Introduction
La Belgique est en 2018, le 7ème consommateur d’antibiotiques en Europe dans la pratique ambulatoire (1). L’indication la plus fréquente d’antibiothérapie dans les maisons de repos, avec presque 50% des prescriptions, est l’infection urinaire. Et dans 55% des cas, il s’agit d’un traitement prophylactique (2).
La mise en évidence d’une bactérie lors d’une analyse d’urine entraîne souvent la prescription d’un traitement antibiotique. Limiter leur prescription aux patients avec bactériurie asymptomatique (BA) requérants réellement un traitement est une opportunité pour en diminuer la consommation.
On parle de bactériurie asymptomatique lorsqu’on cultive dans les urines une ou plusieurs espèces de bactéries avec un taux supérieur à 105 CFU/mL, en l’absence de symptômes ou signes attribuables à une infection urinaire (dysurie, pollakiurie, urgences, douleur sus-pubienne ou des flancs). Cela avec ou sans la présence de pyurie (3).
De nombreuses sociétés scientifiques émettent des recommandations qui découragent le dépistage et le traitement de bactérie dans les urines chez les patients asymptomatiques (4-6). En effet, cette pratique engendre un surcout, l’émergence de résistance bactérienne et des risques liés à la prescription d’antibiotiques tel que des diarrhées à Clostridium difficile ou encore d’autres effets secondaires médicamenteux.
Historiquement, le dépistage et le traitement systématique de bactériurie peut s’expliquer par la crainte d’une insuffisance rénale chronique sur « pyélonéphrite chronique » imputée par le passé à des infections urinaires récidivantes. On sait depuis que la BA au long cours n’a pas de conséquence préjudiciable (7) et qu’il est illusoire d’espérer maintenir des urines stériles chez des patients à risque d’infection urinaire (8).
Par ailleurs, de nombreux patients sont porteurs transitoirement de bactéries dans leurs urines sans que cela ne porte à conséquences. Le portage urinaire de bactérie s’avère même être un facteur dans certains cas protecteur d’infection urinaire (9). Jusqu’à 20% des femmes de plus de 80 ans ont une bactérie urinaire (7), 23 à 89% des patients réalisant des sondages intermittents et jusqu’à 100% de patient avec sonde urinaire à demeure (8).
Dépistage de la bactériurie asymptomatique
Femme en bonne santé
En dehors de la grossesse, il n’est pas recommandé de dépister une bactériurie asymptomatique chez la femme.
Pour la femme enceinte, le traitement de la BA diminue l’incidence de pyélonéphrite passant de 20 à 35% vers 1 à 4% (10). Le risque de prématurité et de bas poids à la naissance est une demie à deux-tiers de fois plus élevé chez les femmes avec BA (11). Dès lors, il est recommandé de dépister une bactériurie et de la traiter en conséquence. Un traitement aussi court que possible, idéalement, de 4 à 7 jours est recommandé. Il n’existe pas de recommandation vis-à-vis de la nécessité d’un contrôle du dépistage initialement négatif ou après traitement (3). Notons qu’une étude réalisée aux Pays-Bas estime qu’il est raisonnable de ne pas dépister la BA chez les femmes à faible risque de naissance prématurée ou d’infection urinaire compliquée (12).
Patient âgé
La présence de bactérie au niveau des urines est très souvent recherchée chez un patient âgé présentant un syndrome gériatrique tel qu’une chute ou un délirium. Pourtant il ne s’agit pas d’un symptôme urinaire en tant que tel et il n’existe pas de relation causale entre ces syndromes et une BA (3). Qu’il s’agisse d’un patient avec réduction de l’autonomie résidant en communauté, dans une maison de soins ou de repos ou d’un patient avec des troubles cognitifs, cette pratique est à proscrire.
Le traitement d’une bactériurie dans cette population ne réduit pas la mortalité et ne diminue pas le risque de sepsis subséquent (3). A contrario, il peut se compliquer de colite à Clostridium difficile, favoriser la résistance bactérienne et engendrer des effets secondaires médicamenteux.
Rappelons que en cas de sepsis (dysfonction d’organe menaçant le pronostic vital, causée par une dysrégulation de l’hôte par rapport à l’infection) (13), sans point d’appel chez un patient gériatrique, la prise en charge classique reste la recherche d’un foyer autre qu’urinaire (surtout pulmonaire) et la mise en route d’une antibiothérapie à large spectre couvrant notamment les germes urinaires.
Patients greffés
Chez le patient greffé rénal, précocement après la greffe, il existe possiblement une susceptibilité accrue aux complications dans le décours d’une infection urinaire. Le dépistage et traitement d’une BA est donc recommandé jusqu’à un mois après la greffe. Passé ce délai, il n’est plus conseillé car il ne prévient pas un éventuel rejet du greffon, altération de sa fonction ou encore une pyélonéphrite.
Pour les patients ayant bénéficié d’une greffe solide autre que rénale, il est bien établi qu’il n’y a pas lieu de dépister la BA (3).
Lésions médullaires
Les patients avec une miction altérée par une lésion médullaire présentent des symptômes différents par rapport à une infection urinaire classique. Il peut s’agir d’un malaise, de température isolée, d’une léthargie, d’une nouvelle incontinence ou de son aggravation, d’une majoration de la spasticité. Dans ce cas, la mise en évidence d’une bactérie dans les urines est à prendre en considération s’il n’existe pas d’autre foyer infectieux évident. Il est raisonnable de traiter le patient en conséquence (3).
En l’absence de symptômes, il est déconseillé de rechercher et de traiter une bactériurie qui in fine ne réussit à stériliser que transitoirement les urines et favorise l’apparition de résistance aux antibiotiques.
Il est même possible que la présence d’une bactérie dans les urines soit un facteur protecteur d’infection urinaire chez ces patients (14).
Patients avec sonde urinaire
La formation d’un biofilm bactérien au niveau du matériel est inévitable. La mise en évidence d’une bactérie est fréquente dans cette population (3).
Qu’il s’agisse d’un patient porteur d’une sonde urinaire pour une courte (< 30 jours) ou une longue durée (à demeure), il est déconseillé d’obtenir une culture d’urine en l’absence de symptômes urinaires spécifiques. Les patients porteurs d’un cathéter sus-pubien sont inclus dans cette recommandation (3).
Patients neutropéniques
Les patients neutropéniques peuvent être divisés en deux catégories de risques (taux de neutrophiles <100 cellules/mm³ et >100 cellules/mm³). Il n’est pas clair si ses patients sont plus à risque d’infection urinaire. On peut raisonnablement considérer qu’il existe un faible risque si les neutrophiles restent supérieurs à 100 cellules/mm³, que la neutropénie dure moins de 7 jours et que le patient est cliniquement stable. Chez ces patients, il est raisonnable de considérer un risque infectieux faible et il n’existe pas d’évidence qui suggère une recherche de BA.
En ce qui concerne les patients à risque élevé, aucune recommandation ne peut être formulée car les preuves manquent (3).
Patient diabétique
Il n’est pas recommandé de dépister et de traiter la BA chez le patient diabétique (3).
Le patient pédiatrique
La BA est une entité peu commune chez les enfants, elle est de l’ordre de 1 à 3% chez les filles en bonne santé. Il est possible qu’une infection urinaire soit plus souvent précédée d’une BA dans cette population. Cependant, il n’y pas d’évidence qu’un traitement prévienne l’infection urinaire et que les BA soient responsables de séquelles rénales. Dès lors, il n’est pas recommandé de dépister la BA chez les enfants (3).
Lors d’une chirurgie
Chez le patient qui va bénéficier d’une chirurgie endo-urologique, il est bien établi qu’il faut dépister et traiter en conséquence la présence d’une bactérie au niveau des urines. Il existe un risque élevé de bactériémie (6,15%) en cas de BA et de traumatisme muqueux concomitant à la chirurgie (15). Un traitement par antibiothérapie-orientée à la sensibilité de la bactérie devra être administré 30 à 60 min avant le début de la procédure (3).
En cas de chirurgie élective non urologique ou de chirurgie urologique avec la mise en place d’une prothèse pénienne ou d’un sphincter artificiel il n’y a pas lieu de réaliser une culture d’urine. L’antibioprophylaxie peropératoire classique suffit.
Traitement
Le traitement de la BA devra être adapté à l’antibiogramme de la bactérie retrouvée lors de la culture urinaire.
La durée la plus courte possible sera favorisée :
- pour une chirurgie urologique, une dose unique 30 à 60 min avant le début de la procédure (3) ;
- chez la femme enceinte, un traitement par beta-lactamine, fosfomycine ou nitrofurantoine pour 4 à 7 jours maximum (16) ;
- chez le greffé rénal récent, la durée exacte est incertaine, les experts recommandent 5 jours d’un traitement par amoxicilline, nitrofurantoïne ou ciprofloxacine (17).
Suivi
Il n’existe pas de recommandation claire quant au suivi et à l’évaluation de la réponse au traitement d’une BA.
En ce qui concerne la femme enceinte, certains experts recommandent la réalisation d’une culture de contrôle à une semaine post-arrêt du traitement. S’il est positif, un nouveau traitement plus long ou avec un autre antibiotique est proposé (16).
Recommandation pratique
À l’exception des greffés rénaux récents (< 1 mois), des femmes enceintes et des patients bénéficiant d’une chirurgie endo-urologique et en l’absence de symptôme spécifique d’infection urinaire, il n’est pas recommandé de réaliser une culture urinaire à la recherche d’une bactérie.
Affiliations
Service de Médecine interne, pathologies infectieuses et tropicales, Cliniques universitaires Saint-Luc
Correspondance
Pr. Jean Cyr Yombi
Université catholique de Louvain
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Médecine interne, pathologies infectieuses et tropicales
Avenue Hippocrate 10, B-1200 Bruxelles
jean.yombi@uclouvain.be
Références
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