Contexte
Notre hôpital compte 1154 lits. Par an, 1200 personnes décèdent dans toutes les unités de soins, sans distinction. Une question revient souvent parmi les soignants « Que dire, que faire, face à un patient en fin de vie ? ». Ce qui nous amène à une réflexion qui implique la singularité de l’individu et ses questionnements. Nous nous sommes intéressés aux questions que se posent les soignants et avons interrogé les équipes dans leurs pratiques.
Pour y répondre, nous avons invité 8 secteurs de soins à réfléchir à 6 questions concrètes qui se posent à eux quotidiennement. Les équipes des soins intensifs, de gériatrie, du pôle mère-enfant, de géronto-psychiatrie, de chirurgie, de médecine-dialyse, d’onco-hématologie et de psychiatrie sont parties de leur expérience pour partager avec les soignants et autres prestataires de notre institution les ressources mises au service du patient en fin de vie et de son entourage. Elles ont aussi abordé la manière dont elles ont transcendé les difficultés spécifiques dans cette pratique.
Les directions médicale et infirmière ont dès le début soutenu cette démarche.
Les questions identifiées ont alimenté la discussion avec les participants lors des 8 séminaires qui ont eu lieu de janvier à octobre 2017. Bien qu’issus de l’univers spécifique à chaque unité, ces questions rejoignent des préoccupations communes à tous les soignants.
Ces séminaires ont permis d’aider les soignants de tout l’hôpital - quel que soit leur ancienneté – à apprivoiser la fin de vie et la mort d’un patient, à acquérir des compétences professionnelles et à développer une cohérence entre le discours et les attitudes tant auprès du patient que de ses proches.
En vue de poursuivre la réflexion et de valider les interrogations des équipes, des recommandations ont été élaborées à partir de leurs questions et de leurs pistes de réponses proposées.
Le fondement de ces recommandations repose sur une approche pluridisciplinaire, notamment grâce aux apports du vécu et des expériences des équipes de soins. Le « prendre soin » est lié au contexte, aux situations, à l’histoire d’une équipe et sa discipline.
Les 35 recommandations sont le résultat d’un cheminement de trois années de recherche, construit à partir d’un regard posé sur les équipes de soins, un travail collectif, un partage du vécu, un recueil des outils et des pratiques issues du discours et des réflexions des soignants. En observant le travail pluridisciplinaire des équipes soignantes, nous pouvons dire qu’il n’existe pas une seule façon d’aborder la fin de vie mais plusieurs. Le cheminement avec les équipes de soins et l’écriture des recommandations ont permis de rendre visible ce qui restait dans l’ombre et, ainsi, de faire éclore une sagesse pratique.
Nous souhaitons que ce message issu du terrain contribue à l’évolution des pratiques. Elles ont été pensées à partir des différents protagonistes : le patient, son entourage et les soignants. Nous avons choisi de nous adresser aux soignants en particulier car c’est à nous d’améliorer nos compétences, d’affiner notre regard pour accompagner au mieux les personnes en fin de vie.
Actuellement, ces recommandations sont éditées sur l’intranet de l’hôpital dans un onglet spécifique permettant à toutes les disciplines de les consulter librement et facilement. Nous pensons les réactiver dans le temps à travers des présentations créatives et un suivi via l’équipe mobile de soins palliatifs, pour qu’elles restent vivantes dans le chef des soignants. Nous communiquons vers les médecins référents à chaque étape de diffusion. Nous déployons d’autres projets pour poursuivre cette diffusion et sensibiliser un maximum d’intervenants. Nous collaborons également avec tout projet au sein du GHdC qui aborde les questions de fin de vie.
I. Accompagner les soignants
Nous reprenons ici la définition du « soignant » proposée par le courant « Humanitude » (1) : « Etre soignant, ce n’est pas soigner, mais prendre soin d’une personne unique. Le malade se soigne lui-même, avec notre aide … c’est lui qui se « répare ». La prothèse que le chirurgien pose ne sert à rien si la calcification ne se fait pas, la perfusion non plus si le sang ne circule pas. Cette notion est souvent à rappeler et doit nous inciter à plus de modestie dans l’exercice de notre métier. Cette humilité est sans doute la seule façon de permettre au patient de garder son pouvoir, nécessaire à l’énergie de sa guérison. Nous devons être capables d’empathie pour nous en rapprocher et non de pitié ».
Sous le terme soignant, nous regroupons diverses professions : médecin, infirmière, aide-soignante, psychologue, kinésithérapeutes, diététicienne, assistante sociale, …
Échanger en équipe
Chaque métier a un angle de vision différent. Le travail en équipe pluridisciplinaire permet d’avoir un regard plus global prenant en compte la complexité de chaque métier.
1. Mettre en place ou maintenir des staffs pluridisciplinaires
- Collaborer avec les différents intervenants, médicaux, infirmiers, paramédicaux et reconnaître leurs compétences.
- Faire le point de manière régulière sur la situation du patient.
- Apprendre à questionner le sens de certains soins/traitements en équipe, en s’appuyant sur les compétences de chacun.
2. Éviter l’identification au patient
Eviter l’identification au patient : celle-ci permet d’entrer en communication avec lui. Elle devient délétère quand elle empêche de saisir la distance entre l’autre (le malade) et soi (le soignant). Une stratégie à adopter serait dans un compromis délicat entre proximité et distanciation.
- Garder la juste distance, sortir de la toute-puissance.
- Eviter les amalgames entre les différents patients rencontrés au cours de sa carrière.
3. Garantir la qualité des transmissions entre les équipes
- Soigner sa communication en se demandant : « Que dirais-je si le patient était dans la pièce ? ».
4. Utiliser le cahier de liaison dans le cadre de l’interface hôpital-domicile
- Garder le lien entre les différents intervenants qui s’occupent d’un patient.
- Assurer une fin de vie confortable au patient lors de son retour à domicile.
5. Envisager des débriefings
- Permettre à chacun d’exprimer son point de vue sans jugement.
- Libérer la parole de chaque intervenant. Entendre les opinions des autres permet de mieux valider leurs avis.
6. Informer le patient dans un cadre adapté
- Choisir le lieu et le moment adéquats : ne pas informer le patient dans un couloir.
- Veiller à sa posture et au choix des mots.
- Communiquer en toute transparence et authenticité.
7. Faire appel à l’Equipe Mobile de Soins palliatifs (EMSP)
Réfléchir ensemble à la demande et à ce qui est à mettre en place, l’EMSP passe d’office une fois par semaine sur les différents sites et est appelable.
Améliorer ses compétences
8. Autoriser une certaine créativité dans les soins
- Adapter les soins à la singularité de la personne et à sa situation.
- Être créatif selon ses compétences propres.
9. Veiller à la formation continue
- Parfaire ses connaissances (spécifiques à chaque soignant) en fonction de ses besoins.
- Envisager également la formation continue à travers l’échange de compétences entre pairs.
- Former l’équipe afin de préciser les choix thérapeutiques avec discernement, en évitant l’identification au patient.
- Connaître et utiliser les protocoles disponibles dans les services (ex. : douleur, sédation, …).
- Se former aux soins de confort.
- Se former à l’éthique.
Utiliser les antalgiques de manière adaptée
En parallèle au traitement antalgique, assurer le confort par un nursing soigné, une présence attentive, une disponibilité.
10. Démystifier l’usage des morphiniques
- Rappeler que c’est l’intention qui valide l’action (tant que l’action reste liée au confort, elle est légalement et éthiquement acceptable).
- Connaître et utiliser les échelles de la douleur
11. Promouvoir l’utilisation des différents antalgiques
- Connaître les pratiques d’administration des antalgiques.
- Faire adapter le traitement antalgique si nécessaire.
Éviter l’évitement
Il est très tentant d’éviter les situations qui nous mettent mal à l’aise, les situations complexes. Pour y parvenir voici quelques pistes
12. Être présent à ce qui est en train de se passer ici et maintenant
13. Être disponible
14. Prendre le temps d’expliquer tout en gardant le patient au centre
15. Veiller à une cohérence entre le discours et les attitudes
16. Nommer au sein de l’équipe des personnes de référence pour les situations palliatives (parrainage au sein de l’équipe)
17. Avoir conscience de ses limites
18. Différencier évitement et conditions de travail (réalité professionnelle de surcharge, …)
II. Accompagner les patients
En référence à la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient (2), le patient est défini comme « la personne physique à qui des soins de santé sont dispensés, à sa demande ou non ».
Au-delà de cette définition, il est important de tenir compte de différents aspects pour accompagner au mieux le patient. Celui-ci est avant tout un sujet de soin singulier pour lequel la temporalité de la maladie actuelle s’inscrit dans le contexte de toute une histoire de vie. Par son histoire et sa personnalité, le patient a sa propre manière d’interagir avec sa maladie et le monde médical.
Le patient est donc une personne qui vit un moment de fragilité avec une temporalité particulière.
19. Élaborer et discuter un projet thérapeutique
Le projet thérapeutique permet de répondre, en équipe et en restant à l’écoute du patient, à la question « Que faire pour bien faire ? ». Il permet de se poser dans des situations où il est difficile d’y voir clair. Il est essentiel de le déterminer ensemble : soignants et patient. Il est utile de contacter également le médecin traitant pour le remettre dans le contexte des soins déjà reçus.
Le projet thérapeutique reflète les souhaits de fin de vie du patient.
Il permet d’éviter les traitements dépourvus de sens. Il améliore la cohérence de la prise en charge et de la communication au sein de l’équipe et de la famille.
De plus, le SPF Santé Publique a édité un document pour compléter correctement les déclarations anticipées de fin de vie, les sujets abordés peuvent aussi faire partie du projet thérapeutique ou du moins ouvrir le dialogue avec le patient (4) :
- la déclaration anticipée négative (pas d’acharnement) ;
- la déclaration anticipée relative à l’euthanasie ;
- la déclaration relative aux obsèques ;
- la déclaration relative au don d’organes ;
- le leg de son corps à la science.
- Rédiger le projet thérapeutique en concertation avec le patient (ou son mandataire) et l’équipe de soin et le médecin traitant.
- Transmettre le projet thérapeuthique à l’équipe soignante et aux équipes de soins transversales.
- Encoder le projet thérapeutique dans le dossier patient intégré
- Dater et signer le projet thérapeutique par le médecin titulaire du patient.
20. Mettre à jour régulièrement le document
Au minimum une fois par semaine ou dans la singularité de l’évolution du patient.
21. Dater et signer le document à chaque mise à jour
- Le projet thérapeutique fait partie intégrante du dossier patient.
- Les anciens doivent être archivés.
22. Mettre le patient au centre des préoccupations des soignants
« Chaque patient reçoit au vu de ses besoins les meilleurs soins possibles en fonction des connaissances médicales et de la technologie disponible. Les prestations sont dispensées dans le respect de la dignité humaine et de l’autonomie du patient, sans la moindre discrimination (ex : classe sociale, orientation sexuelle et conviction philosophique ou religieuse). Les soins visant à prévenir, traiter et soulager la douleur physique et psychique, font partie intégrante du traitement du patient ».
23. Mettre le patient au centre des concertations
Savoir ce que souhaite le patient. En cas d’incapacité du patient à donner son point de vue se référer à son représentant (2) et/ou son aidant proche (5) et/ou la personne de confiance
24. Obtenir le consentement du patient
Expliquer les tenants et aboutissants des propositions faites au niveau médical et nursing (3) et le noter dans le dossier du patient.
25. « Prendre soin » du patient
- Annoncer les soins aux patients et à leurs proches (changer une perfusion, mise en place antidouleur...).
- Adapter les traitements de confort.
- Limiter les gestes douloureux.
- Démystifier la morphine.
- Adapter les soins et l’environnement.
- Favoriser l’environnement affectif.
III. Accompagner les proches
Les proches sont « l’ensemble des personnes significatives pour un patient, au-delà des liens de sang ».
Tenir compte des proches du patient
26. Accompagner malgré l’agressivité
L’agressivité cache souvent beaucoup de souffrance et de culpabilité.
27. Être capable de répondre sur le plan relationnel
À la question « Combien de temps ça va encore durer ? », répondre en tenant compte de notre méconnaissance du mystère de la fin de vie. Oser dire « je ne sais pas » et assurer les proches de notre préoccupation du confort du patient jusqu’au bout.
28. Rester disponible pour les proches après le décès du patient
Pour les aider à faire leur deuil, ils peuvent avoir besoin de rencontrer l’équipe, de participer au groupe deuil du GHdC, de rencontrer un psychologue...
Reconnaitre la place de l’entourage
29. Rappeler à l’entourage que le patient est au centre de la prise en charge et que tous les soins seront faits pour assurer son confort
30. Reconnaitre qu’une situation de fin de vie qui se prolonge peut-être source de souffrances pour l’entourage
Cette temporalité questionne souvent le sens et la valeur de la vie dans ces souffrances qui perdurent.
31. Garder à l’esprit que l’entourage confie son proche aux soignants
Notions de « confiance partagée » et de « respect de la parole de chacun » dans l’accompagnement.
32. Valoriser la connaissance qu’a l’entourage du patient et de sa singularité
Des documents sur le sujet ont été édités par l’association « Aidants Proches » (5).
33. Reconnaître l’investissement des proches auprès du patient, le valoriser
Être à l’écoute de la situation et du vécu de l’entourage, pour lui permettre d’accompagner au mieux le patient.
34. Aider les proches à faire la différence entre leur bien- être et celui du patient
Rencontrer l’entourage dans sa propre souffrance, en tenant compte du fait que sa temporalité est différente de celles du patient et du soignant.
35. Accepter la différence
Ne pas poser de jugement, expliquer et réexpliquer les informations en toute transparence.
Envoi
Chacune de ces 35 recommandations est à décliner, préciser avec créativité. Ce travail va aussi se déployer à l’avenir avec d’autres intervenants pour inscrire cette démarche au chevet du patient en fin de vie. Il serait bon d’élargir aussi la réflexion sur la démystification de l’usage de tous les sédatifs au moment du choix thérapeutique dans cette temporalité du prendre soin.
Notre souhait est que ces recommandations continuent à rencontrer l’intérêt des directions médicale et infirmière pour donner une place au mourir dans l’hôpital quelle que soit l’unité de soin.
Remerciements
Nous remercions le Dr P. Betomvuko, Dr D. Brandt, Dr A. Charon, Dr L. Gillard, Dr F. Hubert, Dr S. Koch, Dr A. Peeters, Dr L. Sinapi et leurs équipes respectives pour leur implication dans ce projet et leur générosité dans le partage de leur expérience de terrain.
Affiliations
Grand Hôpital de Charleroi, B-6060 Gilly
1. Directrice Adjointe Département Infirmier et des Soins, emmanuelle.claes@ghdc.be
2. Psychologue en soins palliatifs, vanessa.baio@ghdc.be
3. Infirmier en chef équipe mobile de soins palliatifs, yannick.courtin@ghdc.be
Correspondance
Mme Emmanuelle Claes
Grand Hôpital de Charleroi
Directrice Adjointe Département Infirmier et des Soins
rue Marguerite Depasse 6
B-6060 Gilly
071/ 10 52 22
emmanuelle.claes@ghdc.be
Références
- Gineste Y, Pellissier J, Humanitude : Comprendre la vieillesse, prendre soin des Hommes vieux , Armand Colin, Malakoff, 2007
- Loi du 22 août 2002 relative aux droits des patients, chapitre 3 article 5. (consulté en juin 2018) Disponible à l’adresse : http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_
- Loi du 22 août 2002 relative aux droits des patients, chapitre 3 article 8 (consulté en juin 2018) Disponible à l’adresse : http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_
- Les déclarations anticipées correctes. ( consulté en juin 2018) disponible à l’adresse : http://wemmel.center/data/VZP_-_Brel_Franstalig.pdf
- Loi du 12 mai 2014 relative à la reconnaissance de l’aidant proche.
- Hesbeen Walter, Prendre soin à l’hôpital : Inscrire le soin infirmier dans une perspective soignante, Masson, Paris, 1997.
- Rogers C.R., La tendance actualisante par rapport aux «motifs» et à la conscience, Approche Centrée sur la Personne pratique et recherche 2011/1 ; 13:65-89.
- Rogers C.R., Le développement de la personne, Dunod, Paris, 1970 2ème éditition.
- Bozarth JD, « Faire » et « Être » : Confusions dans l’Approche centrée sur la personne, Approche Centrée sur la Personne pratique et recherche 2010/2 ; 12 :5-17.
- Campanole F et Dessus P, Projets et pédagogie de projet, 2009, Ed IUFM Grenoble.
- Gendlin ET, Ce qui est primordial, c’est la présence humaine, Approche Centrée sur la Personne Pratique et recherche, 2007 ; 6 (2) : 32-33.
- Bolly C., Vanhalewyn M., Aux sources de l’instant : manuel de soins palliatifs, Ed Werich, 2002.
- Van Laethem J-L, Maréchal R, Guide belge du patient : Comprendre et Traiter le cancer colorectal, Vivio, Bruxelles, 2009.
- Fauré C, Alix S, Accompagner un proche en fin de vie : savoir l’écouter, le comprendre et communiquer avec les médecins. Albin Michel, Paris, 2016
- Laure F., Le guide des techniques d’animation, Dunod, Paris, 2004
- Zerwekh, J.V. Être infirmier en soins palliatifs : accompagner le patient en fin de vie et sa famille. De Boeck, Bruxelles, 2010
- Soum-Pouyalet F., Dilhuydy J-M, Hubert A., Kantor G., Soignant contaminé et malade imaginé : étude anthropologique de la construction de l’individualité en radiothérapie. Bulletin du Cancer, vol. 92, no 7-8, juillet-août 2005, pp. 741-745. John Libbey Eurote