Si tout est traumatique, rien n’est traumatique
Aujourd’hui, qui n’est pas confronté quasi quotidiennement aux termes de « trauma », « traumatisé », « traumatique » ? Rares sont les médias ou personnalités qui n’en font pas mention pour décrire certaines situations sociales, géopolitiques ou pour expliciter un parcours de vie.
Par ailleurs, dans le domaine de la santé, en particulier dans le secteur de la santé mentale, le traumatisme est tellement fréquent dans l’histoire des patients qu’il en est devenu un élément évident, presque banal.
Cette occurence médiatique et cette occurence biographique chez nos patients, peuvent entraîner une forme de banalisation du traumatisme et par là, une forme d’invisibilisation qui est par ailleurs au centre de la pathologie traumatique elle-même. Le risque étant qu’elle soit paradoxalement insuffisamment prise en charge.
Cet article propose quelques définitions du traumatisme psychique avant de préciser différentes origines de son invisibilisation et enfin des propositions de prise en charge simples et concrètes afin de permettre à n’importe quel soignant d’accueillir un patient potentiellement traumatisé et de prévenir ainsi la survenue d’un état de stress post traumatique.
Qu’est-ce alors que le traumatisme psychique ?
Quelques définitions et distinctions s’imposent
Il est tout d’abord important de distinguer le stress du traumatisme psychique. En effet, le stress « relève du domaine bio-physiologique, même s’il donne lieu à des concomitants psychologiques. On peut définir le stress (Selye, 1950 ; Crocq, 1999) comme « la réaction bioneuro-physiologique immédiate de l’organisme, d’alerte, de mobilisation et de défense, face à une agression ou une menace ». (…) Sur le plan psychologique, le stress exerce des effets bénéfiques immédiats de focalisation de l’attention, de mobilisation des capacités mentales et d’incitation à l’action, inspirant des comportements adaptatifs et salvateurs. Mais il est coûteux en énergie, ce qui fait que lorsque la réaction de stress se termine (au bout de quelques heures), le sujet se sent à la fois soulagé et épuisé. Et, s’il est trop intense, trop prolongé ou répété à de courts intervalles, le stress épuise les réserves biologiques et énergétiques de l’organisme, et se mue en stress dépassé, archaïque et inadapté, dans ses quatre formes de sidération stuporeuse, d’agitation incoordonnée, de fuite panique et d’action automatique » (1).
Le terme « trauma » vient du grec et signifie blessure. Il est d’abord utilisé en médecine et chirurgie. En 490 avant JC, c’est l’historien grec Hérodote qui nommera pour la première fois un trouble psychique dû à une émotion violente suite à la bataille de Marathon. Les cauchemars de bataille chez les guerriers étaient connus dès l’Antiquité et seront régulièrement mis en avant tant au Moyen-âge qu’au XVIe siècle durant les Guerres de religion. Au XIXe siècle, plusieurs médecins décrivent des symptomatologies post traumatiques sous divers vocables, symptomatologies notamment consécutives aux accidents de chemin de fer. En 1888, c’est l’Allemand Herman Oppenheim, qui décrira le premier, sous le nom de Névrose traumatique, une entité clinique autonome tandis que J-M Charcot, fort de ses recherches sur l’hystérie à la Salpêtrière, parlait d’Hystéro-traumatisme. Ensuite, ce sont les travaux de Freud et de Ferenczi ainsi que les observations cliniques durant les deux premières guerres mondiales et la guerre du Vietnam qui permirent de développer l’aspect diagnostique et thérapeutique des pathologies post traumatiques. (1,2).
Le terme « traumatisme psychique » est bien défini par Jacques Roisin : « le traumatisme psychique survient dans des situations éprouvantes qui confrontent brutalement l’être humain à la possibilité de se retrouver détruit, dans son corps, dans ses valeurs, dans ses attachements vitaux, càd à sa condition humaine d’être assujetti aux heurts de la vie. Dans ces situations, l’être humain réalise soudainement sa destinée en tant qu’être destructible. Chez certaines personnes, ce type d’épreuve bascule en traumatisme psychique. (…) un traumatisme psychique se produit suite à une menace grave pour la vie ou pour l’intégrité psychique ou physique ; cette menace a fait effraction dans le psychisme, la personne y a réagi avec effroi et dans un sentiment d’impuissance ; ensuite, l’évènement effrayant reste non intégré au psychisme, revenant de façon compulsive dans des cauchemars, dans des souvenirs, dans des sensations de reviviscence ou comme menace imminente » (3).
Tigran Tovmassian, quant à lui, propose le terme de « Syndrome psycho-traumatique » qui permet de rassembler les pathologies des trois périodes du traumatisme psychique.
La première période est la période immédiate du premier jour du traumatisme psychique et correspond à la réaction de stress dépassé et aux éventuels symptômes péri-traumatiques telle que la « dissociation péri-traumatique ce qui relève en réalité des phénomènes de déréalisation et dépersonnalisation ressentis lors de la survenue de l’évènement : désorientation dans le temps et l’espace, arrêt de la pensée, incapacité à comprendre la situation, incapacité à reconnaître l’environnement, impression que ce qui arrive n’est pas réel, ou que c’est un rêve, impression d’être spectateur non concerné par l’événement, impression de flotter, de n’être plus soi-même, de ne plus être l’auteur de ses gestes, et sentiment aigu d’impuissance et d’absence de secours » (1).
La deuxième période est la période post-immédiate du 2ème au 30ème jour et correspond à l’état de stress aigu (ESA) ou au temps de latence : « C’est la période pendant laquelle le sujet tente de mettre en place de nouvelles défenses (dont la répétition) là où celles du stress se sont avérées inopérantes.(…) Dans cette période, ou bien tout rentre dans l’ordre, les symptômes du stress immédiat s’estompent, l’esprit du sujet n’est plus accaparé par la souvenance de l’événement, et le sujet commence à reprendre ses occupations normales ; ou bien les symptômes du stress immédiat (dont les symptômes de déréalisation) persistent, et on voit apparaître de nouveaux symptômes, dont les reviviscences, les cauchemars de répétition et les phobies spécifiques, tandis que l’esprit du sujet est accaparé par la souvenance sensorielle de l’événement, et qu’il ne parvient pas à reprendre ses occupations habituelles » (1). Certains patients ne vont pas présenter d’état de stress aigu. Ils traversent un temps de latence qui est le temps de la métabolisation du trauma et qui est à considérer comme une tentative de guérison (4). Ce temps de latence peut être cliniquement silencieux, le patient semblant avoir dépassé le trauma, ou discrètement symptomatique : le patient sera perdu dans ses pensées ou un peu euphorique par exemple.
« Si la grande majorité des individus manifestant un tableau de stress aigu souffrent plus tard d’un syndrome chronique, bon nombre de victimes affectées par un PTSD n’ont pas présenté de trouble de stress aigu ». L’état de stress aigu « s’est ainsi révélé un critère sensible mais peu spécifique à prédire le devenir des individus confrontés à un événement adverse » (5).
La troisième période est la période différée-chronique au-delà du 30ème jour : « Pour cette troisième période, en particulier, le diagnostic générique de syndrome psycho-traumatique convient bien, car il recouvre toutes les variantes observées dans la réalité clinique : transitoires ou durables ; pauci ou pluri-symptomatiques, modérés ou sévères, peu gênantes ou psychologiquement éprouvantes, peu ou très invalidantes, certains répondant aux critères de l’état de stress post traumatique (ESPT) ou de la névrose traumatique. » (1). L’installation d’un ESPT peut survenir plusieurs mois ou même années après le traumatisme initial. Ce temps de latence s’explique d’une part par le travail de métabolisation du trauma et des variations individuelles mais aussi par des facteurs de conjonctures. En effet, tant que le danger perdure pour un soldat en opération par exemple, ou qu’une victime est concentrée sur des soins somatiques hospitaliers, la métabolisation de l’expérience traumatique sera postposée.
Dans la cinquième et dernière version du DSM datant de 2013, pour la 1ère fois, les pathologies liés au stress et au traumatisme sont regroupées dans un chapitre distinct des troubles anxieux et y sont bien détaillées. On y retrouve les diagnostics de l’ESA d’une durée minimale de 3 jours à maximum 30 jours et de l’ESPT quand les symptômes perdurent plus de 30 jours. Sur le plan diagnostique, se référer au DSM V comporte les avantages, quand cela est nécessaire, de soutenir une revue systématique des symptômes et bien sûr, d’être une référence incontournable aujourd’hui pour la production d’un rapport à destination d’une administration ou de la justice. En effet, cette référence permet de majorer ses chances d’être entendu et par là, d’apporter un vrai soutien à la reconnaissance d’une incapacité de travail ou d’une demande d’asile pour des patients dont la présentation clinique est souvent atypique et peu reconnue.
Invisibilisation
Comme souligné dans l’introduction, en plus de la banalisation secondaire liée à son occurrence élevée, l’invisibilisation de la pathologie post traumatique se produit à différents niveaux. Nous allons passer en revue différentes causes et origines de ce phénomène.
Premièrement, les différents mécanismes de défense contre le traumatisme mis en place par le patient traumatisé, tels que l’évitement, le déni ou la culpabilité, vont participer de produire cet effet d’invisibilisation.
L’évitement est un mécanisme de défense qui consiste à déployer un effort psychique intense pour ne pas penser au traumatisme et pour ne pas être en contact avec le moindre indice du traumatisme.
Le déni est secondaire au clivage. Le clivage post traumatique, appelé « clivage auto narcissique » par Ferenczi, au contraire d’un processus d’intégration, de liaison et de symbolisation du vécu, va enkyster ce vécu dans une partie du psychisme (4). Ce vécu traumatique enkysté sera ainsi coupé du reste du psychisme qui tente de maintenir son équilibre. Jacques Roisin différencie trois types de déni : le déni de réalité (« ce n’est pas arrivé »), le déni de gravité (« ce n’était pas vraiment un viol », « telle personne a vécu quelque chose de bien plus grave »), et le déni d’anormalité (banalisation de l’horreur) (6).
La culpabilité de la victime, très fréquente notamment dans les abus sexuels, se décline de diverses manières sur le principe de « si je n’avais pas fait ça, ce ne serait pas arrivé ». C’est une façon de porter la responsabilité du traumatisme qui permet illusoirement de reprendre du contrôle et d’éviter la confrontation insupportable avec l’impuissance, avec l’anéantissement et l’absence de sens, avec la réalité de « ça peut arriver n’importe quand, quoique tu fasses ». Jacques Roisin parle de « mécanisme défensif du retournement du sentiment de l’impuissance paralysante en celui de toute-puissance », « il s’agit de se donner l’illusion de pouvoir contrer ou nier le cours de la réalité », « Telle est la nature de l’activité dans laquelle se renverse la passivité propre au trauma » (6).
Ces mécanismes de défense vont de différentes manières diminuer la place et l’importance donnée au traumatisme dans le discours spontané des patients ce qui va régulièrement empêcher le soignant d’en prendre toute la mesure.
Deuxièmement, le soignant va également mettre en place des mécanismes de défense face aux horreurs racontées par un patient lors d’une consultation ou par effet cumulatif, à force d’écouter des traumatismes depuis des années. En effet, ce sont des vécus graves qui peuvent impacter contre-transférentiellement. Le soignant peut par exemple ressentir des douleurs ou autres symptômes corporels pendant la consultation, il peut se sentir sidéré, envahi par l’effroi vécu par le patient (4). Il va alors tenter de se protéger par des mécanismes de défense, assez similaires à ceux exposés ci-dessus. Cela aura un effet sur sa capacité d’écoute et/ou de prise en compte de ce que racontent les patients et donc sur leur prise en charge. Il pourra par exemple être pris dans un mouvement de minimisation ou de doute par rapport à ce qui lui est confié ou dans une désaffectisation paradoxale.
Troisièmement, la méconnaissance de la pathologie post traumatique comme pathologie psychiatrique à part entière va avoir aussi un effet d’invisibilisation car le traumatisme psychique produit des effets tout à fait particuliers sur le psychisme, des effets à court, moyen et long terme. Ces effets peuvent être pris pour des symptômes isolés ou pour les symptômes d’une autre pathologie alors qu’ils en sont la conséquence. Il n’est pas rare, par exemple, qu’un patient gravement traumatisé présente une symptomatologie psychotique atypique, soit ensuite diagnostiqué schizophrène et traité comme tel. Il est par ailleurs fréquent que l’abus de certaines substances soient la conséquence d’un traumatisme jamais soigné et la seule manière trouvée par un patient pour en supporter les effets.
Quatrièmement, le patient gravement traumatisé ne va souvent parvenir à continuer à vivre que sur un mode de survie où son existence comme sujet n’est plus. Il dira « je suis mort à l’intérieur » « je suis un mort-vivant ». Ce mode de « survivance », pour reprendre le concept de Jacques Roisin, amène des présentations cliniques pauvres et désaffectisées. Le patient n’exprime ni demande, ni plaintes spécifiques à part éventuellement un trouble du sommeil persistant et/ou une forme de dysthymie en discordance majeure avec son vécu réel.
Enfin, dans 20 à 30% des cas, l’ESPT va se chronifier sur un mode résiduel et persister encore après 10 ans d’évolution (7), comme le montre ce graphique à propos de l’évolution dans le temps des symptômes post traumatiques chez les victimes de viol (8).
En cas d’ESPT chronifié, en plus de la répétition des symptômes qui est au cœur du processus post traumatique, le désespoir secondaire, l’habitude et parfois une forme d’intégration à l’identité même du sujet, vont faire que le patient ne sera parfois plus en capacité de lier son état au traumatisme initial et donc de l’évoquer à son soignant.
Pour toutes ces raisons, il est fréquent pour un soignant de passer à côté d’une pathologie post traumatique et de ne pas en prendre la juste mesure. Par exemple en Angleterre, seul un patient sur huit diagnostiqués avec un ESPT l’aura été par un professionnel de la santé et seuls 24% d’entre eux auront reçu un traitement psychologique ou psychiatrique (9).
Propositions de prise en charge d’un traumatisme aigu
Quand un patient évoque au détour d’une anamnèse un ou plusieurs traumas passés, l’exploration systématique des symptômes post traumatiques peut permettre un éclairage différent sur le plan diagnostique et donc permettre de l’orienter vers une aide thérapeutique et psychothérapeutique adaptée.
Les remarques et propositions qui vont suivre concernent la prise en charge d’un patient qui vient de vivre un évènement potentiellement traumatisant ou qui présente un état de stress aigu. Ces propositions sont simples, inspirées de ma pratique, de celle de collègues spécialisés dans le traumatisme psychique et des pratiques de defusing et de debriefing d’inspiration anglo-saxonne ou française (10).
Un évènement n’est pas traumatique en soi. Un patient n’est donc pas automatiquement traumatisé parce qu’il a vécu un certain type d’évènement. Il faut rester prudent par rapport à ses propres réactions émotionnelles, interprétations et projections. Les exemples de traumatisme iatrogène ne manquent pas, lorsque l’entourage et/ou différents soignants vont souligner à répétition l’horreur de ce que le patient a vécu ou sa chance d’être en vie. En effet, un patient qui a eu une hémorragie cérébrale et qui n’en a aucun souvenir peut néanmoins finir par être traumatisé à force d’entendre « c’est incroyable que vous ayez survécu ».
Dans un groupe d’individus ou une fratrie, face au même évènement, l’évolution pourra être très différente et chez un même individu, un évènement pourra être traumatique à tel moment difficile de son existence et pas à un autre. Cela va dépendre de la solidité des défenses du patient, de la quantité d’énergie interne disponible pour se défendre, du caractère effractant de l’évènement, des éventuels traumatismes passés avec lesquels le traumatisme actuel pourra faire lien et de la qualité de l’environnement social et familial. Les éléments suivants seront donc importants à rechercher : solidité habituelle du patient, solidité actuelle du patient (circonstances familiales, médicales, professionnelles, etc), traumatismes passés, pathologies somatiques et/ou psychiques qui utilisent déjà une partie de son énergie interne et qualité de son environnement en termes de sécurité affective et de reconnaissance de ce qui a été subi. On va donc s’intéresser tout autant à l’évènement traumatique, au sujet et à son environnement.
Ce qui est traumatique, c’est un évènement inattendu, qui va interrompre brutalement le cours de l’existence qui est habituellement protégé par des berges de sécurité basale. Cet évènement va faire effraction dans la sphère du quotidien, cette sphère intime corporelle et/ou psychique, à la fois parce qu’il déborde les défenses psychiques du patient et à la fois parce qu’il est porteur de non-sens, du réel de la mort ou du néant. Il est porteur de quelque chose que le psychisme ne peut se représenter. En effet, ce qu’on peut voir dans les yeux d’un agresseur est que nous ne sommes rien, ou rien d’autre qu’un objet ou un jouet. Cette confrontation à du non exister pourra être traumatique même si la vie du patient n’a pas été mise en danger en tant que telle. En effet, ce qui peut être traumatique dans l’évitement d’un accident de voiture, alors qu’il ne s’est « rien passé de grave », c’est la confrontation avec la mort. Parfois, ce qui va être traumatique, c’est de réaliser que l’on n’a pas été capable de se défendre, c’est l’impuissance totale, la perte de contrôle à laquelle l’évènement a confronté. C’est à ces trois éléments qu’il faut être attentif dans le discours du sujet : surprise, effraction et débordement des défenses psychiques par le réel de la mort ou du néant, du non-sens.
Un traumatisme psychique aigu doit être pris en charge rapidement, spécifiquement et avec un type de contact différent des autres prises en charge. Rapidement car les études en montrent le bénéfice évident avec une réduction nette du risque d’évolution vers un ESPT (10). Le patient doit être pris en charge le jour-même du trauma ou dans les jours qui suivent avec une réévaluation rapide (11). Spécifiquement, comme je vais vous le décrire plus avant et avec un type de contact qui diffère de nos habitudes de neutralité. Ce contact doit proposer une qualité d’accueil, une disponibilité et une humanité importante. En effet, le patient confronté à une effraction traumatique est bouleversé par la perte de sa sécurisation basale, par la perte de son insouciance, par la perte de sa confiance en l’être humain. Parfois, il a déjà eu le temps d’être confronté à un manque de reconnaissance de la gravité de ce qu’il a vécu, manque de reconnaissance très fréquente de la part de l’entourage et/ou de la société et qui majore le risque d’évolution vers un ESPT. Le contact devra donc être chaleureux, spontané, détendu, accueillant. Le soignant ne peut pas simplement rester dans une écoute silencieuse au risque de laisser le patient seul avec sa détresse et son effroi. Pour la plupart, nous sommes formés comme soignant à une certaine neutralité et nous y sommes aussi habitués. L’accueil du patient traumatisé nous fait sortir d’un cadre connu et nous invite à un cadre où notre humanité doit être engagée visiblement.
Le premier temps de l’entretien est une invitation à une parole spontanée. L’entretien ne doit pas être d’emblée cadré et débordant de questions. Le patient est invité à s’exprimer en précisant qu’il n’y a aucune injonction à la parole. Le patient raconte ce qui lui vient et ce qu’il veut, s’il ne raconte rien de l’évènement en lui-même, cela ne doit pas être provoqué ou recherché. Si le patient est trop sidéré pour parler, ce sera au soignant d’être vivant et présent. Cela peut être très intense et faire ressentir douloureusement l’effroi dans lequel le patient est saisi.
Dans un deuxième temps très court, le soignant peut faire une éventuelle interprétation de ce qui a pu faire traumatisme et en tous cas, être attentif à exprimer une reconnaissance de ce qui a été vécu comme traumatique par le patient.
Dans un troisième temps plus cadré, différents conseils et explications pourront être donnés pour donner quelques repères dans un moment où cela manque, pour redonner du contrôle quand cela fait défaut, pour mettre des bords là où l’effondrement guette, des perspectives claires quand le temps est brisé. Une explication simple des mécanismes du trauma permet une information sur les symptômes pour que le patient puisse les repérer, une dédramatisation sans minimisation. Quand on se blesse, quand on se coupe, notre corps a besoin de plusieurs jours pour cicatriser, cicatrisation qui permet que la douleur soit progressivement moins forte. Une blessure psychique nécessite aussi un temps pour cicatriser et pendant cette cicatrisation, plusieurs symptômes sont fréquents : trouble du sommeil avec ou sans cauchemars, anxiété voire crises d’angoisse, reviviscences diurnes. Ces symptômes sont fréquents et « normaux » mais ils ne peuvent pas entraver gravement le quotidien et ils doivent diminuer progressivement. Si ce n’est pas le cas, le patient doit être revu et une médication sera probablement nécessaire. Si ces symptômes sont déjà présents, un traitement à base de plantes pourra être instauré en première intention. Les benzodiazépines sont contre-indiquées.
Le soignant va souligner l’importance d’être entouré, de ne pas rester seul et de parler seulement si le patient en ressent le besoin. Il faut maintenir des activités sociales et sortir, en étant accompagné si cela est nécessaire au départ. Il faut « remonter à cheval » rapidement, ne pas laisser s’installer des mécanismes d’évitement, mécanisme d’évitement qui pourra être rapidement décrit.
Le soignant va proposer systématiquement un second rendez-vous avec un délai court de quelques jours à une semaine. Ce deuxième rendez-vous sera l’occasion de refaire le point et parfois de traiter médicamenteusement certains symptômes persistants et invalidants. Le traitement médicamenteux devra éviter les benzodiazépines autant que possible (8). Leur efficacité élevée empêche le patient d’expérimenter sa propre capacité à s’en sortir, leur effet perturbateur sur le plan mnésique est délétère pour traverser le trauma et leur effet sédatif peut faciliter les phénomènes dissociatifs (12), sans parler du risque élevé d’accoutumance. Si après un mois, l’évolution est péjorative, l’instauration d’un SSRI ou SNRI est recommandée pour traiter/éviter l’installation d’un ESPT (12), médication devant être associée à un suivi régulier médical ou psychiatrique et à un suivi psychothérapeutique. C’est en effet, l’association d’un traitement psychothérapeutique et d’un traitement médicamenteux qui va montrer un effet bénéfique supérieur sur le devenir des pathologies post traumatiques plutôt qu’un traitement médicamenteux seul, la psychothérapie amenant des effets positifs sur un plus long-terme (13).
Concernant les traitements psychothérapeutiques, il en existe une multitude (9,13) : les thérapies d’orientation cognitivo-comportementale (CBT, thérapie d’exposition, thérapie cognitive), l’EMDR et les thérapies d’orientation psychodynamique (psychanalytique, systémique, debriefing, defusing, thérapie narrative). Ils s’accordent tous sur l’importance d’une prise en charge précoce. Rappelons enfin que, comme pour les autres pathologies psychiques, de nombreuses études transversales ont déjà démontré que l’efficacité d’une thérapie dépend davantage du thérapeute et de la relation thérapeutique que de son orientation (14). C’est l’humanité qui fait soin plus que la technique.
Recommandations pratiques
- Interroger les évènements traumatiques anciens nommés par les patients car l’ESPT peut être à l’origine d’une multitude de symptômes (assuétude, anxiété, insomnie, dépression, hallucinations, etc).
- En cas d’évènement potentiellement traumatique et/ou état de stress aigu, prévoir un premier entretien dans les 72h et un deuxième entretien 5 à 7 jours plus tard. Une prise en charge précoce, réalisée par n’importe quel soignant, est préférable à une attente longue d’une prise en charge spécialisée.
- Inviter à la parole sans injonction à tout dire. Reconnaître l’aspect traumatique de ce qui a été vécu et adopter un contact chaleureux. Expliciter en termes simples le mécanisme du trauma comme blessure psychique et nommer les symptômes fréquents.
- Eviter les benzodiazépines et en cas d’évolution péjorative après un mois, préférer un SSRI/SNRI à associer avec un suivi psychothérapeutique (TCC, EMDR ou psychodynamique).
Affiliations
1. psychiatre, psychothérapeute ; Responsable de l’unité de psychiatrie aigue B3, Clinique Saint-Jean, Bruxelles ; Consultante au CETIM, CHU St Pierre, Bruxelles
2. psychiatre, maître de stage ; Hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, Leuze ; Clinique Saint-Jean, Bruxelles ; Centre et Ecole Belge de Daseinsanalyse, sdal@clstjean.be
Correspondance
Mme Claire Mairiaux
Clinique Saint-Jean, Bruxelles
Service de Psychiatrie Adulte
Boulevard du Jardin Botanique, 32
B-1000 Bruxelles
cmairiaux@clstjean.be
Références
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- Roisin J. De la survivance à la vie : Essai sur le traumatisme psychique et sa guérison, 1-2, PUF, novembre 2010.
- Tovmassian T. Rôle de l’environnement, dynamiques transférentielles et contre-transférentielles avec la clinique du psychotraumatisme. In : Cahiers de psychologie clinique 2018/1(n° 50), 107-131, ÉditionsDe Boeck Supérieur.
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- Roisin J. De la survivance à la vie : Essai sur le traumatisme psychique et sa guérison, 50-61, PUF, novembre 2010.
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