Ce que l’on sait
L’âge avancé et l’existence de maladies chroniques comme le diabète insulino-requérant mal équilibré ou compliqué, l’insuffisance rénale mais aussi les maladies cardio-vasculaires et respiratoires sont des facteurs de risque démontrés de sévérité et de complication d’infection par le virus SARS CoV2. Dans cette logique, le patient oncologique est également à considérer comme étant plus à risque de développer une forme sévère de COVID-19. Ceci est suggéré par de premières données, malheureusement partielles et dont la méthodologie d’analyse n’est pas satisfaisante, principalement par manque de tests à large échelle (1). Il s’agit donc encore à l’heure actuelle d’une hypothèse devant être confirmée par de plus larges analyses épidémiologiques. Par ailleurs, le risque est probablement hautement hétérogène au sein de la population oncologique, l’état d’immunodépression d’un patient atteint d’un cancer dépendant de son état général et ses comorbidités, du type de cancer et du type de traitement qu’il reçoit. L’enjeu, à l’heure actuelle, est donc d’identifier les patients les plus à risque et d’estimer si le risque encouru dépasse le bénéfice espéré du traitement anti-cancéreux. Cette décision se fait au cas par cas, en fonction du cancer, de son stade, du type de traitement, de son caractère curatif ou palliatif, mais aussi de l’âge et des comorbidités du patient. L’ESMO a récemment publié des guidelines pour de nombreux types de cancer pour nous aider dans ce choix (2,3).
Identifier le patient à risque
Les patients les plus à risque selon l’ESMO sont les patients sous chimiothérapie ou ayant reçu une chimiothérapie dans les trois derniers mois, les patients sous radiothérapie, les patients sous corticothérapie au long cours à dose immunosuppressive et l’immunodépression/modulation induite par certains anticorps monoclonaux. L’ESMO recommande la réalisation d’un dépistage par PCR devant tout symptôme suspect dans cette population mais également avant le début d’un traitement par chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie et immunothérapie. Ce dépistage devrait idéalement être réalisé avant chaque cycle de chimiothérapie/immunothérapie. Ceci n’a pas été et n’est toujours pas possible pour des raisons logistiques et par manque d’accessibilité aux tests. En cas de PCR positive, chaque patient doit bénéficier d’une évaluation clinique, biologique et radiologique afin de juger de la nécessité d’une hospitalisation. En l’absence d’hospitalisation, une surveillance téléphonique toutes les 48h parait raisonnable.
COVID-19 et chimiothérapie
L’initiation ou la poursuite d’une chimiothérapie doit être privilégiée pour chaque patient COVID négatif, et doit être envisagée pour les patients COVID positifs peu ou asymptomatiques si la situation oncologique le justifie. Cette décision doit prendre en compte le pronostic de la maladie, les comorbidités du patients, ses préférences et la probabilité et les risque d’une infection à COVID-19. Les patients ont été classés en trois catégories en fonction du niveau de priorité à débuter leur traitement. Pour chaque cancer, en fonction du stade, ils sont classés en priorité élevée où le traitement ne peut être postposé, priorité modérée où un traitement débuté au-delà de 6 semaines pourrait être délétère et priorité faible dans le cas où le traitement ne modifierait pas la survie ou la qualité de vie s’il était suspendu pendant la période de la pandémie. Pour chaque cancer, l’ESMO a donc classé les patients dans ces trois catégories en fonction de leur stade afin de nous aider à prendre une décision. Dans l’absolu, il est conseillé d’initier ou de poursuivre un traitement à visée curative en privilégiant les patients de moins de 60 ans avec une espérance de vie supérieure à 5 ans (ex : chimiothérapie (néo-) adjuvante par rapport à un geste chirurgical). L’initiation d’un traitement de première ligne métastatique est également recommandée en présence d’une maladie agressive, rapidement progressive ou menaçant le pronostic vital et dont le traitement permettrait un contrôle de la maladie permettant d’augmenter la survie et d’améliorer la qualité de vie. En présence d’une maladie métastatique stable sous chimiothérapie palliative, il est conseillé dans la mesure du possible de réaliser une pause thérapeutique pendant la durée de la pandémie, ou de passer à une thérapie orale lorsque cela est possible. Par ailleurs, dans un souci de prévention, il est recommandé d’utiliser un traitement stimulant la leucopoïèse pour toute chimiothérapie induisant un risque de neutropénie fébrile > 10%.
COVID-19 et immunothérapie
Les anti-PD(L)1 sont les traitements d’immuno-thérapie les plus fréquemment utilisés. Ils ne sont pas immunosuppressifs mais immunostimulants. Les données actuelles ne démontrent pas une association à un risque majoré d’infection virale. Leur tolérance au sein des populations HBV, HCV et HIV positives est bonne (5). La société française d’immunothérapie des cancers et le groupe d’immuno-oncologie d’Unicancer recommandent de poursuivre le traitement chez le patient asymptomatique (4). La demi-vie des principaux anti-PD1 étant de 3 semaines, on estime qu’il faut environ 15 semaines avant que le traitement n’ait totalement disparu de l’organisme. Dès lors, si le patient est en traitement depuis plus d’un an, une pause thérapeutique peut être envisagée. Il est également possible d’augmenter la posologie et d’espacer l’intervalle entre deux injections chez le patient stable en traitement depuis moins d’un an. En l’absence de données suffisantes, il est recommandé d’interrompre le traitement chez tous les patients positifs. Il n’est pas clairement établi jusque quand ce traitement doit être interrompu mais on peut raisonnablement le reprendre après disparition des symptômes et négativation de la PCR.
COVID-19 et anticorps monoclonaux
Il existe peu de données concernant les anticorps monoclonaux utilisés en oncologie. Ceux-ci sont des traitements immunomodulateurs et non immunosuppresseurs. Par prudence, ils sont interrompus en cas de symptomatologie évocatrice ou d’infection à COVID-19 confirmée, jusqu’à négativation de la PCR et résolution des symptômes. L’instauration ou la poursuite d’un traitement pouvant entrainer une pneumopathie interstitielle doit être soigneusement réfléchie dans le contexte actuel. Outre la difficulté du diagnostic différentiel, il n’y a actuellement pas de données quant à leur éventuelle interaction avec l’atteinte virale et fragilisation supplémentaire des patients.
COVID-19 et isolement social
Deux points méritent encore d’être soulignés au sein de la population oncologique face à cette pandémie. Premièrement, la distanciation sociale implique le recours à la télé-consultation pour les patients ambulatoires et l’absence de visite ou d’accompagnement des patients hospitalisés. L’entourage et l’empathie faisant partie à part entière du traitement du patient atteint d’un cancer, il convient d’être très attentif aux répercussions psychiques et sociales de ces mesures de confinement. Deuxièmement, ces mesures risquent très probablement d’entrainer un retard de nouveau diagnostic de cancers au sein de la population. Il est en effet fort probable que, depuis l’application du confinement et du plan d’urgence dans les hôpitaux, certaines personnes n’osent pas consulter et mettent leur symptomatologie de côté. Nous pourrions donc après la pandémie, nous retrouver face à des néoplasies à des stades avancés, voire dépassés.
En conclusion
Cet article laisse entrevoir les nombreuses incertitudes quant aux effets de cette pandémie parmi la population de patients cancéreux. Seule la constitution de bases de données méthodiques et internationales permettra de répondre aux diverses questions soulevées, et potentiellement de mieux préparer une prochaine épidémie virale semblable.
Affiliations
1. Département d’oncologie médicale, Institut Roi Albert II, Cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles, Belgique
2. Institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC, pôle MIRO), UCLouvain, Bruxelles, Belgique
Correspondance
Dr. Cédric Van Marcke
Cliniques universitaires Saint-Luc
Département d’oncologie médicale
Institut Roi Albert II
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
cedric.vanmarcke@uclouvain.be
Références
- Liang W, Guan W, Chen R, Wang W, Li J, Xu K,, et al. « Cancer Patients in SARS-CoV-2 Infection: A Nationwide Analysis in China ». Lancet Oncol. 2020 Mar;21(3):335-337. doi: 10.1016/S1470-2045(20)30096-6.
- Lambertini M, Toss A, Passaro A, Criscitiello C, Cremolini C, Cardone C, et al. Cancer Care during the Spread of Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) in Italy: Young Oncologists’ Perspective. ESMO Open. 2020 Mar;5(2):e000759. doi: 10.1136/esmoopen-2020-000759.
- FITC-GIO « Recommandations de la société française d’immunothérapie des cancers (FITC) et du groupe d’immuno-oncologie d’Unicancer (GIO) concernant le traitement par immunothérapie de patients atteints de cancer dans le contexte d’épidémie de coronavirus SARS-CoV-2 ». (24 mars 2020).
- ESMO. « Cancer Patient Management During the COVID-19 Pandemic ». Consulté le 19 avril 2020. https://www.esmo.org/guidelines/cancer-patient-management-during-the-COV....
- Califano R, Gomes F, Ackermann CJ, Rafee S, Tsakonas G, Ekman S. Immune Checkpoint Blockade for Non–Small Cell Lung Cancer: What Is the Role in the Special Populations? Eur J Cancer. 2020 Jan;125:1-11. doi: 10.1016/j.ejca.2019.11.010.