Phénotypage des pneumopathies interstitielles diffuses : vers un traitement personnalisé
Antoine Froidure
À côté de leur classification par entité nosologique, il est primordial désormais de classer les pneumopathies infiltrantes diffuses (PID) selon leur caractère fibrosant (ou non) et progressif (ou stable). En effet, cela détermine non seulement le pronostic mais aussi le traitement : le nintédanib, un antifibrosant largement utilisé pour traiter la fibrose pulmonaire idiopathique, a désormais démontré son efficacité dans les PID progressives et fibrosantes (PF-PID), qu’importe la cause (1).
Dès lors, nous avons voulu estimer la proportion de PF-PID dans la cohorte de patients discutés en réunion multidisciplinaire à Saint-Luc entre janvier 2017 et décembre 2019. Nous avons également déterminé la proportion de sous-types d’ILD au sein des PF-PID. Les données cliniques, les épreuves fonctionnelles respiratoires (EFR) et les images de scanner thoracique à haute résolution (HRCT) ont été examinés de manière centralisée. La fibrose était définie comme la présence de bronchectasies de traction, de réticulations avec/sans rayon de miel. La progression a été définie comme une diminution relative de la capacité vitale forcée (CVF) de ≥ 10 % en ≤ 24 mois ou 5 % < baisse de la CVF < 10 % et progression de la fibrose sur HRCT en ≤ 24 mois.
464 des 490 patients avec une PID discutés en DMD ont été inclus, dont 23% de FPI, 22% de PID associées à une connectivité (CTD-ILD), 13% de pneumopathies d’hypersensibilités, 10% de PID inclassifiables et 8% de sarcoïdose. La présence de signes de fibrose était fréquente (82 % des CTD-ILD, 81 % des HP, 95 % des uILD). Après revue des HRCT et des EFR, 68 patients (19% des ILD en dehors de la FPI) avaient une PF-PID selon nos critères. Les patients atteints de PF-PID étaient significativement plus âgés et leur survie était similaire à la survie de la FPI.
En conclusion, Les PF-PID représentent environ 20 % des PID en dehors de la FPI. Cette étude, publiée dans Scientific Reports (2), fournit une estimation de la proportion de patients qui pourraient bénéficier des antifibrosants.
Références
- Flaherty KR, Wells AU, Cottin V, Devaraj A, Walsh SLF, Inoue Y, et al. Nintedanib in Progressive Fibrosing Interstitial Lung Diseases. N Engl J Med. 2019;381(18):1718-27.
- Gagliardi M, Berg DV, Heylen CE, Koenig S, Hoton D, Tamirou F, et al. Real-life prevalence of progressive fibrosing interstitial lung diseases. Sci Rep. 2021;11(1):23988.
Oncologie thoracique : la vague déferlante de l’immunothérapie poursuit sa route
Thierry Pieters
L’année 2021 fut riche en études confirmant ou promettant les avantages de l’immunothérapie par inhibition des points de contrôle (ICI) ciblant les protéines de surfaces PD-1 ou PD-L1 dans différentes formes et à différents stades de cancers thoraciques.
Dans les cancers bronchiques non à petites cellules au stade métastatique (mNSCLC) sans mutation actionnable par des thérapies ciblées, la question n’est plus de savoir si l’on ajoute une immunothérapie à la chimiothérapie (CT) mais si cette dernière est pertinente. La survie globale à 5 ans (SG) de ces cancers étaient jusqu’il y a quelques années de l’ordre de 5%. L’ICI en seconde puis en première ligne a drastiquement modifié le pronostic. Les données actualisées à 5 ans de l’étude KEYNOTE-024 ont été publiées en 2021 (1). Cette étude de phase III a enrôlé 305 patients dont les cellules tumorales exprimaient PD-L1 dans au moins 50% d’entre elles et montre une SG médiane de 26.3 mois sous pembrolizumab (un inhibiteur de PD-1) et 13.4 mois sous CT (HR=0.62) avec un taux de survie de 31.9% vs 16.3% (HR=0.50), tenant compte que 66% de les patients sous CT ont reçu une ICI en seconde ligne. Ces données modifient complètement la communication avec le patient. Un patient sur trois peut espérer une guérison. L’ICI ne modifie pas uniquement le pronostic vital. Elle améliore aussi la qualité de vie. Il est à noter que dans le cancer bronchique à petites cellules étendu, l’apport des ICI en association à la CT quoique statistiquement significative pour la survie est plus modeste conférant un avantage de survie médiane de 3 mois.
C’est donc en toute logique que l’ICI a été testée dans les stades plus précoces des NSCLC. Dans les NSCLC localement avancés (stades IIIA) non résécables, un taux de guérison plus important que dans les mNSCLC pouvait être espéré. La survie à 5 ans après radio-chimiothérapie concomitante (CCRT) n’était que de 15 à 30% selon les études. Une ICI adjuvante par durvalumab, un anti-PD-L1, pendant un an a complètement modifié le pronostic. Les données actualisées à 4 ans de l’étude de phase III PACIFIC ont été publiée en 2021 (2). La SG médiane est de 47.5 mois avec ICI versus 29.1 mois dans le groupe placebo (HR=0.71) et le taux de survie globale est de 49.6 vs 36.3%. La différence n’est significative que si l’expression de PD-L1 est d’au moins 1%. Un patient sur deux peut donc actuellement espérer une guérison.
La chirurgie reste le traitement de choix pour le cancer bronchique. Cela représente malheureusement une minorité des indications puisque la majorité des patients est diagnostiquée à un stade localement avancé ou métastatique. Le taux de survie à 5 ans est de l’ordre de 90% pour les stades IA et chute à moins de 40% pour les stades IIIA opérables. La CT adjuvante est devenue ces 20 dernières années le traitement standard bien que n’apportant un avantage de survie limité à 5%. L’atézolizumab, un autre inhibiteur de PD-L1 a été proposé à 507 patients atteints de NSCLC de stade II à IIIA après CT adjuvante pendant 1 an (3). Après un suivi médian de 32.2 mois, pour les patients exprimant PD-L1 ≥1%, la survie sans récidive (Disease free survival ; DFS) est significativement améliorée (HR=0.66). Ces résultats ont rapidement convaincu la FDA d’adopter ce traitement. L’EMA reste prudente et attend les résultats de survie globale. En effet, d’autres études en adjuvant faisant miroiter des survies améliorées sur base d’une DFS très avantageuses ont eu des conclusions négatives.
Pourra-t-on proposer l’ICI plus précocement encore ? Dans l’étude PACIFIC, la survie est meilleure lorsque le premier cycle d’ICI est administré endéans les 14 jours de la fin de la radiothérapie (RT). Une étude sur souris a montré que lorsque l’ICI est administrée pendant la RT la survie est meilleure que si elle administrée 7 jours après la fin de la RT. Cela conduit au développement d’essais randomisés auxquels le Groupe d’oncologie thoracique des Cliniques Universitaires Saint-Luc participe. L’étude CA20973L en fait partie. Elle compare deux bras expérimentaux (nivolumab + CCRT suivi de nivolumab, un inhibiteur de PD-1, + ipilumumab, un inhibiteur de CTLA-4, ou nivolumab + CCRT suivi de nivolumab) au bras contrôle (CCRT suivi de durvalumab) (4).D’autres essais sont développés en néoadjuvant c-à-d avant chirurgie ou CCRT pour essayer de contrer les mécanismes de résistances à l’ICI de novo ou acquis (5).
En dehors du cancer bronchique, un grand pas a été réalisé dans le mésothéliome pleural malin (MPM). Maladie cancéreuse rare, touchant surtout les hommes, elle est favorisée le plus souvent par l’inhalation de fibres d’amiante et survient après un temps de latence de 20 à 60 ans. Son incidence rapportée à l’âge (ESR et WSR) sera stable en Belgique jusqu’en 2025 selon les estimations du Registre du Cancer (https://kankerregister.org/default.aspx?lang=FR). Elle est estimée à 3 et 2/100.000 habitants respectivement. Le pronostic est sombre avec une survie à 5 ans de quelques pourcents. La place de la chirurgie s’est considérablement réduite et réservée à des centres experts dans une prise en charge multimodale. La majorité des patients requiert un traitement systémique. Il y a eu peu d’avancée en 20ans depuis deux études de phase III montrant l’apport des antifolates (pemetrexed et raltitrexed) associé au cisplatine. Récemment, après des résultats encourageant en seconde ligne et au-delà, l’ICI a été testée en première ligne. L’étude de phase III Checkmate 743 a randomisé 605 MPM non résécables entre une double immunothérapie (nivolumab + ipilimumab) pendant 2 ans et la CT conventionnelle (pemetrexed-cisplatine) (6). La survie médiane a été considérablement améliorée dans le bras expérimental (18.1 vs 14.1 mois ; HR=0.74). Après 3 ans de suivi, 23% des patients sous double immunothérapie sont en vie pour 15% avec la CT. La différence entre les deux traitements est surtout observée dans les histologies non-épithélioïdes en raison de la faible réponse notoire de ces formes à la CT. Ce traitement est devenu le traitement de référence dans les MPM non résécables.
Comme on l’a lu, en oncologie thoracique, chaque année apporte son lot de nouvelles modalités thérapeutiques qui modifient notre pratique. L’immunothérapie ne s’arrête pas au blocage des interactions PD)1/PD-L1. D’autres cibles immunitaires sont en développement en phase 2 ou 3 (TIGIT, LAG3, …) qui offrent de belles perspectives à nos patients.
Références
- Reck M, Rodríguez-Abreu D, Robinson AG, Hui R, Csőszi T, Fülöp A, et al. Five-Year outcomes with pembrolizumab versus chemotherapy for metastatic Non-Small-Cell Lung Cancer with PD-L1 tumor proportion ≥50. J Clin Oncol. 2021 ; 39 : 2339-2349.
- Faivre-Finn C, Vicente D, Kurata , Planchard D, Paz-Ares L, Vansteenkiste J et al. Four-Year Survival With Durvalumab After Chemoradiotherapy in Stage III NSCLC-an Update From the PACIFIC Trial. J Thorac Oncol. 2021 ; 16 : 860-867.
- Felip E, Altarki N ,Zhou C, Csőszi T, Vynnychenko I, Goloborodko O, et al. Adjuvant atezolizumab after adjuvant chemotherapy in resected stage IB-IIIA non-small-cell lung cancer (IMpower010): a randomised, multicentre, open-label, phase 3 trial. Lancet. 2021 ; 398 : 1344-1357.
- A Study of Nivolumab and Ipilimumab in Untreated Participants With Stage 3 Non-small Cell Lung Cancer (NSCLC) That is Unable or Not Planned to be Removed by Surgery (CheckMate73L). https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT04026412.
- Topalian S. Taube J, Pardoll D. Neoadjuvant checkpoint blockade for cancer immunotherapy. Science. 2020 ; 367 : eaax0182. doi: 10.1126/science.aax0182.
- Baas P, Scherpereel A, Nowak A, Fujimoto N, Peters,S, Tasao A, et al. First-line nivolumab plus ipilimumab in unresectable malignant pleural mesothelioma (Ckeckmate 743) : a multicenter, randomised, open-label, pahse 3 trial. Lancet. 2021 ; 3
Affiliations
Service de pneumologie, Cliniques universitaires Saint-Luc pôle de pneumologie, ORL et dermatologie (PNEU), Institut de Recherche Expérimentale et Clinique (IREC), UCLouvain
Correspondance
Pr Charles Pilette
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de pneumologie, Avenue Hippocrate, 10
B-1200 Bruxelles
charles.pilette@uclouvain.be