Adhérence thérapeutique Le point de vue du diabétologue

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Michel P. Hermans Publié dans la revue de : Septembre 2018 Rubrique(s) : GRAPA
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Résumé de l'article :

L’adhérence thérapeutique concerne différents aspects de la prise en charge du pré-diabète et du diabète sucré, tant dans le diabète de type 1 (DT1) que de type 2 (DT2) ou les diabètes secondaires. Au stade de pré-diabète et en cas de DT2 de forme commune (soit celle associée à l’obésité et/ou au syndrome métabolique [MetS]), l’adhérence thérapeutique peut concerner l’observance aux mesures de prévention et de traitement du surpoids ; de l’obésité ; et l’implémentation au long cours des mesures hygiénodiététiques visant à la réduction des apports caloriques; la lutte contre la sédentarité ; et la pratique d’une activité physique de loisir.

Article complet :

Au stade de diabète avéré, l’adhérence thérapeutique concerne l’ensemble de la prise en charge de la maladie diabétique, à savoir les mesures hygiéno-diététiques; le traitement pharmacologique de l’hyperglycémie; la pratique d’automesures du glucose, sous la forme de glucométries capillaires ou de mesure continue du glucose interstitiel; le traitement des co-morbidités macroangiopathiques ou mécaniques prévalentes, notamment l’athéromatose des gros vaisseaux, la résistance à l’insuline ; la sarcopénie ; la stéatose/stéatohépatite non-alcoholique; le syndrome des apnées/hypopnées liées au sommeil, tous présents à haute fréquence en cas de forme commune du DT2; la prévention de la survenue de complications microvasculaires liées à l’hyperglycémie chronique (rétinopathie ; néphropathie ; neuropathie ; y compris le « pied diabétique »); et macrovasculaires (essentiellement cardiopathie ischémique ; maladie cérébrovasculaires ; et artériopathie périphérique des gros vaisseaux). A cela s’ajoute le traitement d’autres comorbidités, notamment dégénératives et/ou liées à l’âge, en cas de DT2 ou de DT1 de longue évolution ou de diabète gériatrique. L’adhérence thérapeutique à l’insulinothérapie pour une prise en charge optimale des patients DT1 et DT2 insulino-requérants nécessite une connaissance élémentaire de la physiopathologie de l’hyperglycémie chronique et de l’hypoglycémie aiguë, des effets de l’insuline, et des notions diététiques (au moins élémentaires) concernant le contenu calorique des aliments; leurs index glycémiques ; le comptage des hydrates de carbone ; l’effet hypoglycémiant de l’activité physique, le tout assorti d’une autonomie suffisante pour le choix des doses habituelles ou correctrices d’insuline en fonction des repas et de l’activité physique anticipée, que le patient pratique ou pas l’insulinothérapie fonctionnelle. Le suivi médical élémentaire implique, outre les consultations régulières chez le diabétologue-endocrinologue, en éducation thérapeutique, en diététique, en consultation de podologie, et chez d’autres spécialistes selon les co-morbidités présentes ou à risque de survenue, les facteurs de risque avérés; et aussi des examens biologiques réguliers (e.a. prises de sang et analyses d’urine). Le suivi ophtalmique implique des consultations au moins annuelles chez l’ophtalmologue, en cabinet privé ou en milieu hospitalier. Comme l’inertie clinique, l’adhérence thérapeutique sera d’autant plus facile à appréhender qu’il existe un contexte de pratiques fondées sur des données probantes d’efficacité. Son identification nécessite trois conditions fondamentales: (i) des résultats cliniques, des objectifs ou des cibles reconnaissables; (ii) des thérapies recommandées et disponibles dont les effets sont mesurables; et (iii) une fenêtre de temps appropriée pour l’initiation ou l’intensification des thérapies disponibles. L’adhérence thérapeutique doit aussi être contextualisée par rapports aux prestataires, aux patients et au système de soins, particulièrement en cas de maladies chroniques asymptomatiques ou pauci-symptomatiques, telles que le DT2, avec un potentiel d’aggravation au fil du temps, pour lesquelles les décisions thérapeutiques sont influencées par l’évaluation des résultats cliniques consensuels ou des marqueurs de substitution validés (comme l’HbA1c) plutôt que par l’évaluation des symptômes ou des plaintes. Quatre catégories de facteurs peuvent à la fois impacter négativement l’adhérence thérapeutique et contribuer à générer de l’inertie clinique: (i) la méconnaissance des patients et prestataires de soins à l’égard des risques sanitaires liés au diabète et de leur prise en charge optimale selon les recommandations de bonne pratique; le manque d’adhésion vis-à-vis du contenu de ces recommandations et leur applicabilité; (ii) le jugement clinique des prestataires et leur expérience en relation avec des situations spécifiques; (iii) la sensibilisation des prestataires aux attitudes, comportements et préférences des patients, notamment la reconnaissance par les prestataires des préférences des patients; le niveau d’adhésion des patients; leur littératie en santé et leur autonomie; et (iv) la capacité des prestataires et des patients à prendre et à appliquer des décisions appropriées dans un contexte clinique et organisationnel donné, avec les difficultés inhérentes liées à la réticence ou aux difficultés liées aux changements; à l’incertitude clinique; au temps limité pour gérer les demandes concurrentes; et à différents facteurs organisationnels et structurels. En présence de diabète et de facteurs de risques sanitaires continus et à exposition chronique, une adhérence thérapeutique insuffisante ou inconstante sera forcément associée à un contrôle sous-optimal des facteurs de risque modifiables (FR) majeurs susceptibles d’entraîner des complications à long terme. La prise en charge du DT2 nécessite un contrôle strict de trois FR critiques (considérés chacun comme des indicateurs de qualité) pour prévenir les complications vasculaires: (i) le LDL-cholestérol ; (ii) la pression systolique, comme mesure du contrôle de la tension artérielle; et (iii) l’HbA1c. Une adhérence thérapeutique insuffisante augmente le risque de développer une maladie micro- et macrovasculaire incidente, ou d’aggraver les complications existantes à court ou moyen terme. L’incapacité à atteindre des objectifs thérapeutiques individuels ou à atteindre un objectif composite global chez les patients DT2 peut résulter de plusieurs causes: (i) le niveau de base de la variable est très éloigné de la valeur-cible; (ii) la valeur-cible recommandée est inférieure à la valeur physiologique ou normale dans une population de référence; (iii) la valeur-cible se situe dans une fourchette où les effets secondaires (ou le risque perçu de leur survenue) augmentent; (iv) l’atteinte de la valeur-cible recommandée nécessite plusieurs étapes, telles qu’un accroissement de posologie ; une permutation médicamenteuse intra- ou inter-classe ; ou une augmentation du nombre de médicaments; (v) le patient est un « mauvais répondeur » vrai. Dans un relevé effectué il y a quelques années aux Cliniques universitaires Saint-Luc de Bruxelles, le LDL-cholestérol représentait la variable la plus souvent atteinte, alors que l’HbA1c et la pression systolique étaient à leurs objectifs respectifs chez seulement un tiers des patients DT2. Un ensemble complexe (i) d’inertie thérapeutique; (ii) de procrastination des patients et des soignants pour intensifier le traitement; et (iii) d’options thérapeutiques limitées en médicaments efficaces et/ou bien tolérés et/ou remboursés; (iv) de mauvaise adhérence thérapeutique ; et (v) d’une tendance naturelle à l’augmentation de la variable dans le temps sont a priori responsable de ces taux décevants d’atteintes d’objectifs pour l’HbA1c et la pression artérielle. Comme dans d’autres affections cardio-métaboliques (hypertension artérielle, dyslipidémies), le respect de l’observance des différents traitements par voie orale reste faible dans le DT2. L’éducation de ces patients est une stratégie importante pour améliorer la capacité d’autogestion, y compris le comportement de prise de médicaments. Au-delà des intervenants traditionnels (médecins de 1ère ligne ; spécialistes ; diététiciens ; personnel para-médical éducatif), tous les acteurs de terrain peuvent concourir à améliorer l’adhérence dans le DT2, y compris l’entourage des patients; la médecine du travail ; les pharmaciens; et les associations de patients diabétiques. La littérature publiée sur l’efficacité au long cours d’interventions destinées à améliorer l’adhérence thérapeutique est vaste mais hétéroclite. En dépit d’une relative homogénéité des objectifs d’intervention, on constate une hétérogénéité considérable en ce qui concerne : (i) les caractéristiques des contextes de situation (pratiques médicales de médecine générale/première ligne ; études de communautés ; cliniques ambulatoires de diabétologie-endocrinologie) ; (ii) les interventions appliquées, notamment en termes de durée et d’intensité ; (iii) le cadre et les modes d’interventions fournis, généralement à caractère éducatif, en groupe vs individuelles ; (iv) le caractère interventionnel ou non des mesures investiguées ; et (v) des variables d’intérêt recueillies. Des séances d’éducation régulières permettent de fournir et de renforcer les informations sur la maladie et le traitement, et pour les éducateurs d’identifier certains obstacles modifiables à l’observance du traitement. Les interventions éducatives axées sur les stratégies d’autogestion semblent plus susceptibles d’aboutir à des résultats positifs. Certains paramètres de suivi permettent aisément de déceler une (non-)adhérence thérapeutique de prise en charge de différents facteurs de risque liés au diabète. Au plan pharmacologique, l’observance à la prise de statines et/ou d’ézétimibe est aisée à établir, à partir du différentiel pré- vs. post-traitement du taux de LDL-cholestérol (sous condition que l’on ait préalablement documenté la valeur de cholestérol total et de LDL-cholestérol pré-traitement) du fait de la réponse habituelle prévisible à ces agents, bien établie (même s’il y existe des variations inter-individuelles), et qui se révèle, de surcroît, assez reproductible au plan individuel. Dans le cas des statines, les comportements de prise de médicaments mentionnés par les patients sont corrélés avec la proportion de jours couverts par une prise de statine, et les patients dont la perception de leur risque CV est le plus faible sont moins susceptibles d’être adhérents. Il en est de même pour les supplémentations en hormones thyroïdiennes ou en vitamine D, dont l’adéquation est aisée à établir. On peut chez de nombreux patients également s’assurer de la prise effective d’un fibrate en observant l’élévation fonctionnelle de la créatininémie qui survient chez la majorité des patients recevant un agoniste PPAR-α. Chez les patients diabétiques pratiquant des autocontrôles glucométriques, les patients se munissent normalement de leur glucomètre lors des visites ambulatoires, et le contenu mémorisé de ces appareils est habituellement téléchargé à chaque visite médicale. La détermination de la fréquence des contrôles glycémiques (moyenne ; nombre de mesures capillaires ou de scans par jour pour les capteurs mesurant de manière continue le glucose interstitiel) peut servir de mesure objective d’adhérence aux autocontrôles. Le bénéfice à long terme des nombreuses nouvelles applications informatisées et portables de gestion de la glucométrie et d’aide à la décision thérapeutique dans le DT1 n’est pas encore établi en matière d’adhérence thérapeutique, au-delà de périodes initiales d’engouement. Un autre paramètre facile à documenter, en terme de (non-)adhérence thérapeutique, est la valeur-cible moyenne des glucométries matinales chez les patients recevant une insuline basale vespérale (NPH ou glargine), avec une objectif glucométrique clairement défini et des schémas de titration validés et effectivement expliqués aux patients. D’une manière générale, la non-titration de l’insuline basale reste de règle, et ce y compris chez des patients n’ayant jamais présenté d’hypoglycémies nocturnes ou au lever, et représente un besoin non satisfait majeur en matière de non-adhérence thérapeutique dans le DT2. L’ajustement de la dose d’insuline après l’initiation est un élément clé des schémas hypoglycémiants associant l’insuline basale et les thérapies orales. La plupart des patients DT2 titrent en ambulatoire une dose initiale d’insuline basale administrée le soir/au coucher selon des algorithmes incrémentaux visant à atteindre une valeur-cible de glucose au lever, tout en minimisant l’hypoglycémie. Il est navrant de constater que la plupart des patients n’atteignent pas la cible glycémique, en raison d’un arrêt intempestif et/ou injustifié de la titration, même en l’absence d’hypoglycémie. Nous avons étudié il y a quelques années les caractéristiques distinguant les patients capables (« bons titrateurs ») ou incapables (« mauvais titrateurs ») d’atteindre une glycémie matinale pré-repas <130 mg/dL après instauration d’insuline basale (NPH/glargine au coucher; dose initiale infra-thérapeutique de 2 U; titration prescrite de + 2 U/72 h) auprès de 112 patients DT2 en échec secondaire aux médicaments hypoglycémiants oraux. Cette analyse a permis d’identifier 4 variables associées à une titration réussie (seulement 41% des DT2) par des patients chez lesquels la supplémentation en insuline basale avait été initiée par un(e) diabétologue, à savoir (i) un niveau socio-éducatif plus élevé ; (ii) le fait d’avoir un IMC normal; (iii) une plus grande sensibilité à l’insuline ; et (iv) l’utilisation de benzodiazépines.

 

CORRESPONDANCE

Pr. Michel P. Hermans

MD PhD DipNatSci DipEarthSci DipGeogEnv
PGCert(SocSc)
Cliniques universitaires Saint-Luc
Endocrinologie et nutrition
B-1200 – Bruxelles

 

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