INTRODUCTION
Depuis la découverte par A. Loubatières en 1946 de l’effet hypoglycémiant d’un sulfonamide (le para-amino-benzène-sulfamido-isopropylthiodiazol [2254RP]), un traitement reconnu de la fièvre typhoïde, les sulfamidés hypoglycémiants (car le 2254RP était « un véritable » sulfamidé hypoglycémiant stimulant la sécrétion d’insuline) ont toujours occupé une place importante dans le traitement du diabète de type 2 (1). Cela étant, les sulfamidés hypoglycémiants (SH) de « première » génération (par exemple les carbutamide, tolbutamide ou chlorpropamide) ont définitivement cédé leur place aux SH plus performants de « seconde » génération indiqués dans le tableau 1 (1).
Aujourd’hui, les recommandations de l’Association Américaine du Diabète (ADA) incluent les SH dans l’algorithme thérapeutique du diabète de type 2, après échec des mesures hygiéno-diététiques conventionnelles combinées à l’administration de metformine (2).
Le but de cet article est dès lors de revisiter les SH en 2018 en général, avec leurs bénéfices et effets indésirables ainsi que leur impact (éventuel) sur les pathologies cardiovasculaires (CV) et le risque de cancer chez les sujets diabétiques de type 2. Nous discuterons également de certaines spécificités en termes de modes d’action et d’effets des différents SH actuellement disponibles, avec les implications pratiques et cliniques qu’elles sous-tendent.
STRUCTURE ET MÉCANISME(S) D’ACTION
Les SH se caractérisent par la formule générale « R1-SO2-NH-CO-NH-R2 » où les radicaux R1 et R2 diffèrent d’après les agents utilisés. Ils se distinguent, entre autres, par leur demi-vie plasmatique (Tableau 1). La structure de certains SH a d’ailleurs été modifiée pour permettre une durée d’action prolongée jusqu’à 24h (comme pour le gliclazide à libération modifiée [Uni Diamicron®]). Les SH sont transportés dans le plasma par les protéines. Leur déplacement par d’autres médicaments (sulfamides non hypoglycémiants, anticoagulants coumariniques, fibrates) amplifie leur action hypoglycémiante. Métabolisés par le foie via le cytochrome P4502C9 (CYP 2C9) en métabolites inactifs ou actifs, ils sont éliminés par voie biliaire ou rénale. Un polymorphisme génétique peut contribuer à une variabilité individuelle de la réponse clinique. Par ailleurs, un traitement simultané par inducteurs ou inhibiteurs du CYP2C9 amène une modification des effets pharmacocinétiques des SH avec, pour les inhibiteurs, une augmentation du risque d’hypoglycémie (3).
Les SH se fixent sur les récepteurs SUR1 des cellules B des îlots de Langerhans et stimulent ainsi la sécrétion d’insuline par l’intermédiaire d’une fermeture des canaux potassiques (ATP sensibles) KIR 6.2. Il en résulte une accumulation intracellulaire de potassium et une dépolarisation membranaire qui activent les canaux calciques voltage-dépendants. L’influx subséquent de calcium dans les cellules B amène l’exocytose des granules d’insuline, de manière « non gluco-dépendante » (4,5). Cela étant, plus spécifiquement pour le gliclazide, la liaison aux récepteurs SUR1 est très réversible, contrairement à celles d’autres SH, ce qui amène la sécrétion d’une quantité d’insuline adaptée à l’apport exogène de glucose.
Il existe également des canaux potassiques (KIR 6.2) sur d’autres cellules que les cellules B, en particulier les cardiomyocytes. Ils sont activés par la stimulation de récepteurs variants de SUR1 (SUR2A ou SUR2B). Les SH se distinguent par leur différence d’affinité et de spécificité pour ces récepteurs SUR. Certains, comme le gliclazide et le glipizide sont très spécifiques de SUR1 (vs. SUR2), ce qui pourrait rendre compte de leur sécurité cardiovasculaire (6,7). Quelques auteurs, comme Proks et al. (8), proposent ainsi une classification des SH en « SUR1 spécifiques » ou « non spécifiques ».
Enfin, les SH se caractérisent par des effets extra-pancréatiques comme une réduction de la clairance hépatique de l’insuline ou une inhibition (paracrine) de la sécrétion de glucagon par les cellules A des îlots, contribuant indirectement à leur effet hypoglycémiant chronique (4).
PROFIL THÉRAPEUTIQUE DES SULFAMIDÉS HYPOGLYCÉMIANTS
La metformine reste en 2018, en présence d’une sécrétion résiduelle d’insuline, le médicament de première ligne dans le traitement du patient diabétique de type 2, à condition qu’il n’y ait pas d’intolérance et/ou de contre-indication(s) (9). Cela étant, en particulier, lorsque le taux d’HbA1c au diagnostic est supérieur à 9.0% ou en cas d’échec de la metformine en monothérapie, le recours à une « bithérapie » est aujourd’hui la règle. Eu égard aux recommandations de l’ADA, les SH sont, en prévention primaire, une des options proposées à associer à la metformine, à côté des glitazones (pioglitazone), des DPP-4 inhibiteurs (gliptines), des agonistes du GLP-1, des SGLT-2 inhibiteurs (gliflozines) ou encore d’une insuline basale. À un stade plus avancé de la maladie, s’il y a échec d’une bithérapie, une « trithérapie » associant [metformine/SH/DPP-4 inhibiteurs ou SGLT-2 inhibiteurs] ou [metformine/SH et agonistes du GLP-1] est une approche validée (répondant d’ailleurs aux critères de remboursement INAMI en Belgique), en favorisant cependant en prévention cardiovasculaire secondaire des agents ayant démontré un effet de cardioprotection (2).
L’effet hypoglycémiant des SU est puissant et rapide. Ceci amène logiquement à initier ce traitement en titrant la posologie, avec une augmentation progressive des doses après 2 à 4 semaines, afin d’éviter la survenue, par surdosage, d’une hypoglycémie. Les SH, en monothérapie ou en traitement additionnel, réduisent habituellement la glycémie à jeûn de 20 à 40 mg/dl et le taux d’HbA1c de 1 à 2% (9). Une réduction importante de l’HbA1c a été retrouvée dans plusieurs études d’optimisation glycémique et a été associée, à terme, à une réduction du risque microvasculaire (11-13). En parallèle, le faible coût des SH (< 10 euros/mois) par rapport aux autres classes récentes de médicaments reste un argument sociétal patent régulièrement mentionné dans les arbres décisionnels des sociétés savantes ou par les organismes d’assurance.
L’efficacité des SH peut s’émousser au long cours. Ce phénomène (5 à 10% des patients/an) a été considéré comme conséquence d’un déclin progressif « naturel » des cellules B et/ou d’un « épuisement » de leur capacité d’insulinosécrétion lié à leur stimulation chronique par les SU (4,14,15). Des études comme ADVANCE n’ont cependant pas objectivé un tel déclin « avec le temps » de la fonction des cellules B (12). L’insuffisance rénale modifie la pharmacocinétique des SU, augmentant le risque d’hypoglycémies. En pratique, le glibenclamide est contre-indiqué en présence d’une néphropathie au stade 3 avec eGFR<60 ml/min/1.73 m2. Dans ces conditions, les doses des autres SH, à l’exception de la gliquidone, doivent aussi être réduites. Les SH sont a priori contre-indiqués lorsque la filtration glomérulaire est inférieure à 30 ml/min/1.73 m2, sauf la gliquidone qui n’est pas éliminée par voie rénale (16).
EFFETS SECONDAIRES GÉNÉRAUX
Un traitement par SH s’accompagne habituellement d’un certain gain pondéral (1 à 4 kg), bien qu’il n’ait pas été observé pour le gliclazide dans l’étude ADVANCE (1,10,12). L’effet indésirable principal est l’hypoglycémie, avec ses conséquences en termes de qualité de vie et d’événements collatéraux, en particulier les complications CV, neurologiques et/ou les chutes (10). Environ 20% des patients/an sous SH présentent des hypoglycémies légères à modérées : dans une méta-analyse récente, des glycémies inférieures à 3.1 et 2.8 mmol/l ont été constatées respectivement chez 10.1 et 5.9% des sujets traités par SH. Une hypoglycémie plus sévère a été observée chez 0.8% des malades. Le risque est cependant très variable en fonction du médicament utilisé (17). Il est augmenté de 52% pour le glibenclamide vs. les autres SH (18). À l’opposé, un risque moindre d’hypoglycémies sous gliclazide par rapport aux autres SH a été rapporté (7,19,20). Quoi qu’il en soit, le clinicien doit intégrer dans son approche thérapeutique les différents facteurs qui augmentent potentiellement le risque d’hypoglycémies comme l’âge, une alimentation inadaptée, l’activité physique, une consommation d’alcool, une insuffisance rénale et hépatique ou des interférences médicamenteuses. Dans certaines de ces situations, en particulier chez les patients âgés fragiles, d’autres options thérapeutiques doivent être raisonnablement considérées dans le cadre d’une personnalisation des objectifs et des traitements comme d’ailleurs recommandé de manière péremptoire par l’ADA (« patient-centered-approach ») (2,10).
ET SUR LE PLAN CARDIOVASCULAIRE ?
En 2018, il persiste une controverse importante quant à la sécurité CV des SH, certaines études rapportant une augmentation de risque (21-27) et d’autres, à l’opposé, l’absence d’un tel effet indésirable (28-32). Le débat est essentiel sachant la mise à disposition aujourd’hui d’autres médicaments hypoglycémiants neutres ou même à plus-value cardiovasculaire.
C’est l’UGDP (University Group Diabetes Program) qui en 1970, pour la première fois, mettait en évidence, chez des sujets diabétiques de type 2, une augmentation des décès CV sous tolbutamide (un SH de première génération) par rapport au placebo (33). Bien que l’étude ait été très critiquée en raison de lacunes méthodologiques, d’autres essais plus récents ont cependant corroboré les conclusions de l’UGDP. C’est le cas entre autres de Schramm et al. qui observent eux-aussi une augmentation de tels événements CV sous SH (en général) par rapport à la metformine (24). C’est aussi le cas de Li et al., plus spécifiquement chez la femme diabétique (26) et, très récemment, de Bain et al. (34). Deux mécanismes physiopathologiques peuvent rendre compte de cette augmentation potentielle de risque CV. Il y a d’une part l’absence de préconditionnement ischémique qui fait suite à la fermeture des canaux potassiques des cardiomyocytes lors d’un traitement par SH non SUR1 spécifiques (4,10,21). Il y a d’autre part les conséquences CV de l’hypoglycémie, avec, entre autres, allongement de l’intervalle QT à l’électrocardiogramme et des arythmies ventriculaires éventuelles (1).
À l’opposé de ces données a priori préoccupantes, les études UKPDS et, plus récemment, ADVANCE n’ont, elles, fait état d’aucune complication CV chez les patients traités par SU par rapport aux contrôles (11,12). De plus, une méta-analyse par Monami et al. de 62 essais a conclu à un risque (odd ratio) d’événement CV pour les SH vs. comparateurs de 1.08 (95% CI [0.83-1.08]) (30). L’absence de risque CV a encore été corroboré en 2013 par Nagendran et al. (OR 1.06 [0.89-1.26]) (31). Il est possible que l’impact CV des SH soit « à géométrie variable » en fonction de l’agent utilisé (32). Dans ce contexte, il est intéressant de mentionner que plusieurs études avaient déjà montré que le gliclazide était associé à un risque moindre ou à une absence de risque par rapport à d’autres SH, en particulier le glibenclamide. Le risque de décès, toutes causes confondues, et de mortalité CV sous gliclazide était de 0.65 (0.53-0.79) et de 0.60 (0.45-0.84) par rapport au glibenclamide dans une étude récente de Simpson et al. (35). Une fixation spécifique du gliclazide sur les récepteurs SUR1 des cellules B pourrait expliquer l’absence rapportée d’effets secondaires CV, comme d’ailleurs mentionné par Schramm (7,24).
Au vu de ces données, il y a encore en 2018 une certaine équivoque dans la relation SH/CV avec néanmoins des résultats cliniques rassurants pour certains agents SUR1 spécifiques. L’étude CAROLINA actuellement en cours compare le devenir CV des patients traités soit par glimépiride, soit par linagliptine et devrait, demain, lever l’ambigüité actuelle (29).
SULFAMIDÉS HYPOGLYCÉMIANTS ET CANCERS
Il est établi que le diabète de type 2 est associé à une augmentation de risque de cancers. Plusieurs études ont suggéré que les SH, via la stimulation de l’insulino-sécrétion et de l’hyperinsulinisme subséquent qu’ils amènent, pourraient contribuer à cette morbidité (contrairement à la metformine qui l’atténue) (36-40). Dans une méta-analyse récente, Bowker et al. (36) et Singh et al. (39) confirment de fait une augmentation de 11 à 30% de risque de cancers sous SU vs. metformine.
Une palette d’autres essais ne confirme cependant pas ces observations (41-44), et ce tant pour le risque de cancer en général (42) que, plus spécifiquement, pour les cancers d’organes comme le poumon (43) ou la vessie (44). Monami et al. mentionnent une éventuelle variabilité d’effets en fonction du SU (45,46). Globalement, la littérature actuelle est néanmoins rassurante dans le champ d’une probable « non-relation ».
CONCLUSIONS
Les SH ont aujourd’hui une place dans l’algorithme thérapeutique proposé par l’ADA dans le cadre d’une bithérapie en association avec la metformine, ou en cas d’échec, en trithérapie, en prévention primaire. Leur efficacité hypoglycémiante, couplée à leur faible coût, est pour l’ADA un argument qui peut justifier ce choix (47). Cela étant, eu égard aux effets secondaires, les cliniciens qui privilégieraient cette option s’orienteront, dans le cadre d’une approche personnalisée sachant les différences entre les SH disponibles, vers les SH de seconde génération et, parmi eux, vers les sulfamidés dont l’effet hypoglycémiant est associé à la plus grande sécurité en termes d’événements secondaires, y compris cardiovasculaires. C’est une ligne de force qui balise leur utilisation actuelle.
CORRESPONDANCE
Pr. (ém.) Martin Buysschaert
Université catholique de Louvain
Academic hospital Saint-Luc
Department of Endocrinology
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Brussels
Belgium
Phone: +32 2 7645474
martin.buysschaert@uclouvain.be
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