INTRODUCTION
L’International Diabetes Federation recensait, en décembre 2017, 425 millions de personnes diabétiques dans le monde, soit une prévalence de 8,8 %. La majorité de ces malades (80 à 90 %) présentait un diabète de type 2 (non-insulinodépendant) (1). Par-delà ce constat épidémiologique, il est aujourd’hui unanimement reconnu par la communauté scientifique qu’une hyperglycémie chronique chez ces sujets est associée au développement de complications neurologiques, microvasculaires (rétinopathie, néphropathie) et macrovasculaires (2,3).
Une palette d’essais interventionnels a aussi démontré, a contrario, qu’une excellence glycémique, initiée dès le diagnostic de diabète, permettait d’éviter de telles lésions, y compris dans une certaine mesure, la macroangiopathie. Ce sont ces études, en particulier la United Kingdom Prospective Diabetes Study (UKPDS) qui ont définitivement ancré le concept d’optimisation glycémique qui, décliné en termes d’hémoglobine glycatée (HbA1c), sacralise une valeur cible inférieure ou égale à 7,0 %, même s’il y a aujourd’hui d’importantes nuances dans le contexte d’une « personnalisation » de la prise en charge (4,5).
Pour atteindre cet objectif, les praticiens disposent en 2018 d’un ensemble de médicaments hypoglycémiants efficaces, certains parmi les SGLT2-inhibiteurs et agonistes du GLP-1 se démarquant aussi par une plus-value cardiovasculaire (cf. infra).
Ceci étant, le traitement rationnel du diabète de type 2 est sous-tendu par le stade d’évolution de la maladie et par les vices physiopathologiques qui en rendent compte.
Dans ce contexte, après quelques années d’évolution, un traitement antihyperglycémique oral, même bien conduit (bi-trithérapie), peut ne plus être à même d’atteindre les objectifs glycémiques. À ce stade de l’histoire naturelle du diabète, l’insulinodéficience est « dominante » - et le diabète devenu « insulinorequérant » (2). Les sociétés scientifiques en Europe et aux USA recommandent dans ces conditions l’administration, après échec d’un tel traitement non-insulinique, d’une insuline basale (5). L’injection « bedtime » de cette insuline basale, dont la dose sera titrée sur base de la glycémie à jeun, permet le plus souvent, en association avec la metformine, de récupérer (en tout cas transitoirement) un équilibre glycémique correct.
Instaurer une telle insulinothérapie chez le diabétique de type 2 est cependant fréquemment une étape difficile dans une escalade thérapeutique pourtant inexorable. Au-delà des contraintes qu’elle implique, ce « virage insulinique », lié à l’évolution naturelle de la maladie, est associé à des effets secondaires potentiels, comme une prise de poids et/ou une augmentation du risque d’hypoglycémie (sévère). Par ailleurs, sa gestion par le médecin et/ou le patient peut être complexe « sur le terrain ». Dans ce cadre, Blak et al. observaient d’ailleurs que dans une cohorte de 4000 patients, 80 % d’entre eux gardaient, six mois après l’initiation de l’insulinothérapie, une HbA1c supérieure à 7,0 % avec, dans une majorité de cas, une titration inadéquate des doses (6).
Eu égard à ces constats, une approche qui associerait à une insuline basale un médicament efficace permettant d’éviter ou de limiter ces (éventuels) effets secondaires, trouverait d’emblée une place rationnelle dans l’arsenal thérapeutique du diabète de type 2.
Plusieurs travaux dans ce contexte démontrent aujourd’hui l’intérêt clinique et biologique de Xultophy® qui associe à doses fixes prémélangées une insuline basale et un agoniste du GLP-1 (7,8).
Le but de cet article est de proposer, sur base de la littérature récente, un état des lieux sur le Xultophy® et de situer sa place dans la stratégie thérapeutique du diabète de type 2.
XULTOPHY® : PRINCIPES ACTIFS
Les principes actifs sont l’insuline degludec (Tresiba®) et le liraglutide (Victoza®). Le degludec est un analogue lent de l’insuline qui forme, après injection sous-cutanée, des multihexamères solubles constituant un dépôt à partir duquel l’insuline est résorbée en continu dans la circulation. Il en résulte un effet hypoglycémiant stable et « plat » avec une demi-vie de l’ordre de 25h. Plusieurs études ont démontré une efficacité hypoglycémiante comparable de la degludec et de la glargine 100 U/ml, avec néanmoins une réduction significative du nombre d’hypoglycémies sévères (y compris nocturnes) sous degludec par rapport à la glargine. L’étude DEVOTE a par ailleurs démontré une sécurité cardiovasculaire de la degludec (9,10). Le liraglutide (Victoza®) est un analogue du GLP-1 avec une homologie de 97 % par rapport au GLP-1 natif et une demi-vie de 13h. Il stimule la sécrétion d’insuline et inhibe celle du glucagon de manière glucodépendante. Parmi d’autres actions, il augmente la satiété et amène une perte pondérale. Ses effets bénéfiques sont pluriels en terme d’amélioration de l’équilibre glycémique et de perte pondérale (voir référence 11 pour une revue de la littérature). Nous les avons personnellement vérifiés dans l’essai observationnel ROOTS (12). Il est important de mentionner que les caractéristiques pharmacocinétiques de la degludec et du liraglutide restent inchangées par leur alliage (13).
XULTOPHY® : PRINCIPAUX ESSAIS [2014-2018] DANS LE TRAITEMENT DU DIABÈTE DE TYPE 2
A) CHEZ DES PATIENTS INSULINONAÏFS
Gough et al., en 2015 (14), comparent chez des patients diabétiques de type 2 insulinonaïfs au contrôle glycémique médiocre l’efficacité hypoglycémiante d’une injection d’insuline degludec, d’une injection de liraglutide (1.8 mg/j) et d’une administration de degludec/liraglutide (IDegLira) (Xultophy®). Il s’agit donc d’une évaluation du composant vs. chacun de ses composés. Ils constatent après 52 semaines de traitement des réductions d’HbA1c respectivement de 1.40 % (degludec), 1.21 % (liraglutide) et 1.84 % (IDegLira). Les auteurs démontrent ainsi dans cet essai (DUAL I) une supériorité d’IDegLira vs. degludec et vs. liraglutide. La dose d’insuline au sein de l’association IDegLira était de 37 % inférieure à celle de degludec. Par ailleurs, le nombre d’hypoglycémies était significativement réduit dans le groupe IDegLira vs. degludec (p<0.0001). Quant à l’évolution pondérale, elle se caractérisait par une perte de 0.4 kg et 3.0 kg respectivement dans les groupes IDegLira et liraglutide et, à l’opposé, d’un gain de 2.3 kg sous degludec (14). D’autres essais ont confirmé un tel bénéfice en termes d’HbA1c d’une association IDegLira vs. placebo en ajout des sulfonylurées ou sulfonylurées/metformine (DUAL IV) (15) ou vs. un agoniste du GLP-1 (DUAL III) (16), chez les patients diabétiques de type 2 insulinonaïfs, en mauvais contrôle glycémique.
B) CHEZ DES PATIENTS DÉJÀ TRAITÉS PAR UNE INSULINE BASALE
Plusieurs études récentes avaient pour objectif principal d’évaluer les effets du Xultophy® vs. comparateurs chez des diabétiques de type 2 déjà devenus insulinorequérants et traités par une insuline basale (tableau 1). Dans DUAL II, les patients dans le bras IDegLira réduisaient davantage leur taux d’HbA1c que ceux traités par degludec (ETD [Estimated Treatment Difference] : - 1.1 %, p < 0.0001 pour une supériorité statistique), et cela malgré qu’à la 26e semaine de suivi, au terme de l’étude, les doses d’insuline après titration étaient identiques (17).
Dans DUAL V, une réduction plus importante de l’HbA1c était constatée sous IDegLira par rapport à la glargine (ETD : - 0.59 %, p < 0.001 pour une supériorité statistique), et ce à nouveau malgré une dose significativement plus basse d’insuline dans l’association IDegLira (41 U) que sous glargine (66 U). De plus, les pourcentages de patients atteignant une HbA1c < 7.0 % / 6.5 % étaient statistiquement supérieurs dans le groupe IDegLira que dans le bras glargine (18).
Dans DUAL VII, les réductions d’HbA1c étaient comparables, en fin de suivi, sous IDegLira et schéma insulinique basal-bolus (BB) (ETD 0.02 %, avec une non-infériorité statistique). Cela étant, les doses d’insuline étaient respectivement de 40 U et de 84 U sous IDegLira et BB (19).
L’ensemble de ces essais montre, en parallèle de l’amélioration de l’HBA1c, une réduction significative des glycémies à jeun et postprandiales vs. comparateurs (17,18,20).
Les trois études DUAL II, V, VII, comme indiqué dans le Tableau 1, objectivent aussi une réduction significative du nombre d’hypoglycémies et une perte pondérale sous IDegLira vs. comparateurs. Dans DUAL II (17), 40 % des patients dans le bras IDegLira vs 8.5 % sous degludec atteignaient un « triple bénéfice » défini par une HbA1c < 7.0 %, une absence d’hypoglycémie et de gain pondéral. On retrouvait un résultat comparable dans DUAL VII (38.8 vs. 12.2 %) (18).
Enfin, dans DUAL V, une amélioration de qualité de vie sous IDegLira vs. glargine était objectivée par un questionnaire validé : de 47.4 à 49.0 sous IDegLira vs. de 47.7 à 47.2 sous glargine (p < 0.001) (18). En termes, d’effets secondaires, globalement il n’y avait pas de différence significative entre les groupes, même s’il y avait, comme attendu, davantage de signes gastro-intestinaux sous IDegLira vs. les insulines basales, en particulier dans DUAL V (18).
Très récemment, dans une étude observationnelle de « vraie vie », Price et al. confirmaient à six mois l’ensemble de ces bénéfices du Xultophy® en termes d’HbA1c (- 0.9 %, p < 0.0001), d’hypoglycémies (- 82 %, p < 0.0001) et de perte de poids (- 0.7 kg, p< 0.05) dans une cohorte de 611 sujets qui avaient reçu le médicament en ajout à leur traitement hypoglycémiant habituel (21). Les résultats de Mathieu et al. sont en phase avec les études DUAL : les auteurs comparent l’effet à la 104e semaine d’un ajout au degludec de liraglutide ou d’une injection d’insuline aspart (NovoRapid®) au repas principal. Ils constataient eux aussi une plus grande efficacité hypoglycémiante de l’association « degludec/liraglutide » vs. « degludec/aspart » (HbA1c - 0.74 vs. - 0.39, p=0.0024). Comme dans les études précédentes, il y avait dans cet essai moins d’hypoglycémies (nocturnes) et une perte de poids significative (- 2.8 kg, p < 0.0001) dans le premier groupe (Idegludec/liraglutide) (22).
DISCUSSION
Xultophy® permet aux patients diabétiques de type 2, en général, en présence d’un contrôle glycémique insuffisant, d’améliorer leur taux d’HbA1c, comme démontré dans l’ensemble des études DUAL. Cela étant, Xultophy® est particulièrement intéressant chez les diabétiques au stade de l’insulinorequérance, quand ils sont déjà traités par une injection d’insuline basale (23). L’association à cette insuline d’un agoniste du GLP-1 à durée d’action prolongée permet en effet de réduire la dose d’insuline et, en conséquence, le risque d’hypoglycémies (sévères). Associer le liraglutide au degludec neutralise également le gain pondéral « iatrogène » lié à l’administration d’insuline, ce qui améliore directement l’insulinosensibilité. Il est important néanmoins de mentionner que dans l’ensemble des études, pour atteindre l’optimisation glycémique, la dose de Xultophy® a été rigoureusement titrée sur base des glycémies à jeun (24). Dans ce contexte, l’objectif était une valeur cible de l’ordre de 75 à 90 mg/dl. Ces résultats étaient habituellement atteints avec des doses unitaires de Xultophy® inférieures à la dose « maximale » de 50 U (correspondant à 50 U de degludec et 1.8 mg de liraglutide). Dans DUAL V, 40 % des patients seulement recevaient cette dose maximale et 68 % d’entre eux atteignaient une HbA1c inférieure à 7.0 % (18).
Les bénéfices cliniques et biologiques d’une administration du Xultophy® sont généralement constatés précocement dans le suivi (dès la 4e semaine de traitement), quels que soient la durée d’évolution du diabète et le taux initial d’HbA1c (25,26).
Au vu de l’ensemble de ces résultats, il n’est guère étonnant que l’Association Américaine du Diabète (ADA) en 2018 recommande comme option thérapeutique de grand intérêt, après échec d’une insuline basale, l’association « insuline basale/agoniste du GLP-1 » comme alternative à l’intensification insulinique per se par schéma BB ou insulines prémélangées (Tableau 2) (27). Cette démarche est d’autant plus séduisante sachant les effets de cardio – et néphroprotection du liraglutide démontrés dans l’essai LEADER (28,29).
En pratique en Belgique, chez les diabétiques de type 2 déjà traités par une insuline basale, Xultophy® est administré une fois par jour par voie sous-cutanée. Son injection et l’ajustement de sa posologie s’effectuent par dose unitaire. Une dose contient 1 U d’insuline degludec et 0.036 mg de liraglutide. Le stylo prémélangé (3 ml ; 300 U de degludec et 10.8 mg de liraglutide) peut délivrer de 1 à 50 doses unitaires en 1 injection par palier d’une dose unitaire. La dose recommandée de départ chez des patients insulinotraités par basal est de 16 doses unitaires (soit 16 U de degludec et 0.6 mg de liraglutide). Comme déjà mentionné, la dose devra être ajustée par titration sur base des glycémies à jeun. La dose maximale (comme dans les études DUAL) est de 50 doses unitaires.
Xultophy® est actuellement remboursé par l’organisme assureur (INAMI) chez les adultes diabétiques de type 2, au BMI ≥30 kg/m2, si l’HbA1c est >7.5 %, et s’il y a eu un traitement préalable pendant au moins trois mois par une insuline basale associée au minimum à la metformine (Tableau 2).
CONCLUSION
Avec cet alliage « insuline basale/agoniste du GLP-1 », l’arsenal thérapeutique dans le diabète de type 2 s’est enrichi. Sur base des données récentes de la littérature, il est clairement une option de grand intérêt chez les diabétiques de type 2 obèses, en cas d’échec d’une insuline basale, dans le cadre d’une personnalisation thérapeutique.
Cette association de deux médicaments aux actions anti hyperglycémiantes complémentaires est « une alliance » thérapeutique dans le combat quotidien contre le diabète et ses complications.
CORRESPONDANCE
Pr. (Ém.) MARTIN BUYSSCHAERT
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’Endocrinologie et Nutrition
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles, Belgique
E-mail: martin.buysschaert@uclouvain.be
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