L’augmentation récente et universelle de l’incidence du cancer thyroïdien différencié est attribuée majoritairement au dépistage des microcarcinomes papillaires. La surveillance active a été récemment proposée comme première ligne de conduite pour les microcarcinomes à faible risque, c’est-à-dire sans caractéristiques cliniques, radiologiques ou cytologiques de maladie agressive. Cette attitude est équivalente à l’intervention chirurgicale immédiate en termes de progression locale et de survie sans récidive après traitement. Le principal facteur pronostique de progression tumorale est un âge de moins de 40 ans. La surveillance active peut être proposée avec sécurité dans des cas bien sélectionnés de microcarcinome papillaire, mais cela nécessite une très bonne communication entre le médecin et le patient et une prise en charge multidisciplinaire. L’augmentation récente et universelle de l’incidence du cancer thyroïdien différencié est attribuée majoritairement au dépistage des microcarcinomes papillaires (PMC). Ceux-ci représenteraient aujourd’hui plus d’un tiers des cas de cancer thyroïdien rapportés. La découverte souvent fortuite des PMC, ou suite à des bilans peu justifiés, est d’autant plus attendue que les études autopsiques mettent en évidence un vaste réservoir naturel de cancers thyroïdiens occultes. Ainsi, on estime qu’environ 10% de la population générale présente un foyer de (micro)carcinome thyroïdien qui n’aura jamais d’expression clinique durant la vie de l’individu (1).
L’appellation PMC est strictement liée à une taille tumorale ≤ 10 mm et non à d’autres caractéristiques radiologiques ou cytologiques. Il convient de différencier les PMC asymptomatiques de ceux qui se présentent avec des localisations secondaires et/ou une atteinte des organes de voisinage. Les PMC de la première catégorie ont un excellent pronostic après chirurgie seule avec un taux de récidive d’à peine 3% et sans modification de la survie liée à la maladie. En se basant sur ces observations et sur l’histoire naturelle des PMC, le groupe de Miyauchi et al. de l’hôpital Kuma au Japon a proposé en 1993 une étude pionnière de « surveillance active » des PMC « à faible risque », c’est-à-dire des micronodules avec cytologie et caractéristiques échographiques suggestives de malignité mais sans localisations secondaires locorégionales ou à distance objectivées, sans signes cliniques ou d’imagerie d’envahissement local et sans cytologie agressive (par exemple de type « tall cell »). Les patients étaient suivis par échographie cervicale 6 mois après le diagnostic et puis chaque année. L’intervention chirurgicale était recommandée en cas de progression du diamètre tumoral maximal ≥ 3 mm ou apparition de métastases ou si le patient le souhaitait. Les critères d’inclusion proposés par le groupe japonais sont toujours d’actualité dans les centres qui adoptent la surveillance active des PMC, mais on a ajouté comme indication chirurgicale la progression du volume tumoral de plus de 50% pendant la période de suivi.
Après plus de 10 ans de surveillance active et plus de 1000 patients inclus, l’étude japonaise a noté une augmentation de taille chez seulement 8% des PMC, et l’apparition de métastases ganglionnaires chez seulement 3,8% des cas (2). Le sexe, les antécédents familiaux ou la multiplicité des PMC n’influençaient pas l’évolution. Le principal facteur pronostique de progression tumorale, confirmé par la suite dans des études similaires américaines et coréennes, était l’âge des patients au diagnostic, un âge de moins de 40 ans étant plus à risque. Une revue très récente des données japonaises a même quantifié le risque de progression tumorale durant toute la vie du patient, estimé à 48,9% si le diagnostic de PMC était fait dans la 2ème décade, 25,7% pour la 3ème, 21,4% pour la 4ème, 11,4% pour la 5ème, 8,3% pour la 6ème et 3,5% pour la 7ème décade (3). La croissance tumorale était notée dès le début du suivi et se réalisait de façon progressive. La surveillance active semble donc particulièrement indiquée chez les patients âgés avec PMC comme alternative à la chirurgie d’emblée, alors que le même groupe d’âge est plus à risque de maladie persistante après chirurgie en cas de cancer papillaire « classique » (>10 mm). Si on ajoute qu’actuellement il y a peu d’arguments quant à une valeur pronostique péjorative des PMC BRAF V600E mutés, on comprend l’intérêt de faire des PMC une entité clinique à part entière.
Le rôle du traitement freinateur de la TSH dans l’évolution des PMC est encore controversé mais les données actuelles suggèrent plutôt un impact favorable sur la croissance tumorale et l’apparition de métastases ganglionnaires chez les patients freinés.
Les études de surveillance active ont montré que cette attitude est équivalente à l’intervention chirurgicale immédiate en termes de progression locale et de survie sans récidive après traitement, mais elle est quatre fois moins coûteuse pour le système de santé (3). De plus, si l’indication est bien posée, la surveillance active peut être proposée à toute catégorie de patients, y compris aux femmes enceintes. En collaboration avec l’équipe américaine du Memorial Sloan Kettering Cancer Center, les auteurs japonais ont proposé en 2016 une stratification du risque des PMC permettant une prise en charge optimale4 (Tableau 1).
Un des obstacles majeurs à la surveillance active des PMC est l’anxiété des patients à l’annonce du diagnostic ou l’angoisse suscitée par les examens de suivi. L’anxiété précipite l’intervention chirurgicale dans plus de la moitié des PMC opérés. Fort de son expérience avec les PMC, Miyauchi recommandait déjà en 1997 de ne pas utiliser l’échographie cervicale comme méthode de dépistage pour le cancer thyroïdien et proposait de décrire dans le protocole de radiologie seulement les nodules suspects, suffisamment volumineux pour être candidats à la cytoponction à l’aiguille fine. Les dernières guidelines publiées en 2015 par l’American Thyroid Association recommandent de ne pas ponctionner les nodules thyroïdiens de 1 cm ou moins de plus grand diamètre, même s’ils présentent des caractéristiques échographiques très suspectes de malignité, en l’absence d’autres signes d’envahissement local ou à distance. Néanmoins, les guidelines conseillent de personnaliser la décision de cytoponction en fonction de l’âge du patient. À l’instar du cancer de la prostate, la surveillance active peut être proposée avec sécurité dans des cas bien sélectionnés de PMC, mais cela nécessite une très bonne communication entre le médecin et le patient. Ce dernier doit être informé de toutes les attitudes thérapeutiques possibles, des contraintes du suivi régulier, et doit être en mesure de décider librement du traitement qu’il préfère.
Recommandations pratiques
· La majorité des PMC à faible risque ne progressent pas
· La surveillance active et/ou le report de l’intervention chirurgicale ne modifient pas la survenue de la récidive ou le décès liée à la maladie.
· La surveillance active doit être la première ligne de conduite devant des PMC à faible risque
Correspondance
Dr. Maria-Cristina Burlacu
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’Endocrinologie et Nutrition
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles, Belgique
Références
- Leboulleux S et al. Papillary thyroid microcarcinoma : time to shift from surgery to active surveillance. Lancet Diabet Endocrinol.. 2016; 4(11):933-942.
ouvrir dans Pubmed - Ito Y et al. An observation trial for papillary thyroid microcarcinoma in Japanese patients. World J Surg. 2010; 34: 28-35.
ouvrir dans Pubmed - Miyauchi A et al. Estimation of lifetime probability of disease progression of papillary microcarcinoma of the thyroid during active surveillance. Surgery. 2018; 163: 48-52.
ouvrir dans Pubmed - Brito JP et al. A clinical framework to facilitate risk stratification when considering an active surveillance alternative to immediate biopsy and surgery in papillary microcarcinoma. Thyroid. 2016; 26: 144-149.
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