William Osler

Précédent
Jean-Claude Debongnie Publié dans la revue de : Avril 2020 Rubrique(s) : Ama Contacts
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

William Osler, considéré comme un Hippocrate moderne, est vénéré dans les pays anglo-saxons, souvent oublié dans les livres d’histoire de la médecine en France.

Article complet :

William Osler, considéré comme un Hippocrate moderne, est vénéré dans les pays anglo-saxons, souvent oublié dans les livres d’histoire de la médecine en France. Né en 1849, il s’inscrit dans la prolongation de l’école anatomo-clinique de Paris de la première moitié du 19ème siècle, en y ajoutant un usage intense de la microscopie. Il fut naturaliste, pendant sa jeunesse, observant la nature humaine ensuite, ainsi que l’histoire naturelle des maladies. Il fut un bel exemple de ce qu’on appelle aujourd’hui «medical humanities» c’est-à-dire l’alliance entre science médicale, sciences humaines surtout la littérature mais aussi la sociologie etc… Il était très humain, se mettant au niveau de son interlocuteur, qu’il soit patient – il s’asseyait à côté du lit du malade – ou autre – il jouait beaucoup avec les enfants. Cela vaut donc la peine de conter son histoire (1-3).

Né à Bond Head, au sud de Toronto, en 1849, 7ème enfant d’une famille de huit, d’un père pasteur, émigré au Canada, et d’une mère qui vivra centenaire, William Osler passera sa jeunesse à observer la nature. Très jeune, il sera initié à la microscopie et détaillera plus d’une centaine de diatomées, ce qui fera l’objet d’une de ses premières communications à Montréal. Il fera ses études de médecine à Mc Gill à Montréal. Il a résumé sa méthode : « observer soigneusement les phénomènes de la vie dans toutes ses phases, normale et pathologique, rendre parfait l’art le plus difficile, l’art de l’observation, faire appel à la science de l’expérimentation, cultiver la faculté de raisonner de façon à pouvoir distinguer le vrai du faux ».

Il passera un séjour à Londres, travaillant dans un laboratoire dit de physiologie (à l’époque, on recherchait à joindre anatomie et fonction), fréquentant différents hôpitaux améliorant ses connaissances cliniques auprès de grands maitres. Il séjournera ensuite quelques mois d’abord à Berlin où il suivra les cours de Virchow (commençant systématiquement un quart d’heure plus tard – le quart d’heure académique était sacré) de même que ses autopsies minutieuses suivies des descriptions microscopiques. Après quelques mois à Vienne, autre capitale médicale de l’époque, il sera nommé à Montréal devenant à 25 ans professeur de physiologie, histologie, pathologie à l’Institut de Médecine à Montréal en 1874. Ses étudiants, dont certains étaient plus âgés que lui, le baptiseront : « the baby Professor ».

Il établira le premier cours de microscopie pour lequel il achètera 15 microscopes à Paris et s’imposera comme anatomopathologiste, réalisant plus de 1000 autopsies, décrivant différentes entités comme la trichinellose sur le continent américain, le poumon noir de la silicose, certains processus comme la phagocytose, certains parasites (la filaire d’Osler : un nématode, Sphyanura Osleri : un trématode). Il sera nommé professeur au Veterinary College et ensuite clinicien au Montréal General Hospital. Cette période « canadienne » contient plus qu’en germe les caractéristiques de son apport : l’observation et l’étude approfondie des maladies et de leur histoire naturelle – son approche humaine et humaniste - son habitude de toujours lire et écrire – son internationalisme. Un exemple de « médecin du monde » : au congrès international de médecine à Londres en 1881, il présentera un papier sur l’endocardite et aura l’occasion de rencontrer Virchow, Pasteur, Lister, Charcot. Tout au long de sa vie, il aura à coeur de faire de longues visites, précurseur de nos années sabbatiques. Il les qualifiera de « quinquenial brain-dusting » et visitera Berlin, Vienne et Paris en 1883- 1884.

À 35 ans, en 1884, il est nommé professeur de médecine clinique à Philadelphie, aux Etats Unis, grosse ville industrielle (acier-coton), capitale de la médecine américaine à l’époque et siège de la plus ancienne école de médecine. Non seulement, il est le premier à ne pas être américain, ni être de Philadelphie. C’est là qu’il prêchera l’évangile anatomoclinique, en continuation de l’école de Paris, tout en y ajoutant le laboratoire qu’il créera à Philadelphie. Progressivement, il développera de plus en plus son activité clinique. C’est là qu’il perfectionnera son expérience clinique, travaillant dans trois hôpitaux dont un consacré à la neurologie. Son sens de l’observation longuement développé par celle de la nature à l’oeil nu d’abord, au microscope ensuite va s’appliquer à la clinique médicale. Au pied du lit malade, palper le gros orteil lui permet de faire le diagnostic d’insuffisance aortique en notant le pouls bondissant caractéristique. Assis à côté du malade, regardant longuement l’abdomen, il suspecte un cancer pylorique en remarquant un estomac de lutte. Il était fier de son activité clinique et quand on lui demanda ce qu’il souhaitait comme épitaphe sur sa tombe, il répondit : « il a amené les étudiants au lit du malade ». Sa renommée, internationale, le fit nommer “Fellow of the Royal Society of Medecine of London”. Il y présenta un exposé sur l’endocardite maligne (c’est-à-dire l’endocardite subaiguë ou lente) basé sur 200 cas.

En 1889, il aura l’occasion unique de participer à la création d’un hôpital et d’une école de médecine à Baltimore. Ce sera l’oeuvre des “big four” – Welch (laboratoire) - Halstedt (chirurgie) – Kelly (gynécologie) - Osler (médecine), tous trentenaires. Cette création est permise grâce à un legs de John Hopkins. Il y devint “patron” de la médecine, ce qui deviendra plus tard la médecine interne. Il n’y avait pas encore vraiment de spécialités.

Tout comme lire, écrire était une activité quotidienne. Armé d’un carnet de notes, il transcrivait au cours de la journée toute observation nouvelle. Ces observations faisaient la base d’articles. Apprendre à écrire était pour lui apprendre la révision de l’écriture. Au cours d’un peu plus de 40 ans d’activité littéraire, il publia 1944 “papiers” (en ce inclus des éditoriaux).

En 1892, il publia son “grand oeuvre” : “Principles and Practice of Medicine”, ouvrage de 1050 pages. Cette synthèse claire et précise eut un succès immédiat : 14.000 copies vendues en 2 ans. Cushing a qualifié l’ouvrage de livre médical le plus utile et le plus utilisé. Très riche pour les maladies infectieuses (270 pages), fort présentes à l’époque, il est limité au point de vue thérapeutique, branche encore peu développée. La lecture du traité par un des conseillers scientifiques de Rockfeller mena à la création d’un institut de recherche médicale à New-York, pépinière de prix Nobel de médecine comme C. de Duve. La synthèse médicale de Osler resta longtemps un best-seller médical, atteignant 105.000 copies en 1905, lors de sa 6ème édition. L’ouvrage poursuivit sa vie, après la mort de Osler, jusqu’en 1947.

En 1893, l’école de médecine de Baltimore sera créée et deviendra un modèle d’éducation médicale nouvelle avec ses particularités : la nécessité d’avoir un baccalauréat - la durée de 4 ans – l’usage large des laboratoires – l’intégration à un hôpital, de ce fait, universitaire, un des tous premiers. L’éducation médicale, au sens large, des étudiants était un souci constant : il fonda un journal club, il les invita le samedi soir chez lui (ils étaient moins d’une vingtaine).

Les maladies infectieuses, premières causes de morbidité et de mortalité à son époque, firent l’objet de ses observations, en particulier les maladies parasitaires. Pendant sa période canadienne, armé de sa science microscopique, il s’intéressera aux parasites humains et animaux. Il décrivit les premiers cas de Trichinella (découverte en 1935 par Paget) sur le continent américain, ainsi que l’échinococcose dont il relata trois cas et en écrivit une synthèse en 1882. Chez l’animal, il observa l’origine parasitaire de certaines bronchites. A Baltimore, il poursuivra ses observations avec la description de la dysenterie amibienne, découverte en 1875 en Russie. La malaria, véritable fléau dans le monde et au sud des Etats-Unis sera également sujet d’observation. Après la découverte de l’agent de la malaria (Plasmodium Falciporum) par un français (Laveran qui deviendra président de l’Institut Pasteur et recevra le prix Nobel de médecine), Osler en décrira les aspects au microscope, qu’il préconisera comme méthode diagnostique à partir d’une goutte de sang. En 1899, l’importance de la médecine tropicale est soulignée par la fondation de la London School of Tropical Medicine. Quelques mois plus tard, à l’instigation de Osler, un cours de médecine tropicale sera introduit à la John’s Hopkins School of Medicine. En 1909 ; W. Osler fera un important exposé à la London School of Tropical Medicine : “The nation and the tropics”.

Pendant sa vie de nombreux agents de maladies infectieuses furent découverts : 1880 staphylocoque-streptocoque (Pasteur) – 1882 tuberculose (koch) – 1883 choléra (Koch) – 1882 diphtérie (Klebs) – 1884 tétanos (Nicolaev). Dans l’endocardite, Osler signalera un microcoque, sans lui attribuer un rôle causal. Les postulats de causalité pour les agents infectieux, établis par Koch n’étaient pas remplis (et encore peu connus).

En fait, William Osler, encyclopédie clinique, après ses travaux de laboratoire, a touché à beaucoup de sujets, sans toujours les poursuivre et n’est donc pas l’auteur de “découvertes”. En 1905, sa renommée croissante le fit proposer comme Regius Professor of Medicine à Oxford (UK) - chaire médicale prestigieuse fondée par le roi en 1547. C’était son bâton de maréchal et un retour à ses origines anglaises. Il sera d’ailleurs anobli et nommé par le roi Georges “baronet” (titre intermédiaire entre chevalier et baron). Avant de quitter le continent américain, il dut s’acquitter de nombreuses conférences, exposant ses principes de vie : tout d’abord, se consacrer au travail du jour, à l’instant présent, sans s’inquiéter du lendemain (principe stoïcien) – ensuite, observer la règle d’or (“Golden Rule’”) c’est-à-dire de considérer tous les hommes comme égaux – et enfin, et surtout AEQUANIMITAS, équanimité, l’égalité d’humeur, le détachement, quels que soient les aléas de la vie.

À Oxford, l’attendait une vie plus paisible tout en étant professeur de médecine, chef informel du staff médical à la Radcliffe Infirmary et responsable médical d’une maison de repos. Il put continuer ses activités d’orateur invité et surtout de “lecteur”. Il lisait plus de 40 journaux médicaux. Un de ses aphorismes : “étudier les maladies sans livres, c’est naviguer sans carte mais étudier les livres sans patient, c’est ne pas naviguer du tout”. Outre ses lectures sans répit, c’était un collectionneur de livres, recherchant les éditions rares comme les écrits de Vesale, de Harvey. À son décès, il avait près de 8000 livres sur l’histoire de la médecine, histoire qu’il écrivait aussi. Il a publié, sous forme d’articles ou de livres, près de 80 bibliographies médicales.

La guerre 14-18 sera pour lui la fin d’un monde international médical et un drame personnel. Ce sera l’occasion d’étudier encore, de participer à l’effort commun, de partager. Affirmant que les microbes tuent plus de soldats que les balles (malaria, choléra, typhus, typhoïde, dysenterie), il se battra pour l’introduction du vaccin antityphoïde contre les adversaires de la vaccination (déjà!) ; il s’intéressera à différentes affections de guerre : fièvre des tranchées, néphrite de guerre, diarrhée des Dardanelles etc… Comme lieutenantcolonel honoraire de l’armée canadienne, il participera à l’établissement d’hôpitaux de campagne (25.000 lits en France, 500 à Oxford), aidera l’effort médical précoce (c’està- dire avant l’entrée en guerre des Etats-Unis) des américains avec par exemple l’arrivée d’une unité médicale de Harvard, et la participation chirurgicale de Harvey Cushing. Sa maison justifiera pleinement son nom (“Open house”) en accueillant après la destruction de Louvain et de sa bibliothèque, des professeurs exilés, en accueillant au cours des cinq ans près de 1600 américains dont Pershing, commandant des forces américaines et Hoover.

Son fils unique, Revere, voulut participer à la guerre, d’abord comme aide de camp d’un colonel canadien, ensuite comme artilleur dans l’armée britannique, participant à la bataille de la Somme, et il trouva la mort près de Ypres le 29 août 1917. Ce drame signa le début de sa fin de vie. Après la guerre, il participa au rétablissement de la bibliothèque de Louvain. En 1919, l’entièreté du monde anglo-saxon fêta ses 70 ans, par de nombreux numéros spéciaux de journaux médicaux. Suite à un des nombreux épisodes, de broncho-pneumonie qui le clouaient régulièrement au lit, peut-être victime de la grippe meurtrière, dite espagnole se compliquant d’une infection à Hemophilus Influenzae, accompagnée d’un empyème (la pénicilline ne sera découverte que quelques années plus tard), il mourut le 29 décembre 1919.

Parmi ses nombreux aphorismes, en voici un qui reste un message pour nous : “Le bon médecin soigne la maladie – Le grand médecin soigne le patient qui a la maladie.”

Références

  1. Harvey CUSHING The life of Sir William Osler. Vol 1-2 Oxford 1925

  2. Michael BLISS William Osler. A life in medicine. Oxford University Press 1999

  3. Charles BRYAN Osler. Inspirations from a great physician. Oxford University Press 1997.