Introduction
Les intoxications par des drogues illicites représentent 0,3% de l’ensemble des admissions dans les services d’urgence (1). Elles constituent un défi clinique et logistique pour les soignants. Les Nouvelles Substances Psychoactives (NSP) ont fait leur apparition il y a une vingtaine d’années.
Elles induisent des cliniques complexes, qui varient selon la molécule et la dose. Le recours croissant à une poly-consommation de substances différentes complique les tableaux cliniques (2). Les intoxications par des drogues ‘classiques’ (cannabis, cocaïne, amphétamines, héroïne, MDMA) restent cependant les plus fréquentes (1) (Figure 1).
Au cours des cinq dernières années, 1299 articles y ont été consacrés et publiés. Cet article de synthèse revoit la littérature médicale sur les NSP, pour identifier et classer ces substances, ensuite pour appréhender les pistes de prise en charge diagnostique et thérapeutique.
Définition
L’appellation NSP désigne l’ensemble des nouvelles drogues synthétiques proches par leurs effets des drogues ‘classiques (DC), non identifiées comme stupéfiantes par des autorités législatives et/ou internationales. Cette absence de reconnaissance et de cadre légal complique les règles d’interdiction de leurs production et consommation. Certaines NSP sont vendues via internet ou dans des commerces de psychotropes végétaux (‘smartshops’), présentées comme des compléments alimentaires, ou comme des produits chimiques ‘not for human consumption’ – d’où le noms anglais de ‘legal highs’ (2). Elles portent généralement des noms exotiques : Pandora box, Annihilation, Buddha blues, … (Tableau 1).
Les manipulations chimiques des drogues classiques de base modifient la pharmacocinétique et les effets sur les récepteurs-cibles. Certaines modifications structurelles procurent une capacité d’action sur des récepteurs différents, modifiant la clinique attendue. L’identification des molécules est complexe et coûteuse, via des chromatographies de liquide et des spectrométries de masse, non réalisées dans les laboratoires de routine (3).
Les NSP connaissent depuis une vingtaine d’années une forte croissance (2) (Figure 2). Elles ont été recensées par l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT) : on en dénombre actuellement plus de 730 (2). Depuis 10 ans, les molécules se succèdent à un rythme élevé sur le marché, échappant aux contrôles sanitaires et juridiques. Lorsqu’une NSP est identifiée et interdite elle est rapidement remplacée par de nouveaux produits (2).
La consommation des NSP est peu documentée et évaluée en Europe : manque d’identification par des tests toxicologiques, méconnaissance du public, méthodes de récoltes épidémiologiques inadaptées. Il existe probablement un sous-recensement du phénomène.
En Belgique, 8% des 15-24 ans ont déjà expérimenté une nouvelle drogue de synthèse (2,4).
Les NSP en pratique clinique
Une façon d’illustrer et approcher la grande diversité des NSP et leurs effets est de parcourir la ‘drugwheel’ qui propose une classification des effets recherchés par le consommateur – même s’il existe de fréquents chevauchements entre les effets des drogues (Figure 3).
Les symptômes causés par les NSP sont proches de ceux des DC dont elles sont dérivées. Le nombre croissant de molécules nouvelles rend la description détaillée de chacune illusoire. Contrairement aux effets des drogues ‘classiques’ les effets des NSP s’entremêlent (figures 4.1 et 4.2), une NSP peut causer des tableaux toxiques mixtes, parfois inattendus, compliquant d’autant le diagnostic toxicologique précis et la gestion des intoxications (1).
Il existe différentes catégorisations des NSP : selon la classe chimique, la structure chimique, l’effet recherché l’activité sur les récepteurs biologiques. Par exemple, les phénéthylamines de base peuvent être modifiées en amphétamine, MDMA, et en lethoxetamine dont les effets sont respectivement plutôt stimulants, entactogènes ou hallucinogènes (5).
Il est proposé également de grouper les drogues en ‘syndromes toxiques’ ou ‘toxidromes’ (6). La connaissance des toxidromes et leur identification (particulièrement dans les situations d’urgence) guide le clinicien dans l’identification présumée de la drogue en cause et permet des prises en charge adaptées. Nous choisissons de focaliser notre attention sur 5 classes de drogues, comme illustré dans le tableau 1 : les dépresseurs, les opioïdes, les stimulants, les psychédéliques, les cannabinoïdes.
Cliniques des intoxications par les NSP selon les toxidromes
Les dépresseurs
Sont regroupés dans cette catégorie le GHB/GBL et les ‘nouvelles benzodiazépines’. Ces molécules agissent sur les récepteurs GABA-ergiques (7). L’admission dans un service des urgences est généralement la conséquence d’une hypotonie, une dépression respiratoire, un coma.
Le ‘GHB’ (gamma hydroxybutyrate), était utilisé anciennement en anesthésie. Il est décelable dans les urines au cours des douze heures suivant l’utilisation, plus ensuite. La marge thérapeutique est étroite rendant le surdosage fréquent. Les cas mortels sont rapportés principalement en cas de poly-intoxications (association fréquente avec l’alcool et les benzodiazépines). Son usage est adopté dans les milieux festifs pour ses effets d’euphorie, de relaxation et désinhibition, de stimulation de la libido, d’amplification des sensations. Il est utilisé également à visée criminelle sexuelle d’où son appellation ‘drogue du viol’. La prise en charge de l’intoxication est symptomatique.
Le ‘GBL’ (gamma butyrolactone) est un solvant qui entre dans la composition des peintures et est utilisé pour le nettoyage et l’entretien des carrosseries. Il est ainsi très accessible et bon marché. Dans l’organisme le GBL est métabolisé en GHB (3, 8).
Les ‘nouvelles benzodiazépines’ (pirazolam, flubromazepam, …) sont disponibles sur le net –contrairement aux benzodiazépines ‘classiques’. Leurs profils pharmacologiques sont peu connus, elles exposent le consommateur à des surdosages et des effets indésirables méconnus. En cas d’intoxication grave, le flumazenil peut être utilisé comme antidote – de courte durée (7).
Les Opioïdes de synthèses
Ce sont des analogues semblables aux dérivés de la phenylpiperidine (fentanyl, piritramide) et autres dérivés stupéfiants (mitragynine, desomorphine,…) (9). Ils agissent sur les récepteurs opioïdes (notam-ment le « µ »). Leur usage très libéral est à l’origine d’un problème de santé publique majeur aux États-Unis et en Scandinavie. Certaines molécules n’ont pas reçu de dénomination claire et sont désignées par leurs noms de brevet (AH-7921, MT-45,U-50488, …).
Le toxidrome comprend la triade classique des opioïdes : une altération de la conscience, un myosis serré, une dépression respiratoire susceptible de causer un arrêt respiratoire (7-9). Par rapport à la morphine, molécule de référence, les opioïdes présentent fréquemment un délai d’action modifié et une affinité accrue pour les récepteurs-cibles – jusqu’à 2000 fois plus spécifiques. La dépression respiratoire est rapide et sévère, d’où un recours fréquent à l’assistance respiratoire (10) (9) et à des doses élevées de l’antidote naloxone, au-delà des doses habituellement recommandées (9). D’autres symptômes comme une perte d’audition et une ototoxicité sont rapportés, parfois définitifs – notamment avec le MT-45 (11). Des cas de sevrage avec délirium sont rapportés, traités efficacement avec les opioïdes classiques utilisés en clinique (12).
Le diagnostic reste difficile : les laboratoires disposent rarement de test ELISA pour le fentanyl, et ce test ne réagit pas systématiquement de manière croisée avec les dérivés synthétiques fentanyliques.
Les stimulants
Ces NSP sont apparentées aux amphétamines, cocaïne et MDMA. Ce groupe comprend les cathinones, tryptamines et piperazines de synthèse. Nous nous intéresserons particulièrement aux cathinones synthétiques (ex methylone, butylone, mephedrone).
Les cathinones de synthèses sont inspirées de la cathinone et cathine, substances naturelles extraites du khat (Catha Edulis). Elles entrainent une stimulation du système nerveux central par une inhibition de la recapture et une stimulation de la libération des neurotransmetteurs dopami-nergiques, sérotoninergiques et adrénergiques, favorisant et exacerbant les contacts sociaux et les sensations. Elles s’administrent principalement par voie nasale – des utilisations orale, veineuse ou rectale ont été décrites. Leur durée d’action est très variable, en moyenne entre 2h et 4h (13).
L’agitation est la cause principale d’admission dans un service des urgences. Le surdosage peut mener à un tableau clinique floride comprenant une hyperthermie, une rhabdomyolyse, une acidose et des troubles électrolytiques (hyponatrémie principalement), des convulsions, une ischémie voire un œdème cérébral, une ischémie myocardique (syndrome coronarien aigu, arythmies), un collapsus cardio-respiratoire, une défaillance multisystémique, une agitation psychomotrice et des syndromes psychiatriques (paranoïa, hallucinations, …).
Selon une étude américaine, 21% de ces intoxications admises dans les services des urgences nécessitaient une prise en charge de type ‘soins intensifs’ (14). Il n’existe pas d’antidote, le traitement est symptomatique : gestion de l’hyperthermie, des troubles électrolytiques, métaboliques, cardiaques, neurologiques, psychiatriques (13).
Les psychédéliques
Les NSP psychédéliques (ex: lethoxetamine, 2CB fly, …) sont dérivées de la psylocibine, du LSD, de la ketamine. Elles agissent principalement sur le système sérotoninergique par le biais des récepteurs 5-HT2A et 5-HT2C, ont des propriétés hallucinogènes et antidépressives. Elles entrainent le plus souvent des troubles psychiques, surtout chez les sujets ayant des troubles de la personnalité ou des antécédents psychiatriques : crises d’angoisse, délires aigus, désinhibition, troubles du comportement. Sur le plan somatique on observe des crises d’épilepsie, de l’hyperthermie, de la rhabdomyolyse, des syndromes sérotoninergiques (15). La morbidité et la mortalité sont principalement le fait de conduites à risque et des lésions qu’elles entrainent : mises en danger, accidents de la circulation, chutes (16). Des cas de décès inopinés avec collapsus brusque ont été rapportés également (17).
Les Cannabinoïdes de synthèse (CS)
Les cannabinoïdes de synthèse ‘CS’ sont les NSP les plus fréquemment consommées. Leurs noms dérivent des laboratoires qui les ont crées ou de leur composition chimique (ex : JWH-018, HU-210, APINACA,..). Ils sont inhalés (cigarette, pipe à eau) ou ingérés (‘space-cake’). Ils sont plus puissants que le cannabis via une affinité aux récepteurs endocannabinoïdes 2 à 100 fois supérieure. Les premiers effets apparaissent dans les minutes qui suivent l’inhalation, avec un pic d’action entre 2 et 5 heures et disparaissent habituellement en 24 heures. Mais certains CS induisent des tableaux psychiatriques au long cours (plusieurs semaines). On décrit également des troubles métaboliques : effets sympathicomimétiques, troubles glycémiques et de la kaliémie.
Les consommateurs consultent principalement pour des états d’agitation ou de panique. Le tableau toxicologique est complexe et plus imprévisible que celui du cannabis. On observe une toxicité exacerbée sur les plans cardiovasculaire (syndrome coronarien aigu, arythmies, ischémie cérébrale, insuffisance rénale), neurologique (convulsions, AVC, coma), psychologique (idées et démarches suicidaires, agitation extrême, psychose) (13) (18). Il n’y a pas d’antidote disponible. Il existe des antagonistes des récepteurs endocannabinoïdes (rimonabant) qui renverseraient certains effets(19) : leur utilisation est actuellement à l’étude.
Recommandations de prise en charge
Compte tenu de l’absence de tests diagnostiques rapides en première ligne, la gestion d’une intoxication aux NSP privilégiera l’abord ‘toxidromique’. L’observation clinique initiale et le monitorage seront les pierres angulaires de la prise en charge thérapeutique : une approche clinique par systèmes, la surveillance et la recherche active des complications potentielles via un recours à un monitorage continu clinique et paraclinique : pouls, pression artérielle, fréquence respiratoire, saturation artérielle en oxygène, température, glycémie, électrique et biologique.
Évaluation primaire
L’identification précoce d’un patient à risque de détérioration est primordiale. L’examen clinique systématique se fera selon les recommandations de l’Advanced Life Support (20) (ERC©) (Tableau 2) :
Une anamnèse et/ou une hétéroanamnèse déterminera éventuellement les substances consommées : nature, heure et quantités. Une fouille des effets personnels doit être envisagée.
Bilan complémentaire
Les examens complémentaires doivent être rapidement réalisables et accessibles à partir de la salle d’urgences (tableau 3).
Traitement
Si l’état de conscience du patient le permet (ou après sécurisation des voies aériennes), l’administration orale et précoce (dans la première heure après l’ingestion) de charbon actif diminuera l’absorption et ainsi la survenue d’effets indésirables. Il n’existe pas de traitement spécifique pour la majorité de ces intoxications (1).
Après l’ABCDE (tableau 4), le traitement sera dicté par les symptômes : convulsions et agitation seront traitées par des benzodiazépines ou barbituriques. Le recours aux neuroleptiques en cas d’agitation extrême demande une vérification préalable de l’ECG et de l’intervalle QTc : les neuroleptiques ont un effet potentiel d’allongement du QTc, vasodilatateur et épileptogène. Le traitement maintiendra ou restaurera une normoglycémie, une normothermie, un équilibre électrolytique. Une volémisation intraveineuse est la règle, particulièrement en cas de rhabdomyolyse – elle nécessite dans ce cas une alcalinisation active. Les thérapies de support intensif (respiratoire, hémodynamique, recours à l’oxygénation extracorporelle – ECMO, à la dialyse - CVVH) seront mises en œuvre selon l’évolution.
Rarement des antidotes spécifiques peuvent être administrés, moyennant les précautions liées à leurs pharmacologies et leurs effets secondaires :
- la naloxone est administrée par voie intraveineuse ou intramusculaire pour les intoxications par des opioïdes. La dose habituelle de 0,2mg sera répétée selon la réponse clinique : des doses importantes sont nécessaires pour les molécules NSP plus puissantes. Le clinicien gardera en mémoire les risques d’une inversion brutale des effets opioïdes : sevrage aigu avec agitation, arythmie, convulsions, hypertension artérielle, œdème pulmonaire ;
- le flumenazil est envisagé en cas de troubles graves de la conscience chez le patient intoxiqué aux nouvelles benzodiazépines : la documentation à ce sujet se limite actuellement à des rapports de cas isolés.
Discussion
L’usage des NSP se développe en Europe - et en Belgique. Leur consommation est marginale dans notre pays, mais en augmentation. Il manque des données actualisées : elles sont issues principalement d’enquêtes et sondages, les outils épidémiologiques habituels ne sont pas adaptés à l’existence de ces drogues (ex : registres de mortalité et de la police; résumés psychiatriques minimums) (2).
Les effets peuvent être très différents de celui de la drogue classique ou la drogue ‘parent’ dont elles dérivent. Les modifications chimiques leur permettent d’agir simultanément sur plusieurs récepteurs, de produire des symptômes inattendus et de décupler la durée et l’intensité d'action. La fabrication non standardisée facilite les surdosages (2).
Les NSP provoquent des tableaux toxiques complexes et imprévisibles qui peuvent mener à des dysfonctions organiques multiples et sévères. En l’absence de tests toxicologiques fiables et rapides, on comprend le choix et la valeur d’une prise en charge et d’un monitorage ‘cliniques’ basés sur les toxidromes présentés par le patient. Néanmoins, la difficulté d’établir une classification utile à la prise en charge reste un défi. La clinique, les compléments diagnostiques rapides (ECG, biologie), le monitorage et l’évolution guideront les choix thérapeutiques. Le recours aux quelques antidotes n’est justifié que dans les cas d’urgence aiguë, au prix d’effets secondaires potentiellement sévères.
Conclusion
Les NSP sont présents sur le marché belge de la drogue, leur usage est croissant. Leurs effets toxiques sont peu prévisibles, potentiellement très sévères.
La prise en charge des patients intoxiqués par les NSP est un défi, d’autant que les tests toxicologiques sont peu ou pas disponibles, certainement dans des délais courts. L’identification et la détection des molécules, l’étude de leurs effets pharmacologiques et cliniques sont difficiles et fragmentaires.
L’examen clinique initial selon l'‘ABCDE’ et le monitorage continu sont les pierres angulaires de la prise en charge du patient intoxiqué aux NSP. Le clinicien s’appuiera sur le sens clinique et les données paracliniques de base pour l’identification des toxidromes et pour guider la thérapeutique.
Actuellement, le plus important est « traiter le patient, non le poison ».
Recommandations pratiques
Face à une intoxication aux NSP, le clinicien veillera à ‘traiter le patient, non le poison’.
L’identification toxicologique rapide en première ligne est inexistante. Le clinicien s’appuiera sur son sens clinique et sa connaissance des toxidromes, et appliquera un traitement symptomatique selon les algorithmes ‘ABCDE’.
Affiliations
1. Service des urgences, Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles
2. Service des urgences, Clinique Saint-Jean, B-1000 Bruxelles
Correspondance
Dr. Alexandra Serpe
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service des urgences
Avenue Hippocrate10
B-1200 Bruxelles
alexandra.serpe@gmail.com
Note : Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.
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