Dr. ISALINE KAHN
Université catholique de Louvain
Secteur des Sciences de la Santé
Étudiante en Master 4
E-mail : isaline.kahn@student.uclouvain.be
Alors que le nombre d’enfants nés avant terme a beaucoup augmenté jusqu’en 2005 avec, en outre, un succès de la réanimation d’enfants d’âge gestationnel de plus en plus faible, la mortalité périnatale a fortement diminué passant de 45/1000 à 6,5/1000 durant ces trente dernières années, et ce, grâce aux immenses progrès réalisés dans la prise en charge néonatale.
Actuellement, 1% des bébés pèse moins de 1,5 Kg (très faible poids de naissance) à la naissance ce qui correspond plus ou moins à un terme de 32 semaines (grands prématurés).
Les complications les plus fréquentes de la grande prématurité ou de la prématurité extrême (naissance avant 28 semaines de gestation) sont la dysplasie broncho-pulmonaire, ainsi que les lésions de l’encéphale, pouvant entraîner des handicaps cérébraux moteurs ou cognitifs. Bien que la plupart d’entre eux parviennent à mener une vie semblable aux enfants nés à terme, beaucoup d’études démontrent qu’il existe une morbidité plus élevée chez les grands prématurés. Un certain nombre d’entre eux présentent des problèmes d’apprentissage le plus souvent accompagnés de déficits de l’attention ou d’un déficit de quotient intellectuel, rencontrent des difficultés d’ordre neuropsychologique et enfin sont atteints de troubles du comportement,…[1].
En 2009, une méta-analyse réalisée par C. Moens et al. dans Pediatrics [2], démontre que les enfants nés avec un très faible poids de naissance ou étant de grande prématurité présentent un déficit de performances scolaires, des problèmes d’attention, des troubles du comportement (introversion), une plus faible fonction exécutive (planification, organisation, élaboration de stratégie,…). Ces déficits semblent persister à l’âge adulte. Néanmoins, il semblerait qu’ils ne soient pas moins satisfaits de leur qualité de vie et qu’ils n’aient pas une estime d’eux-mêmes plus faible que les groupes contrôles.
Aujourd’hui, les équipes médicales veillent, non seulement à sauver ces grands prématurés en limitant leurs séquelles physiques mais, plus que jamais, elles tentent aussi d’anticiper les traumatismes psychologiques en intégrant une prise en charge globalisée de ces tout petits. Tout est mis en oeuvre pour adoucir leurs souffrances physiques et psychiques : le lien avec les parents est encouragé et un espace de douceur où le toucher prend une place importante est créé pour que ces prématurés extrêmes puissent, par la suite, se développer de la manière la plus harmonieuse possible sur le plan cognitif et psychosocial.
Depuis quelques années, différentes équipes ont publié des études sur les conséquences de la grande prématurité sur le plan de leur bien-être, de leur qualité de vie et de leur estime d’eux-mêmes. Néanmoins, il apparait que leurs conclusions divergent.
S. Saigal et son équipe qui se sont penchés à plusieurs reprises sur le sujet ont eux-mêmes des discordances entre leurs études. En effet, alors qu’ils ont trouvé de réelles différences significatives dans une étude, dans l’autre, ils n’ont pu objectiver que peu de problèmes persistants. En 2000, ils ont démontré, dans une étude où ils suivaient les bébés de très faibles poids de naissance, qu’il existait de subtils problèmes neuropsychologiques, d’apprentissage, de comportement et d’estime de soi. Les enfants nés avantterme n’auraient cependant pas une moins bonne qualité de vie mais en contrepartie, la perception de celle-ci serait évaluée moins bonne par leur parents (3). Par contre, en 2002, ils ont publié une autre étude recherchant à objectiver l’estime de soi chez les adolescents nés prématurément. Ils n’ont cependant pas relevé de réelles différences entre les groupes si ce n’est une diminution des performances athlétiques [4].
Une étude menée par Allin et al. en 2006 [5] fait état, elle, de résultats qui relève un score significativement plus important aux questionnaires objectivant leur « neuroticisme » (angoisses, dépression, basse estime de soi) et un score moins élevé au niveau de leur « extraversion » (sociabilité, joie de vivre, recherche de sensations…). Ils ne notent cependant pas de différence dans les scores de psychotisme (agression, froideur, comportement antisocial).
L’équipe finlandaise de E. Kajantie publie en 2008 dans Pediatrics les effets de la prématurité sur la morbidité psychologique [6]. L’estime de soi est un peu altérée et la grande prématurité serait un facteur de risque pour un déficit de compétences sociales. Les prématurés ont un retard de relation sexuelle et quittent le foyer parental en moyenne, plus tard que la population contrôle. Au vu des discordances qui existent aujourd’hui au sein de la littérature, il est très important de se pencher d’avantage sur cet aspect. Il est dès lors utile d’étudier, encore et encore, ce sujet délicat pour tenter de mettre en évidence une tendance qui nous éclairera sur le devenir de ces toutpetits et des décisions à prendre, sur l’amélioration qui peut encore être apportée lors de leur prise en charge durant leur séjour dans les services de néonatologie et sur le questionnement éthique que pose la réanimation néonatale des très grands prématurés, car si l’on permet la survie, il est nécessaire de se demander à quel prix…
Cinquante enfants ont été sélectionnés au hasard, dans les bases de données des Cliniques universitaires Saint Luc, nés entre 24 et 32 6/7 semaines de gestation entre 1996 et 1998. Vingt-cinq ont répondu par l’affirmative, deux ont décliné. Les vingt-trois autres n’ont pas répondu et vingttrois des enfants ont effectivement répondu aux questionnaires. L’échantillon contrôle a été construit, dans la mesure du possible, avec des connaissances des enfants nés prématurément de même âge et sexe mais aussi à l’aide de connaissances de notre entourage. Afin de respecter les principes relatifs au bien-être du patient, le parent/tuteur légal a marqué son accord écrit et signé à la participation de l’étude. Les statuts socio-économiques des sujets ont été définis à l’aide des travaux de Ph. Genoud, qui s’est basé sur le modèle de Hollingshead (1971-1975). (Tableau 1)
Afin d’évaluer au mieux le bien-être, nous avons choisi cinq paramètres qui entrent dans la définition de celuici. Pour ce faire, nous avons utilisés cinq questionnaires validés portant respectivement sur l’anxiété, la dépression, la confiance en soi, la sociabilité et la qualité de vie. R-CMAS (The revised children’s manifest of anxiety) L’échelle révisée de l’expression de l’anxiété pour enfant est un test qui évalue l’anxiété chez les enfants et adolescents. Elle comporte 5 notes : note totale d’anxiété, anxiété psychologique, inquiétude/hypersensibilité, préoccupations sociales/concentration ainsi qu’une échelle de mensonge. Les enfants étaient tenus de répondre par oui ou par non à 37 items. Les notes brutes, calculées via une grille, étaient ensuite converties en percentile et notes standardisées La moyenne de note standard à l’échelle totale de l’anxiété est de 50, l’écart type de 10. Un enfant est considéré pathologiquement anxieux lorsqu’il dépasse de 2 écarts-types la moyenne. MDI-C (The multiscore depression inventory for children) L’échelle de dépression pour enfant a pour but de décrypter les enfants à tendance dépressive. Elle comporte huit souséchelles : anxiété, estime de soi, humeur triste, sentiments d’impuissance, introversion sociale, faible énergie, pessimisme, provocation. En outre, elle comporte un indice de réponses rares ainsi qu’un indicatif de risques suicidaires. Les enfants répondent par vrai ou faux à 79 items. Les notes brutes sont calculées à partir d’une grille et peuvent ensuite être converties en percentile et notes standardisées. Les notes élevées indiquent la sévérité globale de la dépression. Une note supérieure à T=56 indique une dépression légère à modérée. Une note supérieure à 65 indique une dépression modérée à sévère. Une note plus élevée que 75 montre elle, une dépression sévère.
L’inventaire de Coopersmith
L’échelle de l’estime de soi de Coopersmith est un questionnaire sous la forme de 58 items où il faut répondre par « me ressemble » ou « ne me ressemble pas ». Elle comprend 5 sous-échelles : échelle générale, échelle sociale, échelle familiale, échelle scolaire et échelle de mensonge. La note totale est ensuite convertie en percentile et mesure l’estime de soi globale. Les résultats sont subdivisés en 5 types allant de 1 à 5. Une note percentile en-dessous de 18 démontre une estime de soi très basse et correspond au type 1.
CPI-R (California psychological inventory, revised) À partir de ce test, un profil peut être émis et est divisé en 4 types : alpha (ambition, actif, confiant, leader ou égocentrique, manipulateur) ; beta (bonté, perspicacité, conformiste, craintif, sans énergie) ; gamma (valeurs personnelles, incrédules, innovateur, rebelles intolérants, impulsifs) ; delta (intériorisés, valeurs personnelles, détachés, créatifs sensibles, en retrait, conflits intérieurs.
Ces personnalités sont ensuite subdivisées en niveau allant de 1 à 7, ce qui représente la façon dont chacun va tirer parti de ses forces de caractère et de la manière dont il s’accepte.
QOL-scale (Quality of life scale)
Pour terminer, les enfants ont été soumis à un questionnaire s’intéressant à leur qualité de vie. Celui-ci est divisé en 8 sous-échelles : possession, santé, rendement, intimité, sécurité, activité, qualité de vie émotionnelle et subjective. L’ensemble de celles-ci donne la qualité de vie globale. Les enfants devaient répondre en entourant les réponses qui leur correspondaient le mieux. La correction se fait manuellement.
Les enfants nés prématurément seraient plus à risque d’avoir un score plus élevé à l’échelle d’anxiété ainsi qu’à l’échelle de dépression. Ils ont également plus de risque d’obtenir une côte plus basse à la réalisation du test mesurant leur confiance en eux et une qualité de vie ressentie moins bonne que la population contrôle. Enfin, ils auraient moins tendance à exploiter les qualités de leur personnalité mais aussi plus tendance à avoir une personnalité plus renfermée que la population contrôle via le test du CPI-R.
Les différences statistiques ont été examinées à l’aide du Student’s test pour comparer deux groupes (variables continues) et ANOVA pour comparer plus de deux groupes (variables continues). Pour les variables non-continues, le test de chi-carré a été utilisé. Les analyses ont été réalisées à l’aide de Graphprism 6. Les résultats significatifs sont ceux obtenant une p-value à moins de 0,O5. Le terme de tendance est utilisé pour les résultats pour lesquels une p-value à 0,1 est obtenue.
Il n’existe pas de différences significatives lors de la comparaison du groupe d’enfants nés prématurément et groupe contrôle avec une p-value à 0,16 (Figure 1A).
Cependant, notons que si le groupe d’enfants nés très grands prématurés est comparé avec le groupe contrôle, une tendance se dessine avec une p-value=0,09 (Figure 1B).
Afin d’observer si les différences peuvent être induites par le statut socio-économique, l’anxiété de l’ensemble des PT et des CT ont été comparés en fonction de leur classe socio-économique, divisées en 3 sous groupes (inférieure, moyenne, supérieure). Aucune différence significative n’est observée si l’on prend l’ensemble des participants à l’étude (figure 1C) néanmoins, dans le groupe d’enfants prématurés, l’influence des classes socio-économique semblent se dessiner. (p-value=0,06) (Figure 1D).
Aucune différence significative n’est relevée dans l’analyse des résultats au test de la dépression si l’on compare l’ensemble des prématurés avec les contrôles. Néanmoins, à l’analyse de la population d’enfants nés avant 29 semaines de gestation versus la population contrôle une différence significative est observée (p-value< 0,01) (Figure 2). Les graphes comportant une * montrent les résultats significatifs.
La comparaison entre les différents niveaux de l’inventaire de Coopersmith démontre des résultats significatifs avec un nombre plus élevé d’enfants prématurés correspondant au type 2 et 3 et un nombre plus élevé de contrôles correspondant au type 4. Les types 1 et 5 comportent très peu de valeurs et sont donc difficilement interprétables. (P-value <0,05) (Figure 3A). Les résultats exprimés en percentile montrent eux-aussi une différence significative (p-value = 0,015) si l’on considère les enfants nés à moins de 29 semaines de gestation (Figure 3C). Les percentiles de l’ensemble de pré-terme comparés à la population contrôle ne diffèrent pas significativement (Figure 3B).
Le questionnaire de la sociabilité divisait ses résultats en types (alpha, beta, gamma, delta) et niveaux. Les résultats sont revenus significatifs (p-value<0,01) lorsque l’on compare les enfants nés avant 29 semaines de gestation avec les contrôles (Figure 4A et 4B).
Les résultats des questionnaires objectivant la qualité de vie ne démontrent aucune différence entre le groupe des prématurés et le groupe contrôle (Figure 5A). Les différences ne sont pas non plus significatives lorsque l’on compare les enfants nés à moins de 29 semaines de gestation avec les contrôles (figure 5B) ni lorsque l’on compare les différentes classes économiques du point de vue de leur qualité de vie (Figure 5D). Aucune différence n’est perçue lorsque l’on compare au sein de la population pré-terme les différentes classes socio-économiques du point de vue de leur qualité de vie (Figure 5E).
Néanmoins, si l’on considère la sous-étude au sujet de leur santé dans le questionnaire de la qualité de vie, on note une différence significative entre les sujets prématurés et les sujets contrôles (p-value <0,1) (Figure 5C).
Malgré qu’il n’y ait pas de différences si l’on considère l’ensemble des enfants prématurés versus les contrôles, cette étude relève des résultats significatifs lorsque l’on compare les enfants nés avant 29 semaines avec les contrôles. L’anxiété augmente donc lorsque l’âge gestationnel diminue. À travers ces résultats, on remarque que l’anxiété semblerait plus importante chez les enfants prématurés provenant d’une classe sociale inférieure. Il est en effet déjà connu que l’environnement socio-économique des anciens prématurés a un impact sur l’évolution de ceux-ci au niveau de leur développement (santé, apprentissage) [11] qui peut être un facteur pronostic plus important que les facteurs périnataux eux-mêmes.
Concernant l’échelle de la dépression, les différences significatives se retrouvent lors de la comparaison de l’échantillon des enfants nés avant 29 semaines de gestation. En ce qui concerne l’estime de soi, un nombre significativement plus élevé de prématurés ont un niveau 2 et 3 à l’échelle alors qu’un plus grand nombre d’enfants contrôles se situe à 4. Nous pouvons donc conclure que l’estime de soi a tendance à être plus basse pour les enfants prématurés.
À l’échelle de la sociabilité, des différences significatives sont obtenues. En effet, la personnalité dite delta se retrouve chez environ 50% des enfants pré-termes (<29 semaines) contre seulement 20% des contrôles. À l’inverse, les enfants contrôles sont plus nombreux dans les types beta et alpha. La personnalité gamma, elle, est par contre retrouvée dans les mêmes proportions au sein des groupes. Non seulement, les enfants prématurés (<29 semaines) ont tendance à appartenir aux personnalités plus introverties mais, en plus, pour l’ensemble des 4 personnalités, ils obtiennent un niveau plus faible à la réalisation de soi. Cela nous montre qu’ils ont manifestement moins tendance à se réaliser dans leurs traits de caractère, qui plus est, déjà introverti. Ceci a déjà été décrit dans des études auparavant, où différents auteurs [8,9] parlent d’une plus grande timidité, d’inhibition, de retrait de ces individus, une tendance moindre au leadership.
Enfin, les hypothèses concernant la perception de leur qualité de vie ne sont, quant à elles, pas vérifiées par notre étude.
Au regard des conclusions de ces résultats, il est intéressant de les comparer avec ceux d’autres études dans la littérature. Anderson & Doyle [8], Allin et al. [5], Dahl et al. [10], ont tous les trois objectivé plus de troubles du comportement chez les enfants prématurés (troubles internalisés : anxiété, dépression, basse estime de soi et troubles externalisés : colère, opposition, agressivité). Rickards et al. [11] montrent également une moins bonne estime de soi dans cette population. Ils notent, en outre, un rejet social accru. Palton et al. [12] ont eux aussi décrit un plus grand nombre de trouble dépressif chez les adolescents nés prématurément.
Tideman et son équipe n’ont, quant à eux, pas objectivé de différence tant au niveau de l’estime de soi qu’au niveau de la qualité de vie [13].
Concernant la qualité de vie, on remarque dans l’étude de Tideman [13] ainsi que dans celle de Saigal [3,4] qu’il n’existe pas de différences. Ceci correspond donc bien aux résultats que nous avons obtenus.
Les limites de cette étude sont multiples et peuvent être à l’origine d’un bon nombre de biais et d’erreurs. Tout d’abord, n’oublions pas, qu’en effet, il s’agit ici d’une étude menée à petite échelle, à savoir 23 enfants nés prématurément et seulement 16 contrôles. Il est dès lors aisément compréhensible que tirer des généralités hautement significatives est délicat.
De plus, cette cohorte intègre des enfants en plein âge adolescent, soit un âge difficile pour tout un chacun, prématuré ou non. Un âge où la remise en question est souvent de mise, le manque de confiance et d’estime de soi, la dépression et l’anxiété sont plus souvent rencontrés. Une autre réflexion susceptible d’avoir un impact sur nos résultats est celle de savoir quels sont ceux qui ont accepté d’y participer ?
Effectivement, une lettre a été envoyée à 50 enfants mais seuls 25 ont répondu par l’affirmative. Pourquoi les autres n’ont pas répondu ou ont même refusé? Une maman ayant décliné la proposition a expliqué les raisons de leur refus, à elle et à ses jumeaux. Elle explique, à travers un courrier électronique, qu’il est très difficile pour ses enfants de répondre à un tel questionnaire portant sur le bien-être alors que leur dynamique familiale et personnelle se trouve fortement perturbée par le handicap d’un des jumeaux prématurés. Dans cet âge effectivement difficile qu’est l’adolescence, les conséquences directes de la prématurité d’un de leurs enfants viennent complexifier le bien-être personnel des différents membres de la fratrie qui ne sont dès lors pas disposés à l’heure actuelle à répondre à un tel questionnaire. Cet exemple illustre bien, via ce seul refus justifié, que ceux qui ne désirent pas participer pourraient potentiellement être ceux pour qui il est difficile, voire impossible, d’aborder ce type de sujet délicat aujourd’hui.
Ensuite, les anciens prématurés sont des enfants connus, grâce à de nombreuses études, pour avoir des difficultés d’apprentissage et de concentration. Le déficit d’attention et d’hyperactivité chez l’ancien prématuré serait 3 à 4 fois plus élevé que dans la population générale. C’est pourquoi, on peut se demander si la longueur des questionnaires n’avait pas eu un impact sur la fiabilité de leurs réponses. Enfin, par essence, l’ensemble des questionnaires reste malgré tout très subjectif. En effet, de par les paramètres étudiés, il est difficile d’établir des questionnaires permettant une évaluation objective par les enfants [14,15].
Rôle du stress en néonatologie
Le stress en néonatologie trouve son origine sous bien des formes telles que le manque de proximité maternelle, le bruit ambiant, la lumière, l’intervention de l’équipe soignante, les manipulations et procédures douloureuses, les pathologies inhérentes à leur condition.
Autant de situations qui tendent à augmenter non seulement les fréquences respiratoire et cardiaque mais aussi la labilité tensionnelle de ces enfants admis en néonatologie entraînant de la sorte des stress qui augmentent leur consommation en oxygène et donc leur fatigue, ainsi que leur besoin en calories ce qui ralentira leur croissance ou encore provoquera des altérations de l’hémodynamique cérébrale avec un risque d’hémorragies ou d’ischémies. Ces situations vont également avoir un impact sur les modifications épigénétiques au sein de l’axe hypothalamo-pituitohypophysaire, au sein de l’hippocampe, impact également sur l’organisation neuronale. Modifications qui sont principalement médiées par l’environnement stressant en pré et post-natal. Le stress vécu durant cette période aura des conséquences importantes non seulement sur le développement du cerveau mais aussi sur les réponses aux stress ultérieurs dans la vie future de l’enfant, le rendant, en outre, à plus haut risque de développer des maladies psychiatriques (schizophrénie, dépression, anxiété) [16-18].
L’optimisation de l’environnement en néonatologie est certainement une des préoccupations majeures des équipes soignantes d’aujourd’hui [19].
Une autre piste explorée ces dernières années est l’apport de la méthode kangourou qui tendrait à diminuer le stress vécu par l’enfant prématuré tout en augmentant l’interaction entre parents-enfants [20].
En diminuant ainsi au maximum les stress vécus par ces tout petits durant l’hospitalisation, on permet tout d’abord une meilleure qualité de vie de ceux-ci durant leur séjour en néonatologie mais aussi, on réduit les conséquences à long-terme, décrites ci-dessus, du stress sur leur développement cérébral.
Autres facteurs potentiels
Un facteur supplémentaire non-négligeable à évaluer dans ces désordres est l’effet de la parentalité des enfants prématurés sur leur développement. Ayala Muriel Borghini s’est penchée sur la question dans sa thèse en 2007 [19].
À travers ses recherches, on peut noter qu’une naissance prématurée va fortement perturber le processus de la parentalité qui est déjà complexe en soi. De par le stress et l’anxiété que cela va générer, plusieurs schémas de réponses chez les mères vont se dessiner. La façon dont les parents vont vivre et surmonter leurs angoisses va déterminer, en partie, la capacité de l’enfant à se développer de façon harmonieuse. Cette anxiété ne serait néanmoins pas en relation avec la sévérité du risque néonatal.
Par la suite, lorsque l’enfant va grandir, on remarque que certains parents vont soit avoir tendance à minimiser les problèmes de développement ou de comportements de leur enfant ou bien, à l’inverse, les exagérer. Dans les deux cas, ces réactions vont potentiellement altérer le développement des anciens prématurés.
Les méthodes développées dans les services de néonatologie afin d’optimiser le lien mère-enfant telles que la méthode kangourou et/ou l’implication directe dans les soins de base vont permettre à ces parents d’investir leur enfant et de créer avec lui, malgré l’environnement peu adéquat, un lien. Malgré tous ces efforts, le stress et l’anxiété connus par les parents durant l’hospitalisation, la peur de la perte de l’enfant ou des séquelles éventuelles vont modifier la relation qui va s’établir entre eux.
Les extrêmes prématurés (<29 semaines de gestation) présentent plus de troubles de l’anxiété et de dépression. Ils ont tendance à avoir une moins bonne estime d’euxmêmes et ont des personnalités plus introverties que la population contrôle. Cependant, ils ne semblent pas avoir une moins bonne qualité de vie que leur pairs nés à terme.
À l’avenir, il semble nécessaire d’objectiver, de mieux en mieux, les déficits potentiels de bien-être de ces anciens petits patients.
D’une part, il serait pertinent de réfléchir à une meilleure manière d’appréhender les variables afin d’obtenir des données comparables et d’en améliorer ainsi la validité statistique.
Une des pistes serait de se baser sur l’observation des comportements en société de ces anciens prématurés et de leurs types de réactions face à des stress définis.
D’autre part, il sera important d’affiner la notion de la qualité de vie - tant au niveau objectif que subjectif - chez les anciens prématurés mais aussi la perception de celle-ci par leurs proches.
Il apparaitrait judicieux d’organiser le recensement de populations entières de prématurés, issues de différents pays, via des bases de données nationales et ainsi relever différentes paramètres tels que les enfants nécessitant une prise en charge scolaire spécialisée, leur taux d’inscriptions à des mouvements de jeunesse, clubs sportifs, activités parascolaires, ceux ayant réussi - à l’âge adulte - des études supérieures, ceux vivant encore chez leurs parents, recenser le nombre d’anciens prématurés atteints de dépression, de troubles de l’anxiété, ou d’autres pathologies psychiatriques (schizophrénie,…) afin de les rassembler et de pouvoir ainsi les confronter entre elles.
Il serait également intéressant d’augmenter le nombre d’études visant une population adulte, ainsi que de répéter ces études dans le temps.
Les corréler avec le type de prise en charge dont ils ont bénéficié et ce, en fonction de leurs degré de prématurité et des complications qu’ils ont développées, permettraient de comprendre l’influence de ces paramètres sur les troubles psychosociaux persistants à l’âge adulte. Enfin, on remarque combien les changements d’approche et de modes opératoires dans la prise en charge de ces bébés, grands prématurés, durant ces trente dernières années, ont réussi à transformer leur pronostic vital mais aussi leur qualité de vie à l’âge adulte.
En conclusion, il est donc important de continuer à se pencher sur ce sujet dans des études à venir, en tentant de comprendre des cohortes plus grandes tout en bénéficiant de moyens plus pertinents d’évaluation. Il sera ainsi possible d’avancer dans l’évaluation de ce très délicat paramètre qu’est le bien-être, le but final étant d’améliorer, encore et encore, les dispositifs mis en place pour limiter le stress et ses répercussions dans le long terme chez ces anciens prématurés.
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(1) Pr. Christian Debauche, Chef de Service, Service de néonatologie, Cliniques universitaires Saint-Luc.