Le trajet scientifique de Pasteur est parsemé de percées, chacune suivie de déplacement de sujet, lui permettant de nouvelles découvertes. Venant de terminer ses études de physique et de chimie à l’Ecole Normale Supérieure, il découvre la stéréochimie. Travaillant sur les dépôts de cuves de fermentation de vin contenant du tartrate, faisant tourner le plan de polarisation de la lumière, ce qui était connu, il découvre en 1848 que le para tartrate, optiquement neutre, est en fait un mélange de deux sortes de tartrate, chacun polarisant la lumière, l’un à droite, l’autre à gauche. Il en conclut que les molécules, chimiquement semblables ont des dyssymétries, comme en miroir. C’est la naissance de la stéréochimie. Lors d’une contamination accidentelle d’une solution de para tartrate par une moisissure, il constate que la fermentation qui en résulte est associée à la disparition d’un des deux isomères.
Pasteur va donc s’intéresser à la fermentation. Enseignant à Lille, on lui demande de s’intéresser au jus de betterave, importante production de la région. Il constate que la fermentation lactique est associée, au microscope à des globules allongés. De même, la fermentation lactique qui rend le lait aigre et est supprimée en chauffant le lait (pasteurisation). Pasteur va étudier différentes fermentations qui altèrent les produits alimentaires : la fermentation butyrique qui rend le beurre rance, la fermentation acétique pour le vinaigre. Il étudiera également le vin et la bière. À chaque fois, il observe des micro-organismes différents pour chaque type de fermentation. Il a donc une conception vitaliste du processus, opposé à Liebig, chimiste allemand, qui propose une origine purement chimique.
S’étant déplacé des cristaux à la fermentation, des aliments aux maladies il va dès lors s’intéresser aux maladies des vivants. Interpellé par le ministre de l’agriculture il va s’attaquer au fléau mettant en péril l’industrie prospère de la sériciculture. Il va montrer que le ver à soie souffre de deux maladies : la pébrine associée à un parasite, et la flacherie due à une bactérie et il développe des solutions pour les éviter. L’étape suivante va intéresser Pasteur aux maladies animales et confirmer son intérêt pour les maladies infectieuses. Précisant les travaux de Koch qui a décrit l’agent infectieux du charbon, maladie des ovins et bovins, il va montrer qu’une culture pure de cet agent tue l’animal et est donc spécifique. L’étude d’une autre maladie infectieuse et de sa cause bactérienne, le choléra des poules, lui permet de constater que l’inoculation d’une vieille culture ne tue pas la poule mais de plus, la protège après inoculation d’une culture fraîche, normalement mortelle. C’est le principe du vaccin vivant atténué, encore à la base des vaccins actuels. Cela lui donne l’idée d’appliquer le même principe à la maladie charbonneuse. En 1881 a lieu l’expérience de Pouilly-le-Fort où 24 moutons inoculés avec le bacille du charbon mourront alors que 24 autres préalablement inoculés avec une culture vieillie, atténuée, survivront. En 1881, au congrès international de Londres, Pasteur propose d’utiliser un mot introduit par Jenner pour la variole afin de définir l’immunisation dans les maladies infectieuses. Il s’agit du mot « vaccination ». Il va alors chercher à étendre ce principe à d’autres maladies, dont la rage. En 1885, il vaccine le petit Meister mordu par un chien enragé et le jeune patient survivra. C’est la consécration internationale. Cela lui permettra grâce à une souscription nationale de fonder l’institut Pasteur en 1888. L’institut devait être à la fois un dispensaire pour le traitement de la rage (raison de la souscription), un centre de recherches pour les maladies infectieuses et un lieu d’enseignement de la microbiologie. En 1892, lors de son 70ième anniversaire, fêté à la Sorbonne, Lister, chirurgien promoteur de l’antisepsie en Angleterre déclare : « Vous avez levé le voile qui a couvert pendant des siècles les maladies infectieuses ; vous avez découvert et démontré leur nature microbienne ». La légende est née : « Saint Pasteur », le plus grand bienfaiteur de l’humanité, héros d’une épopée. Certaines biographies sont proches de l’hagiographie.
Outre sa carrière brillante de chercheur original et inlassable, il a été enseignant toute sa vie et sa renommée progressive a été accompagnée d’honneurs et de récompenses. À 30 ans, il a été professeur de chimie à Strasbourg où il a épousé la fille du doyen. A 32 ans, il est nommé à Lille où il devient doyen de la nouvelle faculté des sciences. À 35 ans, il devient sous-directeur à l’Ecole Normale supérieure à Paris et quelques années plus tard professeur à la Sorbonne. Toute sa vie donc, il a eu le souci de l’enseignement (microbiologie). Les honneurs l’ont également accompagné. À l’âge de 30 ans, il reçoit la croix de la Légion d ‘Honneur. En 1868, il devient docteur honoris causa de l’université de Bonn qui lui accorde également un diplôme de médecin, diplômes qu’il renverra lors de la guerre franco-prussienne de 1870. Il deviendra membre de l’académie de médecine à Paris et membre honoraire de l’académie de médecine à Bruxelles. Enfin, outre d’autres multiples distinctions, il succédera à l’Académie Française à Littré.
En dehors du laboratoire, polémiste passionné, il laissait peu de place aux autres et savait s’assurer des appuis politiques. Sur le plan personnel, il souffrira de la perte de deux filles décédées de la fièvre typhoïde. À 46 ans, il fait un AVC qui sera traité par des sangsues derrière l’oreille (on ignorait qu’elles contenaient un anticoagulant !). Il en gardera une hémiparésie qui explique que sur les représentations, son bras gauche prend appui sur un meuble. En 1887, il fera un second accident vasculaire qui l’empêchera de lire son discours lors de l’inauguration de I’ Institut qui sera son dernier domicile et dans la crypte duquel il sera enterré.
Voilà le parcours impressionnant de Louis Pasteur mis en lumière. Il existe cependant des zones d’ombre, parfois sombres. Pasteur a cherché à grandir ses découvertes, en oubliant parfois ses prédécesseurs, en critiquant ses adversaires, en négligeant ses collaborateurs. Les découvertes ne naissent pas de rien : elles ont une histoire, des prémices. C’est le cas de sa théorie de la fermentation, c’est le cas de l’histoire du charbon et de son vaccin. La théorie de la fermentation de Pasteur, théorie vitaliste attribuant la fermentation de l’alcool par exemple à des levures, organismes vivants, s’opposait à la théorie chimique de Liebig. Pourtant, celui-ci avait raison d’insister sur le caractère chimique du processus ; Pasteur lui avait raison d’insister sur la nécessité d’organismes vivants. Berthelot, leur contemporain, professeur de chimie, pensait que la levure, nécessaire dans plusieurs circonstances, secrétait une substance qui transformait le sucre, un ferment soluble. De nos jours, on sait que ces ferments, les enzymes sont intracellulaires et que la fermentation est un processus chimique et non pas vital. Il n’en reste pas moins que si l’hypothèse de Pasteur était très incomplète et sa généralisation fausse, elle s’est révélée géniale et très féconde puisqu’elle a entraîné ses découvertes ultérieures.
L’histoire du charbon (maladie charbonneuse en France– anthrax en Grande-Bretagne– Milzbrand ou feu de rate en Allemagne) montre que les découvertes s’intègrent dans une histoire, dans une société et ne sont pas dues à un génie isolé. En 1830, Delafond décrit des petits bâtonnets dans le sang du patient charbonneux mais pense qu’il s’agit d’une conséquence de la maladie. En 1849, Rayer en France, Pollender en Allemagne confirment la présence de petits corps filiformes et montrent la transmission de la maladie par inoculation du sang d’un animal malade à un animal sain. Davaine en 1863 montre que la transmission par inoculation est arrêtée par la filtration du sang. Il appellera ces petits agents infectieux bactéridies. En Allemagne Koch parviendra à cultiver le germe, à montrer qu’outre les bâtonnets, il y a des spores. En 1876, il leur donnera le nom de Bacillus Anthracis. En 1880, Toussaint utilisera un « vaccin » en inoculant une bactérie atténuée par la chaleur et l’association au bichromate de potassium.
La légende dorée du vaccin de la rage est un peu ébréchée par différents éléments. Un des premiers enfants vaccinés a peut-être contracté la rage. Les premières statistiques de la vaccination à plus large échelle semblent arrangées. L’histoire des six paysans russes mordus par des loups enragés, envoyés par le tsar à Pasteur, histoire racontée par Axel Munthe (Le livre de San Michele ), lui-même médecin , présent à l’époque dans les hôpitaux parisiens, a été censurée dans sa version française.
S’il n’y a pas de science sans controverses, certaines sont vives, virulentes. Pasteur était un redou-table adversaire, un bagarreur. Une première lutte l’opposa à Pouchet, défenseur de la génération spontanée, qu’il poursuivra pendant de nombreuses années. Un autre adversaire, de taille celui-là, sera Robert Koch. Le conflit entre Pasteur et Koch montre à la fois l’impétuosité de ces grands hommes et confirme l’inscription des découvertes dans un contexte historique et sociologique. Koch, médecin de campagne a suivi les cours de Virchow. C’est donc au microscope qu’il découvrira les spores du bacille du charbon, ce qui lancera sa carrière, avec la découverte ultérieure du BK, bacille de la tuberculose, bacille de Koch (1882) et d’autres encore. Il est un technicien hors pair et sera à la base de l’amélioration du microscope, des premières micro photographies de bactéries, du développement des milieux de culture (boîtes de Pétri, nom d’un de ses collaborateurs). Pasteur lui en veut de ne pas l’avoir cité comme découvreur des spores (pas celles du charbon). Koch lui en veut de ne pas citer ses travaux sur le charbon au congrès international de Londres en 1881. Il ne croit pas à l’atténuation des bactéries. Ces désaccords, favorisés par la barrière de la langue (aucun ne parle la langue de l’autre), attisés par la haine de Pasteur de tout ce qui est germanique depuis la guerre de 1870, se transformeront en invectives lors de congrès et dans les journaux scientifiques. Et pourtant, ces deux géants sont fort proches dans leur productivité scientifique et même par leur devise : « Laboremus » (puissions-nous travailler) pour Pasteur, « numquam otiosus » (jamais oisif pour Koch).
Revenons à l’institut Pasteur, inauguré en 1888 qui servira de modèle à d’autres : l’institut Koch né en 1891, acteur majeur de la lutte contre la corona en Allemagne, l’institut Lister à Londres (1891), l’institut Rockfeller à New York (1901).
L’Institut Pasteur créera des succursales comme des champignons, une trentaine au total. Les pastoriens font songer aux jésuites, véritable compagnie, qui a son saint créateur, Ignace d’un côté, Louis de l’autre. Les deux sont une école de savoir et d’études, un centre d’enseignement, œuvrant pour le bien de l’humanité. Le rayonnement des pastoriens est illustré par l’obtention de 10 prix Nobel : Laveran en 1907 ( parasite de la malaria)– Elie Metchnikoff 1908 ( immunité cellulaire ) –Jules Bordet 1920 ( rôle des anticorps et du complément) – Charles Nicole 1928 ( étude du typhus et du rôle du poux )– Daniel Bovet 1957 ( synthèse d ‘antihistaminiques et de curarisants ) – André Lwoff , Jacques Monod, François Jacob 1965, ( régulation génétique de la synthèse des virus )– Luc Montagnier, Françoise Barré-Sinoussi ( VIH ).
André Calmette est l’exemple type, le prototype du pastorien : explorateur, savant, soucieux de santé publique. Sorti de l’École de Médecine navale de Brest, il sera envoyé en Indochine française (Vietnam, Laos, Cambodge) alors en guerre, ensuite à Libreville au Gabon où il découvrira l’importance de développer l’hygiène et la médecine préventive. En 1890, il suit les cours de microbiologie de Emile Roux à l’Institut Pasteur et Pasteur lui-même l’enverra à Saigon, pour organiser et diriger un laboratoire en vue de produire des vaccins antivarioliques et antirabiques. L’Institut Pasteur de Saigon, première succursale de celui de Paris, fut créé trois ans seulement après la maison-mère parisienne. Il permit par la vaccination systématique de faire quasi disparaître la variole dans cette région, cause majeure de mortalité infantile, de cécité, et de cicatrices indélébiles chez ceux qui en sortaient. Pendant son séjour, il mit également au point un sérum antivenimeux. De retour en France en 1893, il sera envoyé à Lille à la demande de la ville, pour créer un centre antirabique et de production de sérum antidiphtériques de même qu’un bureau d’hygiène. Il y restera 25 ans, consacrés à la lutte contre la tuberculose, cause majeure de mortalité infantile. Outre son travail de prévention, son étude du bacille tuberculeux avec Camille Guérin sera couronnée par le développement d’un vaccin vivant, le BCG (Bacille Calmette Guérin), sujet d’une première communication en 1926.
Précédant Calmette, il faut en citer d’autres comme Émile Roux, Elie Metchnikoff, Alexandre Yersin. Émile Roux, médecin, a commencé sa collaboration avec Pasteur en 1878. Il fut l’artisan du vaccin pour le charbon et eut l’idée de l’atténuation du virus antirabique (germe invisible et incultivable, les virus n’étaient pas encore connus). Avec Yersin, il étudiait la diphtérie « ce monstre hideux, épervier noir » (Victor Hugo) qui tuait les enfants atteints par le croup. Loeffler avait identifié le bacille responsable. Ils mirent en évidence la toxine diphtérique, cause des dégâts et mirent au point l’administration d’antitoxines, premier traitement anti-infectieux efficace. Metchnikoff, zoologiste russe, accueilli par Pasteur a décrit la phagocytose et est considéré comme le père de l’immunologie cellulaire. Alexandre Yersin, médecin d’origine suisse et formé en Allemagne, après avoir travaillé avec Roux, partit en Indochine comme médecin de la Marine, puis explora le Vietnam. Rappelé par l’institut Pasteur qui l’envoya en 1894 à Hong Kong ou la peste sévissait, il découvrit le bacille responsable, qui porte son nom. De retour au Vietnam, il fonda l’institut Pasteur de Nha Trang, spécialisé dans les maladies animales, subsidié grâce à la mine d’or que constituait la culture de l’Hevea brasiliensis, introduite par Yersin et source de la production de caoutchouc.
Pendant la guerre 1914-1918, la contribution de l’institut Pasteur fut importante : production du vaccin TAB (Salmonella Typhi, Salmonella Paratyphi A et B ) qui réduira dans les armées les cas et la mortalité liés à la fièvre typhoïde de plus de 90% – création de laboratoires volants près du front – production en masse de sérum antitétanique (le tétanos était favorisé par la présence de chevaux et la contamination des plaies par la terre) – création de l’ HOE (Hôpital d’Origine Étapes) de la Boudeuse, hôpital d’enseignement et de recherche, un peu comme l’hôpital de l’Océan La Panne, créé par le docteur Depage – maintien de la production de sérums et de vaccins à Lille, sous l’occupation–production de sachets d’essences insecticides contre les poux (les « totos »), vecteur du typhus – promotion de la lutte antipaludique (quinine journalière – lutte contre les vecteurs – information des conscrits) dans l’armée d’Orient, réduisant fortement la malaria et sa mortalité.
Et l’histoire se poursuit de nos jours. L’institut participe à la lutte contre la corona par des études épidémiologiques, des études fondamentales ainsi que l’élaboration de vaccins comme un vaccin lentiviral administré par voie intra nasale, très efficace chez l’animal. Ce qui correspond à sa devise : « Pour la recherche, pour la santé, pour demain ». Quatre missions : recherche –santé – enseignement – innovation !
Références
- E. Orsenna. La vie , la mort , la vie . Louis Pasteur 1822-1895. FAYARD 2015. Une biographie agréable à lire par l’explorateur de mots et de mondes (le coton, le papier, l’eau, les insectes etc.) qui occupe le fauteuil de Pasteur à l’Académie Française.
- A. Perrot , M Schwarz. Pasteur et ses lieutenants . ODILE JACOB 2013. Une biographie de Pasteur, de ses collaborateurs et de ses successeurs par des pastoriens.
- A. Perrot, M Schwartz. Pasteur et Koch. Un duel de géants dans le monde des microbes. ODILE JACOB 2014
- B. Latour. L’espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l’activité scientifique. LA DECOUVERTE POCHE 2007. Analyse sociologique très critique de l’activité de Pasteur dans deux chapitres : ch4 Le ferment lactique et la fabrication de la réalité - ch5 Pasteur et l’historicité des choses.
- L.L. Lambrichts. La vérité médicale LAFFONT 1993. Analyse critique des « contes et légendes » concernant « le plus grand bienfaiteur de l’humanité »