COVID-19 et maladies du sang

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Violaine Havelange, Ines Dufour, Juliette Raedemaeker, Fabio Andreozzi, Géraldine Verstrate, Sarah Bailly, Xavier Poiré, Marie-Christiane Vekemans Publié dans la revue de : Mai 2020 Rubrique(s) : Hématologie adulte
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Résumé de l'article :

La pandémie liée au SARS-CoV-2, représente un défi sans précédent pour la communauté médicale. Le COVID-19 se révèle potentiellement dévastateur pour les patients âgés ou présentant des comorbidités, et aussi pour ceux atteints de pathologies hématologiques chroniques.

Des mesures exceptionnelles ont été mises en place par les centres hospitaliers de manière à éviter la dissémination du virus et garantir à chacun un accès optimal aux soins, en n’impactant pas les chances de guérison de ceux porteurs de pathologies curables. Les sociétés internationales ont émis des lignes de conduites que nous répercutons ici pour les pathologies les plus fréquemment prises en charge dans notre centre, à la lumière de notre expérience.

Mots-clés 

Myélome, lymphome, leucémie, greffe, hémoglobinopathies, neutropénie fébrile, PTI, COVID-19

Article complet :

Introduction

COVID-19, la pandémie liée au SARS-CoV-2, représente un défi sans précédent pour la communauté médicale. Cette infection se révèle potentiellement dévastatrice pour les patients âgés ou présentant des comorbidités, et particulièrement pour ceux atteints de pathologies chroniques comme les cancers.

De manière à protéger du COVID-19 nos patients atteints de pathologies hématologiques, des postes d’accueil ont été installés à l’entrée des hôpitaux, ils assurent un triage des patients, rappellent et font respecter les ‘gestes barrières’. Les consultations ont été, dans un premier temps, réduites pour éviter la promiscuité et donc la dissémination du virus et remplacées par des contacts téléphoniques. Des procédures séparant les flux de patients infectés par le SARS-CoV-2 de ceux qui en sont épargnés, ont été mises en place. Les patients hospitalisés, y compris en unités de jour, sont dépistés avant leur prise en charge, afin de garantir à chacun un accès optimal aux soins, en n’impactant pas les chances de guérison de ceux porteurs de pathologies curables.

Les données actuelles ne permettent pas d’identifier un taux d’infection plus élevé chez les patients cancéreux en comparaison à la population générale (1,2). Ceci peut s’expliquer par le fait que ni les uns ni les autres n’ont été en contact avec ce nouveau virus. Par contre, les patients fortement immunodéprimés ont généralement un risque accru de développer des complications sévères liées au virus, et sont plus susceptibles d’évoluer de façon défavorable (3). Les facteurs de gravité potentiels pour une infection sévère tiennent donc compte non seulement du degré d’immunodépression, mais aussi de la présence de lymphopénie ou neutropénie profondes et prolongées, et d'un âge avancé.

Face au COVID-19, il est important de ne pas méconnaître de potentielles co-infections liées à d’autres pathogènes respiratoires qui pourraient justifier d’un traitement spécifique. Il est aussi utile de rappeler que la clairance virale après COVID-19 peut être plus longue chez les patients fragiles par rapport à la population générale.

De manière générale, les patients dont la maladie sous-jacente est contrôlée ont moins d’infections que les patients non traités (4). Les pathologies malignes non contrôlées, et particulièrement celles mettant en danger la vie du patient à court terme comme les leucémies aiguës, doivent être prises en charge sans délai. A l’opposé, les patients asymptomatiques, avec une maladie indolente, sont encouragés à poursuivre leur traitement selon le mode habituel, une suspension thérapeutique pouvant parfois mener à un non contrôle de l’affection.

Les mesures visant à maintenir un état de santé optimal doivent aussi être favorisées : arrêt des habitudes tabagiques, contrôle pondéral, pratique de l’exercice physique. Chez les patients présentant une immunodéficience secondaire, l’administration préventive d’immunoglobulines (IVIg) doit suivre les recommandations habituelles (5). Les IVIgs ne protégent pas contre le SARS-CoV-2 en l’absence d’anticorps spécifiques au sein de la solution, mais permettent de restaurer une réponse immunitaire déficiente et prévenir toute infection (bactérienne) additionnelle. Les vaccinations contre la grippe (en période saisonnière) et le pneumocoque restent recommandées chez tous les patients atteints de cancer (6).

COVID-19 et lymphomes

Dans ce groupe, une distinction doit être faite entre les formes agressives et les formes indolentes.

Dans les formes agressives, un délai dans l’initiation d’un traitement peut impacter l’évolution de l’affection et favoriser sa dissémination par exemple, au niveau du SNC. Les chimiothérapies classiques restent donc prescrites, avec une recommandation large d’utilisation des facteurs de croissance, et des mesures prophylactiques (aciclovir, Bactrim, antibiothérapie).

En rechute, les traitements classiques de seconde ligne généralement suivis d’autogreffe restent de mise, l’admission pour autogreffe étant parfois différée en tenant compte de l’agressivité de la pathologie, de la disponibilité des produits sanguins et des possibilités d’admission en soins intensifs. Il en est de même pour les traitements par CAR-T cells. Ceci se discute au cas par cas.

Dans les lymphomes indolents, une plus grande flexibilité est permise quant à l’initiation d’un traitement, on tiendra compte des répercussions de la pathologie et des risques d’une infection COVID-19 sous traitement. L’attitude attentiste est privilégiée dans la mesure du possible. Chez un patient asymptomatique, débuter une immunothérapie seule, par exemple avec un anticorps anti-CD20, n’est pas recommandée. Chez les patients symptomatiques, on privilégiera l’administration du rituximab en monothérapie (si possible en sous-cutané, du moins après la première infusion) à l’immunochimiothérapie. On tiendra aussi compte du rôle très immunosuppresseur de la bendamustine, et on privilégiera des traitements alternatifs comme R-CVP, R-CHOP, lénalidomide ou ibrutinib. Dans les formes localisées, la radiothérapie est indiquée. Les traitements d’induction en cours sont maintenus, une réduction du nombre de cycles peut être proposée dans certaines situations. Pour les traitements de maintenance, il est envisageable de proposer un report des cures, en particulier dans les maladies les plus indolentes bien contrôlées, chez des patients âgés fragiles, ou en cas d’hypogammaglobulinémie profonde.

Dans les leucémies lymphoïdes chroniques, l’initiation d’un traitement est postposée dans la mesure du possible, mais si la situation médicale impose une prise en charge, le traitement suivra les guidelines en considérant les caractéristiques de la maladie et les facteurs propres au patient. La préférence ira aux schémas faisant appel à des médicaments oraux. Cependant, et sauf exception, on évitera le venetoclax qui requiert de multiples visites à l’initiation du traitement. De même, on postposera l’administration des anticorps monoclonaux (rituximab, obinutuzumab), particulièrement quand ils sont administrés avec les thérapies ciblées.

Chez les patients COVID+, le traitement est maintenu si les symptômes sont modérés, à l’exception des anticorps monoclonaux. Il est bon de rappeler que l’arrêt des inhibiteurs BTK (ibrutinib, idelalisib) peut donner lieu, particulièrement chez les patients avec une maladie active, à un ‘flare up’ avec parfois syndrome de relargage de cytokines qui peut mimer les symptômes du COVID. La reprise du traitement permet d’observer la résolution rapide des symptômes. A noter qu’un effet protecteur pulmonaire de l’ibrutinib a été suggéré chez certains patients souffrant de macroglobulinémie de Waldenström atteints du COVID-19 (7).

Dans le lymphome de Hodgkin, la prise en charge n’est pas modifiée dans le contexte actuel, la curabilité de l’affection et le jeune âge de la population concernée n’y sont sans doute pas étrangers. La question de la toxicité pulmonaire de la bléomycine en période de pandémie a été évoquée.

COVID-19 et myélome

Par analogie aux lymphomes agressifs, il est généralement impossible de postposer l’initiation d’un traitement d’induction chez un patient diagnostiqué avec un myélome symptomatique, puisque la nécessité thérapeutique est définie par la présence de critères d’atteinte d’organe (CRAB). Les traitements classiques sont donc prescrits, en tentant de limiter les visites à l’hôpital, notamment en utilisant des schémas hebdomadaires (bortezomib) ou oraux (IMiDs). On conseille de postposer l’autogreffe, en poursuivant le traitement d’induction pour un total de 6 à 8 cycles, une option acceptable n’impactant pas la survie (8). Le traitement de maintenance doit être poursuivi de manière à éviter toute résurgence de l’affection, il est d’usage de fournir des médicaments pour 2 cycles. Les perfusions mensuelles de biphosphonates peuvent être espacées tous les 3 mois.

En cas de maladie bien contrôlée, et particulièrement chez les patients âgés et fragiles, on peut envisager de réduire les doses de corticoides (dexamethasone 20mg par semaine, 10 mg chez les plus de 75 ans), voire de les suspendre. Les IVIgs sont poursuivies de manière habituelle, les formes sous-cutanées étant privilégiées.

COVID-19, leucémies aiguës et greffes

L’urgence de la prise en charge d’une leucémie myéloblastique aiguë impose d’initier un traitement classique (7+3) sans délai, sous réserve d’impacter le pronostic de l’affection et de voir apparaître des anomalies génétiques additionnelles potentiellement responsables de formes plus agressives. Chez les patients non éligibles à un traitement intensif, l’association d’agents hypométhylants et venetoclax est une option, qui n’évitera cependant pas les épisodes de neutropénies prolongées et d’infections potentielles, bactériennes ou fongiques. La couverture préventive par antibiotiques, antimycotiques ou antiviraux tiendra compte des interférences médicamenteuses potentielles. Les traitements de consolidation sont maintenus.

Les LMA M3 sont traitées de manière conventionnelle par une association ATRA-ATO, avec ou sans chimiothérapie, en fonction de leur risque pronostique. L’initiation de l’arsenic peut être postposée pour diminuer le risque de syndrome de différentiation. Pour les leucémies lymphoblastiques aiguës, l’équipe du GRALL conseille de suspendre l’administration de vincristine et de corticoïdes dans la phase d’entretien de 2 ans.

L’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques reste un traitement central dans la prise en charge des leucoses aiguës, et dès le début de la pandémie, les centres ont été confrontés à la possibilité de devoir réduire voire stopper leur activité. La procédure de greffe est grevée d’une mortalité et morbidité non négligeables, et de nombreuses complications post-greffes telles la maladie veno-occlusive ou le sepsis nécessitent une prise en charge en soins intensifs. Avec cette crise sanitaire, une limitation de l’accès aux soins intensifs était à craindre, imposant aux centres de ré-évaluer toutes leurs indications d’allogreffe en concertation pluri-disciplinaire afin de maintenir ou de reporter la procédure. En règle générale, les indications retenues concernent le plus souvent la prise en charge des leucémies aiguës chez les patients de moins de 60 ans.

Après le problème de l’indication, est venu le problème des donneurs. La fermeture des frontières a rendu impossible l’obtention de certains greffons, certains donneurs se sont mis en refus de don, certains ont été dépistés positifs pour le COVID, et par conséquent ont été exclus du don. Dans notre institution, cette difficulté s’est imposée à nous avec la nécessité, pour un des patients, d’activer trois donneurs successifs avant de finalement sécuriser le greffon. Cela nous a aussi décidé, dans plusieurs cas, d’abandonner un donneur non apparenté au profit d’un donneur familial haplo-identique plus facilement accessible.

Vient ensuite la problématique de la sécurisation du greffon. Une greffe médullaire implique l’administration, chez le receveur, d’une radio-chimiothérapie dans la semaine qui précède la greffe. Le donneur est collecté la veille ou le jour de la ré-infusion des cellules souches. Pour éviter que le donneur ne développe des symptômes dans cet intervalle, toutes les collectes sont réalisées avant le début du traitement du receveur et les cellules sont congelées. Un test PCR SARS-CoV-2 est réalisé sur le greffon avant sa congélation. Il est important de noter qu’à ce jour, il n’y a pas de preuve de transmission du virus par voie sanguine et que la détection d’une virémie SARS-CoV-2 semble être limitée. Ce changement de pratique implique une augmentation significative de la charge de travail aux équipes de coordination des greffes.

Dans le suivi précoce des patients, les consultations sont maintenues. Seuls les patients en suivi à long terme (au-delà de 1 an), bénéficient d’un report de leur visite ou d’une téléconsultation. Les patients greffés sont immunodéprimés, et donc à risque face à un agent infectieux tel que le SARS-CoV-2. Il est donc recommandé qu’ils suivent scrupuleusement les gestes barrières, ce qu’ils ont généralement l’habitude de faire. Les patients greffés qui développent un COVID-19 doivent être pris en charge de la même manière que les autres patients, il n’y a pas lieu de les exclure d’une prise en charge optimale suite à leur statut. Dans notre expérience, sur les 3 patients greffés ayant développé un COVID-19, aucun n’a présenté de forme sévère. Nous n’avons pas les données définitives du registre EBMT, mais il semblerait que ce soit une observation partagée en Europe. Il est possible que le système immunitaire des patients greffés ne réponde pas par une tempête cytokinique aussi violente que chez les autres patients, tempête cytokinique qui est liée à la gravité du COVID-19 (9).

COVID-19 et leucémie myéloide chronique

Les patients souffrant d’une leucémie myéloïde chronique sont actuellement traités avec succès par des inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) par voie orale. La survie de ces patients est quasiment identique à celle de la population normale.

Il n’y a actuellement aucune évidence scientifique que ces ITK (Glivec®, Sprycel®,Tasigna®, Bosulif® ou Iclusig®) augmentent les risques d’infection à SARS-CoV-2 ou en augmentent la sévérité. Ces médications peuvent initialement (dans les 3 premiers mois) entraîner une myélosuppression avec une leuco-neutropénie nécessitant une diminution de la dose ou un arrêt transitoire de la médication. Il est important durant la période de pandémie actuelle d’éviter une neutropénie sévère de grade IV (< 500 /µL) pour minimiser les risques d’infection. A distance de l’initiation, le traitement ne doit pas être modifié – ni la dose ni la médication. Il n’y a actuellement pas d’évidence d’une immunodépression avec augmentation du risque d’infection virale sous ITK. Les effets secondaires pulmonaires (épanchement pleural, HTAP ...) principalement liés au Sprycel® doivent être managés comme d’habitude mais peuvent compliquer une infection à SARS-CoV-2 sévère.

Si le patient développe une infection à SARS-CoV-2 modérée, les ITK doivent être poursuivis. En cas d’infection avec atteinte cardio-pulmonaire sévère, on peut discuter au cas par cas de l’arrêt transitoire de l’ITK, notamment du Sprycel®, jusqu’à résolution de l’infection et des effets secondaires.

Le suivi clinique et biologique des patients en rémission doit se poursuivre tous les 3 mois avec une PCR BCR-ABL sanguine. On peut discuter, au cas par cas, pour des patients à haut risque de complications en cas d’infection à SARS-CoV-2, en rémission profonde et prolongée, d’espacer le suivi. Les arrêts d’ITK sont suspendus en période de pandémie car le risque de rechute qui concerne 60% des patients, est surtout élevé durant les 6 premiers mois qui suivent l’arrêt et impose un suivi régulier plus difficile à assurer.

Les risques d’interactions médicamenteuses entre un traitement d’essai du SARS-CoV-2 et les ITK doivent aussi être pris en compte, particulièrement les risques d’allongement du QTc et de torsades de pointe. Une correction des différents électrolytes (potassium et magnésium) est requise, particulièrement avec le Tasigna® (10).

COVID-19 et myélodysplasies

Il n’existe actuellement aucune preuve scientifique que les patients souffrant de syndromes myélodysplasiques soient plus à risque de contracter le SARS-CoV-2 que les personnes dont la moelle osseuse fonctionne normalement. La neutropénie et le dysfonctionnement des neutrophiles fréquemment détectés chez ces patients augmentent les risques d’infections bactériennes et fongiques bien plus que les infections virales. Les patients lymphopéniques sont eux plus à risque de développer des infections sévères requérant une hospitalisation voire un séjour en soins intensifs. La neutropénie peut augmenter le risque de surinfection bactérienne après une infection virale.

Les patients souffrant de syndrome myélodysplasique à haut risque, sous agents hypométhylants (Dacogen®, Vidaza®), doivent débuter ou poursuivre leur traitement sans délai ni adaptation de dose. Ces agents peuvent altérer la réponse cellulaire à l’interféron de type 1, ce qui peut hypothétiquement altérer la réplication ou la réponse cellulaire au virus mais sans preuve clinique.

Les patients souffrant de syndrome myélodysplasique à faible risque sont transfusés avec un abaissement du seuil de transfusion à 7 g/dl pour l'hémoglobine et 10.000/µl pour les plaquettes. Ces seuils doivent être discutés en fonction de l’âge et des co-morbidités cardiopulmonaires du patient. Il n’y a actuellement aucune évidence de transmission du SARS-CoV-2 via les produits de transfusions sanguines.

Les patients souffrant de syndrome mixte myélodysplasique/myéloprolifératif comme la leucémie myélomonocytaire chronique (LMMC) peuvent développer des réactions leucémoïdes ou tempêtes cytokiniques en cas d’infection menant à une hypoxémie, une instabilité hémodynamique et au décès. Ces réactions se surajoutent aux réactions détectées chez les patients infectés par le SARS-CoV-2. De plus, les monocytes et les macrophages dérivés des monocytes expriment fortement l’ACE2 (angiotensin converting enzyme-related carboxypeptidase) utilisé par le SARS-CoV-2 pour pénétrer dans les cellules. Une cytoréduction (par exemple avec de l’Hydrea®) doit être considérée chez ces patients sans induire de cytopénies (11).

COVID-19 et syndromes myéloprolifératifs

Les patients souffrant de myélofibrose de risque intermédiaire-2 ou élevé ou sous inhibiteurs de JAK2 (Jakavi®) sont probablement à plus haut risque s’ils développent une infection à SARS-CoV-2. Les co-morbidités cardiovasculaires ou les problèmes hémorragiques ou thrombotiques pourraient augmenter les risques de contracter l’infection ou en aggraver les complications.

Les complications thromboemboliques sont fréquentes lors d’une infection à SARS-CoV-2 surtout dans des stades avancés de l’infection virale. Ces risques sont préoccupants chez les patients souffrant de syndromes myéloprolifératifs qui ont du fait de leur maladie hématologique, un risque thromboembolique élevé.

Une stricte adhérence au traitement est recommandée chez ces patients avec un contrôle de l’hématocrite < 45% dans la maladie de Vaquez, la poursuite des anti-agrégants plaquettaires et de la cytoréduction selon les recommandations de l’European leukemia Net : soit un taux d’hématocrite < 45%, un taux de globules blancs < 11.000/µL et un taux de plaquettes < 400.000/µL.

Chez les patients souffrant de syndromes myéloprolifératifs qui développent une infection sévère ou critique au SARS-CoV-2, une prophylaxie par héparine de bas poids moléculaire à dose intermédiaire est recommandée. Une embolie pulmonaire doit être suspectée chez ces patients en cas de détérioration respiratoire. Les risques de saignements doivent être monitorés en présence d’antécédents hémorragiques personnels ou de thrombocytose extrême ou de thrombocytopénie.

Les traitements cytoréducteurs tels que l’Hydrea®, le Peg-interferon® ou le Xagrid® ne sont pas associés à une majoration des risques d’infections à SARS-CoV-2 ou de sévérité. Il est donc primordial de garder le contrôle de la maladie myéloproliférative pour éviter une augmentation du risque thrombotique.

Les inhibiteurs de JAK2 (Jakavi®) ont été suggérés comme possible traitement du SARS-CoV-2. Il est recommandé de les poursuivre et surtout d’éviter un arrêt brutal. En cas d’infection à SARS-CoV-2, les interactions médicamenteuses entre les antiviraux et le Jakavi® doivent être vérifiées (12).

COVID-19 et purpura thrombocytopénique immun

Comme toute infection virale, le SARS-CoV-2 peut favoriser l’apparition d’un PTI ou déclencher une rechute. En cette période de pandémie, la prise en charge de ces patients nécessite quelques adaptations.

Chez les patients présentant un nouveau diagnostic de PTI, l’OMS recommande l’éviction des corticoïdes au bénéfice de thérapies alternatives non-immunosuppressives, sous réserve de leur disponibilité (13). En cas d’utilisation de corticoïdes, la dose minimum nécessaire pour une durée limitée doit être privilégiée ; on favorisera dès lors les pulses de dexaméthasone aux traitements prolongés par methylprednisolone. Les agonistes des récepteurs TPO sont recommandés en première intention dans les pays où ils sont remboursés, ce n’est pas le cas en Belgique (14,15). Leur effet pro-thrombotique en début de traitement chez les patients COVID+ doit être pris en compte, au vu du risque prothrombogène décrit dans cette infection.

La perfusion d’immunoglobulines reste une alternative valable permettant d’augmenter rapidement le taux de plaquettes. L’utilisation du Rituximab est déconseillée en raison de son effet immunosuppresseur au long cours et de sa capacité à réduire la production de nouveaux anticorps.

Chez les patients sous immunosuppresseurs pour un PTI chronique, il n’y a pas d’indication de modifier le traitement (14). Tout changement pourrait favoriser une rechute et/ou des complications, et nécessiterait alors un suivi hospitalier plus rapproché, exposant le patient à un risque plus élevé de contracter l’affection. Le suivi à distance, par téléphone ou e-mail, doit être privilégié avec contrôle sanguin en cas de symptômes évocateurs de rechute.

Chez les patients porteurs d’un PTI hospitalisés pour COVID-19, le traitement préventif par héparine de bas poids moléculaire doit bien être administré en prévention des complications thromboemboliques, si les plaquettes sont supérieures à 30 000/µL, en l’absence de signes de saignement.

Selon les données actuelles, les patients splénectomisés ne semblent pas présenter de risque majoré de développer une forme sévère de COVID-19. Néanmoins, le risque de surinfection bactérienne est toujours présent. L’administration précoce d’antibiotiques reste la pierre angulaire de la prise en charge d’un état fébrile. Il est important de poursuivre l’antibioprophylaxie et de mettre à jour la vaccination.

COVID-19 et neutropénie fébrile

La neutropénie est une condition fréquemment retrouvée chez les patients hématologiques et oncologiques. Elle peut être transitoire avec récupération, comme par exemple dans le décours de l’administration d’une chimiothérapie, ou représenter un élément constitutionnel de la maladie, comme dans les myélodysplasies, infiltrations leucémiques ou aplasies médullaires...

L’apparition d’un syndrome fébrile chez un patient neutropénique constitue une véritable urgence médicale, nécessitant l’instauration d’une antibiothérapie par voie orale ou intraveineuse sans délai, afin de minimiser le risque de progression vers un sepsis sévère mettant en danger le pronostic vital du patient.

Quelques considérations supplémentaires s’imposent dans le contexte clinique actuel, où un syndrome fébrile peut être l’expression d’une infection due au SARS-CoV2.

Chez un patient neutropénique et fébrile, la réalisation d’un frottis nasopharyngien et d’un scanner thoracique visant à identifier des signes radiologiques précoces de COVID-19, doivent être encouragés, tout en assurant la mise en route rapide d’une antibiothérapie empirique efficace car la présence d’une infection à SARS-CoV2 n’exclut pas la coexistence d’une infection bactérienne.

La fragilité des patients immunodéprimés et leur risque accru de développer des infections sévères nécessitant une prise en charge hospitalière, imposent une attitude encore plus prudente qu’en période habituelle. En revanche, il faut reconnaître que les hôpitaux constituent un endroit à fort risque de contamination, pas seulement pour le SARS-CoV2 mais aussi pour d’autres infections nosocomiales : limiter l’accès aux urgences réelles et la durée d’hospitalisation, même en unité de jour, peut minimiser le risque de s’infecter. L’hématologue prescrivant une chimiothérapie jugera de l’opportunité d’élargir l’administration des facteurs de croissance granulocytaires (G-CSF) aux patients bénéficiant de traitements classiquement considérés à risque intermédiaire ou faible de neutropénie fébrile.

Dans le même sens, l’instauration d’une antibiothérapie, classiquement non indiquée à titre préventif de la neutropénie fébrile, pourrait être envisagée, en fonction d’une évaluation individualisée du risque infectieux.

COVID-19 et hémoglobinopathies

Les patients drépanocytaires sont potentiellement très vulnérables face au COVID-19. Ils présentent d’une part, une asplénie fonctionnelle, et d’autre part, sont fréquemment traités par de l’hydroxyurée, traitement potentiellement leucopéniant. Ils présentent généralement des comorbidités cardio-vasculaires, un facteur de risque d’évolution défavorable en cas d’infection. Une vaccination adéquate est dès lors primordiale, notamment contre le pneumocoque.

Les infections sont des facteurs déclenchant potentiels de crises vaso-occlusives. Il n’est d’ailleurs pas toujours évident de distinguer un syndrome thoracique aigu (STA), complication sévère de la crise drépanocytaire, d’une infection à COVID-19. Des infiltrats diffus en verre dépoli sont plutôt évocateurs d’une infection à SARS-CoV-2, tandis que les infiltrats sont plus localisés dans la pneumonie ou le STA. En France, les patients drépanocytaires ont été ajoutés par le Haut Conseil de la Santé Publique à la liste des personnes fragiles face au coronavirus.

Bien que les patients atteints de thalassémie ne courent pas les mêmes risques d’infection pulmonaire que les patients drépanocytaires, ils sont néanmoins souvent sujets à des complications telles que l’hémosidérose secondaire, des hépatopathies, cardiopathies et hypertension pulmonaire, ce qui les rend particulièrement vulnérables aux complications liées au virus. Une étude rétrospective italienne a montré que les patients thalassémiques du Nord de l’Italie faisait des infections légères à modérées. Le nombre de patients thalassémiques atteint du COVID-19 était même plus bas qu’attendu, probablement parce que ces patients étaient plus vigilants et mieux confinés que la population générale (16).

Les patients thalassémiques, en particulier lorsqu’ils sont âgés, sont souvent splénectomisés ce qui les rend fragiles face aux infections bactériennes et majore leur risque thrombotique. En cas de fièvre, les patients splénectomisés nécessitent une prise en charge précoce, avec recherche d’un foyer infectieux bactérien éventuel et initiation rapide d’une antibiothérapie à large spectre.

En ce qui concerne les transfusions, aucune donnée n’indique que le virus puisse infecter les cellules sanguines, ni qu’il y ait un risque de transmission par transfusion. Les guidelines conseillent dès lors de maintenir les transfusions itératives, en veillant à screener les plaintes respiratoires à chaque visite à l’hôpital de jour.

Conclusions

Les hôpitaux doivent faire face à une situation inédite, avec changement d’environnement, changement de rythme de travail, mesures d’urgence, indisponibilité potentielle du personnel médical et para-médical lui-même malade, mais aussi possible rupture de stock de matériel ou de médicaments et manque de produits sanguins. A ce titre, les transfusions ne présentent aucun risque de transmission du virus.

Les études cliniques font l’objet d’amendements que ce soit en termes de modification de protocole, de monitoring ou d’adaptations thérapeutiques qui risquent d’impacter à long terme nos pratiques.

Récapitulatif

  1. Les symptômes de présentation des affections onco-hématologiques peuvent mimer ceux du COVID-19, ce diagnostic différentiel doit être gardé à l’esprit.
  2. Les chimiothérapies intensives imposées par un diagnostic de lymphomes agressifs ou de leucémies aiguës, de même que le traitement d’entretien ou de maintenance d’un myélome symptomatique, ne peuvent être différés.
  3. Dans les lymphomes de bas grade et la leucémie lymphoïde chronique, l’attitude attentiste est de règle, à moins d’une indication claire, et les traitements de maintenance peuvent être postposés dans certains cas.
  4. L’immunodépression est fréquente dans les syndromes myélodysplasiques et prolifératifs, le dosage des médicaments est adapté de manière à limiter les cytopénies, leur arrêt brutal doit être évité sous peine d’effets délétères.
  5. Les admissions pour greffes, que ce soit autologues ou allogéniques, sont discutées au cas, en fonction de la pathologie sous-jacente, et suivent les recommandations des sociétés internationales de greffe.
  6. La drépanocytose rend les patients vulnérables aux manifestations graves du COVID-19.
  7. La thrombopénie peut être le reflet de la gravité du COVID-19, et doit faire rechercher des manifestations thrombo-emboliques.
  8. Il n’y a pas d’évidence de transmission du virus par transfusions sanguines. On tiendra compte des difficultés d’approvisionnement liées à la pandémie dans l’optique d’une gestion optimale des dérivés sanguins.

Affiliations

Département d’Hématologie adulte, Cliniques universitaires Saint-Luc, UCL, 1200 Bruxellles.

Correspondance

Pr. Marie-Christiane Vekemans
Cliniques universitaires Saint-Luc
Hématologie adulte
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles

Références

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