Introduction
La symptomatologie de l’hypercalcémie est très variable (altération de l'état général, fatigue), mais les manifestations neurologiques (céphalées, confusion, apathie, fatigue musculaire, parfois crises convulsives et coma) et cardiaques de cette dernière sont peu connues. Nous rapportons le cas d’un patient présentant une hypercalcémie secondaire à une production excessive de calcitriol dans un contexte de syndrome de Richter hodgkinoïde. Cet article souligne l’importance de réaliser un ionogramme complet chez tout patient présentant une altération de l'état général et des troubles neurologiques inexpliqués, ou encore des anomalies de l’électrocardiogramme. En effet, méconnaître un diagnostic d’hypercalcémie expose le patient, lorsqu’elle est sévère, à des conséquences non négligeables puisque ce trouble ionique peut engager le pronostic vital.
Cas clinique
Un patient de 66 ans est admis aux urgences en raison d’une asthénie et d’une faiblesse généralisée évoluant depuis environ 3 mois, associées à des troubles de la marche. Le patient décrit une perte de force des quatre membres, responsable de chutes à plusieurs reprises.
Il avait par ailleurs présenté un mois auparavant un syndrome fébrile, ayant bien évolué après la prise d’amoxicilline-clavulanate. Une semaine avant son admission, il rapporte à nouveau des pics fébriles, objectivés jusque 39,4°C. En outre, le patient note une inappétence ainsi qu’une perte pondérale évaluée à 8 kilos en l’espace de 3 mois.
Le reste de l’anamnèse systématique est sans grande particularité, en dehors d’une dyspnée d’effort stable et d’une nycturie.
Son histoire médicale comprend principalement une splénectomie en mars 2017, dans un contexte de lymphome splénique. L’histologie avait démontré une infiltration de la rate par un lymphome marginal avec sécrétion de chaines légères Kappa. Le patient ne prend aucun traitement chronique.
À l’examen clinique, nous relevons une franche bradypsychie ainsi qu’un net élargissement du polygone de sustentation. La biologie d’admission en salle d’urgences révèle un syndrome inflammatoire, une légère insuffisance rénale (créatinine 1.39 mg/dl, urée 74 mg/dl) ainsi qu’une perturbation de l’enzymologie hépatique associant cytolyse et cholestase. L’hémogramme est normal.
Devant ce tableau dominé par des symptômes neurologiques, un scanner cérébral puis une ponction lombaire sont initialement réalisés, et ne démontrent pas d’anomalie.
Le bilan est complété par une résonance magnétique cérébrale qui reviendra également normale. Une biologie exhaustive avec ionogramme complet met en évidence une hypercalcémie sévère, mesurée à 3,64 mmol/L (valeurs de référence 2,20 – 2,55 mmol/L). La parathormone est effondrée à 8 pg/ml (valeurs de référence 15 - 80 pg/ml). La PTHrp est indosable (< 20 pg/ml) et la 1,25 (OH)2 vitamine D est majorée à 94,8 pg/ml (valeurs de référence 19,9 - 79,3 pg/ml). Un électrocardiogramme est réalisé. Celui-ci objective des troubles de la repolarisation ainsi qu’une onde J d’Osborn (Figure 1).
Le patient bénéficie par la suite d’un PET-scan, qui montre un hypermétabolisme ganglionnaire, médiastinal postérieur, médullaire ainsi qu’une hypercaptation rénale droite (Figure 2).
Une biopsie du rein droit est réalisée et l’analyse histologique est compatible avec un lymphome de Hodgkin.
Le diagnostic de syndrome de Richter hodgkinoïde sera finalement retenu, compliqué d’hypercalcémie sévère secondaire à une production de calcitriol.
La calcémie demeure stable après hyperhydratation intraveineuse, administration de furosémide et de biphosphonates, mais régressera après administration d’une corticothérapie systémique puis d’une chimiothérapie. Les anomalies de l’électrocardiogramme seront elles aussi corrigées.
Homéostasie du calcium - hypercalcémie : étiologies, symptomatologie, prise en charge
Les valeurs normales de la calcémie totale chez l’adulte se situent entre 2,15 et 2,60 mmol/L (8,6 à 10,4 mg/dl) (1).
Le calcium sérique total est réparti en 3 fractions : 45 % lié à des protéines (en particulier l’albumine), 10 % complexé à des anions (phosphates, citrates, bicarbonates...) et 45 % est libre ou ionisé (fraction active).
La calcémie varie avec le pH et le taux d’albumine. L’alcalose diminue la proportion de calcium ionisé, tandis que l’acidose l’augmente. La calcémie corrigée se calcule à partir de la calcémie et de l’albuminémie: Calcémie corrigée (mmol/L) = Calcémie mesurée + 0,02 x (40 – albuminémie en g/L).
Il est parfois utile de doser le calcium ionisé, en cas de troubles de l’équilibre acido-basique, et d’anomalie du taux de protéines par exemple.
La calcémie est régulée par divers intervenants. La parathormone augmente la calcémie, notamment en favorisant la résorption osseuse, la réabsorption rénale (au niveau du tube contourné distal) et intestinale de calcium, par conversion de 25 (OH) vitamine D en 1,25 (OH)2 vitamine D.
La vitamine D majore l’absorption intestinale de calcium et favorise l’action de la PTH au niveau rénal. La calcitonine diminue la calcémie en permettant sa fixation au niveau osseux.
L’hypercalcémie est définie donc par un taux de calcium total supérieur à 2,6 mmol/l. Lorsqu’elle est symptomatique, l’hypercalcémie est une urgence médicale dont le degré est fonction de la gravité du retentissement clinique. La découverte d’une hypercalcémie impose la réalisation d’un second dosage de confirmation, sans retarder le traitement s’il existe des signes menaçants (éliminer les erreurs de dosage et liées au prélèvement).
Les causes d’hypercalcémie sont nombreuses, mais l’hyperparathyroïdie primaire et les néoplasies représentent 90 % des cas (2).
Les principales étiologies sont reprises dans le tableau 1.
La prévalence de l’hyperparathyroïdie primaire est estimée à 1 - 7 cas pour 1000 adultes. Les données concernant la prévalence et l’incidence des autres causes d’hypercalcémie sont lacunaires. L’hypercalcémie liée aux néoplasies concernerait 2,7 % des patients présentant un cancer aux Etats-Unis (1).
Plusieurs mécanismes sous-tendent l’hypercalcémie en contexte néoplasique, faisant intervenir la production notamment de cytokines, de PTH related peptide (PTH-rp) ou de calcitriol (3,4).
L’hypercalcémie va donc résulter soit :
- d’une ostéolyse directe par invasion métastatique osseuse : cancer du sein, du rein, de la thyroïde, du poumon et myélome : PTH basse, phosphatases alcalines osseuses élevées, images radiologiques ostéolytiques ;
- d’une production de facteurs circulants « PTH like » : PTH related peptide (PTHrp) stimulant la résorption ostéoclastique de l’os : hypercalcémie humorale des affections malignes ou hypercalcémie paranéoplasique : PTH basse et PTHrp élevé. Les néoplasies les plus fréquemment en cause sont cancer du poumon, rein, sein et myélome ;
- d’une production excessive de calcitriol par 1α hydroxylation non régulée de la 25 (OH) vitamine D : lymphomes Hodgkiniens et non Hodgkiniens ou pathologies granulomateuses.
L’hypercalcémie survient chez approximativement 13 % des lymphomes non-hodkiniens (LNH) et chez 5% des lymphomes de Hodgkin. Une élévation sérique de la 1.25 (OH)2 vit D est impliquée chez tous les cas de lymphome Hodgkinien et 30-40 % des LNH (5,6,7).
L’hypercalcémie paranéoplasique est un facteur de mauvais pronostic (8). L’association à des symptômes généraux (fièvre, anorexie, perte d’appétit), de même que l’installation rapide du trouble ionique doivent faire suspecter une néoplasie sous-jacente.
Les manifestations cliniques comprennent une anorexie, nausées et vomissements, asthénie, fatigue musculaire, constipation, douleurs abdominales, confusion, troubles de la conscience, polyurie et polydipsie (secondaires à un diabète insipide néphrogénique).
L’hypercalcémie plus chronique peut-être à l’origine du développement de calcifications viscérales, d’une ostéoporose, et notamment de la formation de lithiases rénales.
Les modifications de l’électrocardiogramme liées à l’hypercalcémie incluent un allongement de l’espace PR (jusqu’au bloc auriculo-ventriculaire), l’apparition d’une onde J (onde de Osborn) à la fin du complexe QRS, un raccourcissement du segment ST et de l’espace QT, une élévation du segment ST, le développement d’une onde T biphasique ou un aplatissement de l’onde T, et rarement la survenue d’une fibrillation ventriculaire (9,10).
La gravité de l’hypercalcémie ainsi que sa rapidité d’installation déterminent l’urgence de la prise en charge. Le traitement repose essentiellement sur l’hyperhydratation intraveineuse, l’administration de biphosphonates ainsi que le traitement de la cause sous-jacente.
En cas d’hypercalcémie sévère (> 3,5 mmol/L), une prise en charge intra-hospitalière est recommandée, et requiert une hyperhydratation intraveineuse consistant en l’administration de 3 à 4 litres de sérum physiologique par 24 heures. En effet, les patients présentant une hypercalcémie sévère sont souvent déshydratés en raison d’un diabète insipide néphrogénique et d’apports hydriques réduits (liés à l’anorexie, les nausées et vomissements, secondaires à l’hypercalcémie elle-même ou à la maladie sous-jacente, cancéreuse par exemple). Il convient cependant d’être vigilant quant à une possible surcharge volémique (en particulier en cas de pathologie cardiaque ou rénale) et au suivi de l’ionogramme (1).
Les diurétiques de l’anse doivent être utilisés avec prudence (1). En effet, si ces derniers permettent de majorer l’excrétion de calcium, ils peuvent potentiellement aggraver certains troubles ioniques ou l’état de déplétion volémique, lorsque utilisés à hautes doses.
Une revue de plusieurs études randomisées et méta-analyses a montré l’absence d’évidence (ou alors limitée) de l’utilisation des diurétiques de l’anse dans le traitement de l’hypercalcémie (11).
Les biphosphonates constituent un traitement de choix. Leur intérêt repose sur leur effet inhibiteur des ostéoclastes (favorisant l’apoptose de ces derniers). Chez les patients présentant une hypercalcémie, la résorption osseuse est en effet accrue, en raison d’une activation des ostéoclastes (1,8).
Le pamidronate (60 à 90 mg en 4 heures) et l’acide zolédronique (4 mg en 15 minutes dans 100 ml de sérum physiologique) ont prouvé leur efficacité dans cette indication (12,13). L’administration est contre-indiquée chez les patients présentant une insuffisance rénale (clearance de créatinine < 30 ml/min).
Par ailleurs, la calcitonine permet un effet très rapide (dans les 2 heures) mais très court (tolérance dans les 2 jours), en inhibant la résorption osseuse et réduisant la réabsorption tubulaire rénale.
L’intérêt du Denosumab (anticorps monoclonal se liant au RANK-ligand, inhibant la maturation, l’activation et la fonction des ostéoclastes) a été étudié, et a pu montrer une diminution de la calcémie chez certains patients réfractaires à l’utilisation des biphosphonates (14). D’autres études sont nécessaires pour confirmer son intérêt.
Le recours à l’hémodialyse est parfois nécessaire dans les cas très sévères ou associés à une insuffisance rénale.
Enfin, le traitement de la maladie sous-jacente est primordial, et permet de réduire le taux sérique de calcium : arrêt des médications incriminées, intervention chirurgicale en cas d’hyperparathyroïdie primaire (ou plus rarement traitement calcimimétique par cinacalcet), chirurgie/radio/chimiothérapie en cas de maladies néoplasiques ou pathologies lymphoprolifératives.
Notons que l’utilisation de corticoïdes conduit à une inhibition de la 1-alpha-hydroxylase et ainsi à une réduction du taux de calcitriol, dans les maladies granulomateuses ou lymphomateuses.
L’hypercalcémie maligne nécessite une surveillance et prise en charge dans une unité de soins intensifs.
Conclusion
Nous présentons le cas d’un patient dont la plainte principale était une bradypsychie, un élargissement du polygone de sustentation et de la fièvre. Le bilan met en évidence une hypercalcémie maligne secondaire à une production excessive de calcitriol dans le cadre d’un syndrome de Richter hodgkinoïde. L’évolution a été favorable après traitement de l’hypercalcémie et de la maladie hématologique. Après 6 mois de follow up, le patient va bien, et les symptômes neurologiques ont disparu.
Recommandations pratiques
Devant un tableau d’altération de l’état général associé à des symptômes neurologiques, il est capital d’évoquer la possibilité d’une hypercalcémie et de réaliser une biologie avec un ionogramme complet.
Par ailleurs, compte tenu des potentielles répercussions cardiaques du trouble ionique, il convient de réaliser un électrocardiogramme chez tout patient présentant une hypercalcémie.
Les étiologies de l’hypercalcémie sont nombreuses, mais l’hyperparathyroïdie primaire et les néoplasies représentent 90 % des causes d’hypercalcémie. Une parathormone normale ou élevée nous orientera vers une pathologie parathyroïdienne. Si la parathormone revient effondrée, le dosage de la PTHrp et de la 1,25 (OH)2 vitamine D sera utile.
La prise en charge relève de l’urgence en cas d’hypercalcémie sévère puisque celle-ci peut engager le pronostic vital, et repose avant tout sur l’hydratation intraveineuse, l’administration de biphosphonates et le traitement de la cause sous-jacente.
Aaffiliations
1. Département de médecine interne et de maladies infectieuses. Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles
2. Département d’hématologie. Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles
3. Département de médecine nucléaire. Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles
Correspondance
Pr. Jean-Cyr Yombi
Cliniques universitaires Saint-Luc
Département de médecine interne et de maladies infectieuses
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
Jean.yombi@uclouvain.be
Références
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