diastole. En l’absence de flux coronarien, le VD continue à recevoir de pauvres apports en oxygène et en nutriments permettant aux cellules myocardiques de se mettre en « stunning » plutôt que de provoquer une mort cellulaire.
Ce n’est qu’assez récemment que le VD a gagné en intérêt en recherche cardiovasculaire, après qu’ait été mis en évidence le rôle important de la dysfonction ventriculaire droite dans le pronostic de nombreuses cardiopathies acquises ou congénitales.
MESURE DE LA FONCTION VENTRICULAIRE DROITE
L’analyse de la fonction ventriculaire droite reste un challenge pour le cardiologue (anatomie complexe, raccourcissement longitudinal, forte dépendance des conditions de charge, interdépendance ventriculaire). Son évaluation doit être rendue la plus simple et la plus reproductible possible. Les techniques d’imagerie 2D présentent des limites dans la mesure où il est important de se baser sur des modèles géométriques pour évaluer des volumes ventriculaires; malheureusement la morphologie du VD ne se prête pas à une bonne modélisation (forme en croissant, entourant le ventricule gauche, ne permettant pas de l’assimiler à une ellipsoïde comme cela est habituellement fait pour la mesure de la fraction d’éjection ventriculaire gauche par méthode de Simpson). L’échographie 3D est intéressante car elle permet de contrecarrer ces modèles géométriques utilisés en 2D. La RMN permet une mesure plus précise et reproductible des volumes et une analyse des volumes en 3D (Figures 1-2). Elle est devenue actuellement la méthode de référence dans l’évaluation du ventricule droit, du fait de sa précision, de sa reproductibilité et de son caractère non invasif. Elle rencontre malheureusement des problèmes de disponibilité et de coût.
L’INSUFFISANCE CARDIAQUE DROITE
L’insuffisance cardiaque droite est un syndrome caractérisé par l’incapacité du VD de générer un volume éjecté suffisant avec, pour conséquences, une congestion veineuse, un mauvais remplissage du ventricule gauche, et dans les cas avancés un choc cardiogénique. Elle est de mauvais pronostic et plusieurs études ont déjà montré que la fonction VD est un élément prédicteur indépendant de survie et de meilleure capacité physique.
La dysfonction ventriculaire droite peut se développer concomitamment à la dysfonction ventriculaire gauche par de multiples mécanismes : augmentation de la postcharge et ultimement des pressions pulmonaires, processus de cardiomyopathie ou ischémie myocardique affectant simultanément les deux ventricules, dysfonction ventriculaire gauche entrainant une diminution de la pression systolique et donc de la perfusion coronarienne du ventricule droit, dilatation du VG dans un espace péricardique limité restreignant la fonction diastolique du VD. Inversement, une dysfonction ventriculaire droite peut entrainer une dysfonction ventriculaire gauche par une surcharge de pression dans le VD (comme dans HTP) compromettant la fonction VG ou l’incapacité pour le VD de fournir une précharge adéquate au VG.
L’INSUFFISANCE CARDIAQUE DROITE DANS L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE PULMONAIRE (HTP)
Le VD est exposé à une surcharge de pression par sténose de la valve pulmonaire ou par une hypertension pulmonaire chronique de toute cause. Après une première étape d’hypertrophie, apparait progressivement une dysfonction contractile puis une dilatation de la cavité ventriculaire droite pour permettre de compenser la précharge et de maintenir un débit de volume éjecté malgré la réduction du raccourcissement. Comme la dysfonction contractile progresse, apparaissent ensuite des signes évidents de décompensation cardiaque droite, caractérisés par une élévation des pressions de remplissage, une dysfonction diastolique, une diminution du débit cardiaque, cette dernière étant aggravée par la régurgitation tricuspidienne elle-même secondaire à la dilatation de l’anneau tricuspidien. La fonction et la taille du VD ne sont pas uniquement des indicateurs de sévérité et d’HTP sévère mais sont une cause additionnelle de symptômes et augmentent la morbi/mortalité, la fonction ventriculaire droite étant d’ailleurs le déterminant le plus important de survie chez les patients avec une HTP.
L’INSUFFISANCE CARDIAQUE DROITE DANS LES CARDIOPATHIES DILATÉES
L’impact pronostic négatif que peut avoir une mauvaise fonction ventriculaire droite (mesurée par échographie cardiaque ou plus récemment par résonnance magnétique cardiaque) chez les patients atteints de cardiopathie dilatée a déjà été démontré dans plusieurs études - ces patients ayant un taux de mortalité supérieur et une détérioration plus rapide de leur fonction ventriculaire gauche comparativement à ceux ayant une fonction ventriculaire droite préservée. La dysfonction ventriculaire droite serait présente chez environ 65% des patients souffrant de cardiopathie dilatée avec mauvaise fonction gauche.
L’INSUFFISANCE CARDIAQUE DROITE DANS LES CARDIOPATHIES ISCHÉMIQUES
Dans les cardiopathies ischémiques, une mauvaise fonction ventriculaire droite est également un prédicteur de mortalité. D’autres facteurs semblent également influencer négativement la fonction ventriculaire droite comme l’insuffisance mitrale, le bloc de branche droit, une cicatrice ventriculaire droite et une dysfonction ventriculaire gauche significative. La dysfonction ventriculaire droite serait présente chez environ 55 % des patients souffrant de cardiopathie ischémique avec mauvaise fonction gauche.
À noter que la dysfonction ventriculaire droite n’est pas uniquement liée à la dysfonction cardiaque gauche (selon le schéma : infarctus myocardique gauche => dysfonction gauche => augmentation des pressions pulmonaires => répercussions sur le VD), l’insuffisance cardiaque droite étant parfois secondaire à la localisation et à l’extension de l’infarctus, inférieur surtout, ou à du stunning myocardique.
TRAITEMENT DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE DROITE
Il existe peu de médicaments efficaces dans l’insuffisance cardiaque droite hormis ceux à visée étiologique (hypertension artérielle pulmonaire, embolie, ...). D’ailleurs, la plupart des thérapies médicamenteuses proposées sont à visée étiologique. Par exemple, les thérapies courantes contre l’hypertension artérielle pulmonaire du groupe 1 (vasodilatateurs pulmonaires, inhibiteurs de la prolifération cellulaire, facteurs anti-thrombotiques) ont amélioré la qualité de vie et la survie chez beaucoup de patients atteints d’une HTAP sévère. En phase aiguë, il faut penser à optimiser la précharge et la postcharge, à traiter la cause sous-jacente de l’IC, à instaurer un traitement inotrope (ayant peu d’effets sur la dysfonction ventriculaire droite, hormis lorsque celle-ci est la conséquence d’une dysfonction gauche) et penser à un système d’assistance ventriculaire dans le pire des cas (RVAD, ECMO, voire transplantation).
CONCLUSIONS
L’exploration de la fonction ventriculaire droite reste difficile mais est indispensable dans de nombreuses pathologies qu’il s’agisse de cardiopathies gauches ou droites ou bien d’hypertension pulmonaire de cause extracardiaque. Malgré qu’il ait longtemps été considéré comme une simple pompe, et que sa fonction systolique ait été surtout considérée comme dépendante de la postcharge qu’il devait affronter, le ventricule droit est actuellement reconnu comme un facteur prédictif indépendant de mortalité chez les patients souffrant d’insuffisance cardiaque. Identifier une diminution de la fonction ventriculaire droite par échographie cardiaque mais surtout par résonnance magnétique cardiaque améliore la stadification du risque et peut aider pour guider les décisions cliniques au bon moment. Une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents à la dysfonction ventriculaire droite s’avère utile pour déterminer de nouvelles cibles thérapeutiques et améliorer la qualité de vie et le pronostic des insuffisants cardiaques.
RECOMMANDATIONS PRATIQUES
- La fonction ventriculaire droite est actuellement reconnue comme un élément pronostique significatif et important dans l’insuffisance cardiaque.
- Une analyse précise de sa fonction est rendue possible par la résonnance magnétique cardiaque.
- Le diagnostic de dysfonction ventriculaire droite est utile pour évaluer le pronostic des insuffisants cardiaques et pour guider les décisions cliniques au bon moment.
AFFILIATIONS
(1) Cliniques universitaires Saint-Luc, Cardiologie B-1200 Bruxelles
CORRESPONDANCE
Dr. Marie-Bénédicte Benats
Cliniques universitaires Saint-Luc
Cardiologie
avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
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