Catherine Lambert, entre deux passions, l’hématologie et l’Afrique

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Maurice Einhorn Publié dans la revue de : Avril 2024 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Pre Catherine Lambert, Cliniques universitaires Saint-Luc Service d’Hématologie Unité d’Hémostase-Thrombose B-1200 Bruxelles

 

Article complet :

Catherine Lambert est Bruxelloise d’origine. Après des études primaires en néerlandais, elle a poursuivi, en français, à La Vierge Fidèle, option latin-grec. Elle a entamé des études de médecine à l’UCLouvain, où elle a été diplômée en 1999, avant de passer le concours de médecine interne et de se spécialiser en hématologie en 2006. Elle collabore avec le Professeur Cédric Hermans dans l’unité de thrombose et hémostase des cliniques universitaires Saint-Luc, un des cinq centres belges de traitement de l’hémophilie. Elle fait partie d’une équipe multidisciplinaire dynamique qui interagit avec d’autres centres (nationaux et internationaux) et avec les associations de patients atteints de troubles de la coagulation. La Fédération Mondiale de l’Hémophilie organise des jumelages entre des centres de traitement de l’hémophilie de pays développés et des centres de pays à ressources limitées. Catherine Lambert a effectué, dans ce cadre, un premier partenariat avec Bucarest en Roumanie. « Cette collaboration a eu un impact limité dans la mesure où nous ne parlions pas la langue des patients et des soignants ».

Le début de l’aventure africaine

« On nous a par la suite proposé un jumelage avec la Côte d’Ivoire, pays francophone, comptant plus de 30 millions d’habitants, et dont la majorité des centres hospitaliers sont localisés à Abidjan, dans le Sud du pays. Entamée en 2014, cette collaboration était prévue pour 4 ans mais se poursuit encore aujourd’hui de façon informelle. ».

Lors la première visite au CHU de Yopougon à Abidjan, j’ai été impressionnée par ces parents qui parcourent tout le pays pour obtenir une perfusion de concentrés de facteur de coagulation pour leurs enfants, par les mères qui ignorent leur statut de conductrice de l’hémophilie et la possibilité de transmettre la maladie à leurs enfants et par la sévérité de l’atteinte articulaire des hémophiles ivoiriens. Nous avons malheureusement découvert les histoires catastrophiques de familles dévastées par la mort de plusieurs enfants hémophiles, surtout après une circoncision.

« J’ai commencé à voir les choses sur le long terme, en tenant compte des besoins spécifiques et des contraintes économiques locales. J’ai réalisé l’ampleur du travail et la nécessité de commencer par la base : l’éducation, le dépistage et la prévention ».

Catherine Lambert a obtenu le feu vert pour faire une thèse centrée sur le projet d’améliorer la prise en charge de l’hémophilie en Afrique. « J’ai eu la chance d’avoir embarqué dans cette aventure deux collègues dont la contribution a été majeure : le responsable du laboratoire d’hémostase et notre kinésithérapeute pour gérer l’arthropathie, une complication classique de l’hémophilie. »

Grâce à un partenariat dynamique avec l’équipe du CHU de Yopougon et l’association de patients hémophiles ivoirienne, une ouverture d’esprit et beaucoup d’énergie, de nombreuses actions ont été menées avec pour fil conducteur l’identification de solutions adaptées aux contraintes économiques locales et à la situation socioculturelle, afin d’améliorer à long terme le traitement de l’hémophilie en Côte d’Ivoire.

« Après avoir fait un état des lieux destiné à définir les besoins de la population hémophile ivoirienne, nous avons développé des stratégies d’action qui ont été implémentées et évaluées de façon rigoureuse sur le plan scientifique. »

L’incidence de l’hémophilie est la même dans tous les pays. Par contre, le nombre d’hémophiles identifiés est en général très faible dans les pays africains. Un grand nombre d’enfants meurent en effet dans leur jeune âge, notamment suite à la circoncision, faute de diagnostic.

« Quand nous avons commencé notre travail, il y avait à peine une soixantaine d’hémophiles diagnostiqués, alors que pour 30 millions d’Ivoiriens il devrait y en avoir environ 3000. La majorité d’entre eux ne savent donc pas qu’ils sont hémophiles, vivent sans traitement et font des hémorragies, parfois fatales. »

« Nous avons analysé en profondeur la situation des hémophiles ivoiriens identifiés, étudié la fréquence des complications hémorragiques et de leurs traitements éventuels, approfondi le diagnostic sur le plan moléculaire et évalué leur situation articulaire. On a établi des arbres généalogiques pour identifier les hémophiles et les conductrices au sein des familles. Cet exercice a mis en lumière les nombreux décès lié à l’hémophilie, dès le plus jeune âge. Nombre de ces hémophiles n’étaient pas soignés parce qu’ils ne se savaient pas hémophiles (malgré d’autres cas identifiés dans la famille) et que la maladie est méconnue au sein de la communauté médicale. Cette première partie du travail a permis de publier deux études épidémiologiques au sujet des hémophiles en Côte d’Ivoire et de sensibiliser la communauté médicale à ce diagnostic notamment en cas d’hémorragies liées à la circoncision. »

Je me suis également intéressée à la condition des femmes conductrices de l’hémophilie, tout à fait négligées jusque-là. Elles peuvent transmettre la maladie mais sont parfois aussi victimes d’hémorragies (règles abondantes, hémorragie à la délivrance). « La connaissance du mode de transmission et des complications de l’hémophilie faisait gravement défaut au sein des familles et chez les conductrices. Nous avons donc axé une grande partie du travail sur l’information et la prévention tout en respectant les traditions locales ». En cas de naissance d’un garçon dans une famille d’hémophile, il est donc primordial de le tester avant la circoncision et le cas échéant, de faire l’intervention sous la supervision du centre de traitement de l’hémophilie.

L’équipe s’est également rendue dans les centre médicaux provinces du centre et nord, afin de renforcer la collaboration avec le centre de référence à Abidjan.

L’importance primordiale de l’éducation

L’éducation constitue un élément primordial dans le projet d’amélioration de la prise en charge de l’hémophilie. « Nous avons développé du matériel éducatif (brochures, jeu éducatif et powerpoint) avec des images/photos de patients africains, l’utilisation de vocabulaire usuels en Côte d’Ivoire, respectueux des traditions locales ».

« Nous avons évalué les connaissances des patients et des familles avant, juste après et six mois après avoir fait des séances d’éducation et distribué les brochures. Nous avons constaté une nette amélioration du niveau de connaissance qui se maintenait dans le temps, ce qui prouvait l’utilité de notre démarche, et renforçait le choix de ma thèse », ajoute le Dr Lambert.

L’accès à la kinésithérapie étant limitée par le coût financier, les distances à parcourir et le peu de kinés formés aux problématiques de l’arthropathie hémophilique, nous avons développé un programme d’auto-kinésithérapie qui s’est révélé très prometteur et qui sera prochainement étendu vers d’autres pays en Afrique sub-saharienne.

J’ai défendu ma thèse en septembre 2020. L’évolution reste très positive pour la communauté hémophile en Côte d’Ivoire avec notamment l’arrivée de l’accès au traitement préventif des saignements, en priorité pour les enfants et un nombre croissant de patients diagnostiqués, dès le plus jeune âge.