Il y a dix minutes à peine, je constatais le décès d’une très ancienne patiente. Elle avait 96 ans, je la connaissais depuis 63 ans, son jardin jouxtant celui de mon enfance. Une fois par an, en famille, ils soutiraient un Porto du Douro dont les vapeurs parfumées nous grisaient, et c’était fête. Ne retiendrais-je que cette image, cela valait la peine de vivre. Il y a six semaines, je lui annonçai le décès de son fils unique, juste mon âge, était-ce une bonne idée que de le lui dire ? Elle n’eut que quelques mots: laisse-moi seule maintenant, que je pleure à l’aise. Une fois encore, je fus le messager du malheur, rôle que je connais maintenant à merveille. Elle est morte doucement, sans qu’on sache de quoi. Compléter le certificat de décès, et ses causes, m’a renvoyé à toutes les incertitudes d’une pratique déjà longue : on meurt de quoi quand on est en fin de vie, et que rien ne vous rattache plus à rien. Il était minuit, et je garde un souvenir ému de la manière dont le portier de la maison de repos du CPAS d’Anderlecht, et les infirmières de nuit, m’ont accueilli. Tout était illuminé, alors qu’à cette heure habituellement c’est le Bronx, hommage discret rendu à une très vieille pensionnaire qui partait par la grande porte.
LU DANS :
Liliane Wouters. Comme vient un voleur dans la nuit (peur, stupeur, poèmes). Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. 1998. Walt Whitman. À un qui va bientôt mourir. Les cent plus beaux poèmes du monde, par Alain Bosquet. Le Cherche-Midi. 1979.