INTRODUCTION
La leucémie lymphoïde chronique de type B représente la maladie lympho-proliferative chronique la plus fréquente. Elle affecte plus souvent l’homme (56,5 %) avec un âge médian au diagnostic de 71 ans chez l’homme et de 74 ans chez la femme. L’incidence standardisée sur la population mondiale est de 4,4 pour 100 000 personnes-années chez l’homme et de 2,2 pour 100 000 personnes-années chez la femme.
En 1928, Maurice Richter fut le premier à décrire un syndrome agressif, mortel, survenu chez un patient ayant développé de manière rapide et fatale des adénopathies généralisées et une hépato-splénomégalie. À l’époque, il parle de « sarcome à cellules réticulaires » chez les patients atteints de leucémie lymphoïde chronique (1).
Le terme « syndrome de Richter » fut utilisé à partir des années 1960, et concerne la transformation d’un désordre lympho-prolifératif de bas grade en un lymphome agressif. Le syndrome de Richter se développe principalement chez les patients atteint de leucémie lymphoïde chronique.
Il s’agit, dans 90 à 95% des cas, de la transformation d’une leucémie lymphoïde chronique en un lymphome B diffus à grandes cellules de type ABC. Dans les 5 à 10% restants, on retrouve une transformation en lymphome de Hodgkin.
Nous nous intéressons principalement, dans cet article, à la transformation en lymphome B diffus à grandes cellules.
ÉPIDÉMIOLOGIE
La prévalence du syndrome de Richter, dérivant d’analyses de cohortes rétrospectives, est de 1 à 11% chez les patients atteints de leucémie lymphoïde chronique. L’incidence de transformation en syndrome de Richter varie selon les séries de 1 à 7%. On estime le taux de transformation de 0,5 à 1% par an (1).
Le temps d’évolution de la leucémie lymphoïde chronique n’est pas toujours long avant transformation en syndrome de Richter. Le temps médian pour le diagnostic est de 1,8 à 5 ans après le diagnostic de leucémie lymphoïde chronique.
FACTEURS DE RISQUE
Un certain nombre de facteurs de risque ont été décrits pour le développement d’un syndrome de Richter.
Il existe des facteurs de risque clinique comme par exemple, le stade III ou IV de RAI, ou la préexistence d’un gros syndrome tumoral ganglionnaire (dit « bulky »). D’autres facteurs cliniques prédictifs d’évolutivité de la LLC, comme le temps de doublement rapide, le pattern et le pourcentage d’envahissement de la moelle, l’augmentation de la B2-microglobuline, ne prédisent pas spécifiquement la transformation en Richter (2).
L’autre versant s’intéresse aux caractéristiques génétiques prédisposant un patient ayant une leucémie lymphoïde chronique à développer un syndrome de Richter.
Dans les mutations germinales conférant un risque augmenté de Richter, on retrouve des polymorphismes nucléotidiques dans les gènes BCL2, CD38 et LRP4 (1). Le risque accru conféré par ces polymorphismes reste néanmoins modeste (2).
Les mutations somatiques peuvent également influencer la transformation en syndrome de Richter. Les malades porteurs de mutation NOTCH 1 présentent un risque majoré de 11 fois. La trisomie 12, indépendamment de NOTCH 1, confère également un risque plus élevé de transformation (2). La délétion 17P avec mutation de TP53, délétion de CDKN2a/b et l’activation de C-Myc sont également retrouvées. Les caractéristiques propres des cellules B sont également mises en cause comme par exemple, le statut mutationnel IGHV, non muté dans ce cas-ci, ou une longueur courte de télomère.
Certains auteurs incriminent également l’utilisation de molécules particulières de chimiothérapie pour le traitement de la leucémie lymphoïde chronique comme par exemple les analogues des purines ou les agents alkylants. Il existe des études prospectives dont les résultats sont contradictoires ou non significatifs, dès lors ce point reste controversé (1). En effet, on ne peut déterminer si l’augmentation de l’incidence de syndrome de Richter après chimiothérapie est liée à la pression de sélection du traitement ou plutôt aux caractéristiques biologiques de la maladie (2).
À l’ère des nouvelles thérapies pour la LLC, une question importante reste de savoir si l’utilisation de thérapies ciblées a un impact positif ou négatif sur l’incidence de la transformation en syndrome de Richter.
Avec l’utilisation de nouveaux agents ciblés chez les patients avec une leucémie lymphoïde chronique précédemment traitée, on a observé une transformation assez précoce - dans la plupart des cas dans les 12 à 18 mois suivant le début du traitement-après quoi, le risque de transformation est devenu stable.
Beaucoup de ces patients ont été lourdement prétraités (nombre médian de thérapies antérieures égales à 3) et présentaient des caractéristiques pathogéniques à haut risque telles que la délétion 17p (2). Ceci suggère que les clones agressifs, avec les prétraitements actuels, émergent très probablement sous la pression sélective de la thérapie et que le syndrome de Richter n’est pas induit par les thérapies elles-mêmes. Conformément à ce point de vue, les études qui s’intéressent aux thérapies ciblées comme traitement de première intention dans la LLC, ont montré une baisse significative de la transformation en Richter (2). L’immunosuppression liée à l’EBV a également été mise en cause comme facteur de risque pouvant mener à un syndrome de Richter.
DIAGNOSTIC
Les symptômes cliniques pouvant faire suspecter un syndrome de Richter incluent la présence de symptômes B, l’augmentation rapide de la taille des ganglions, la présence d’une maladie extra-nodale, l’hypercalcémie, l’augmentation marquée des LDH, …
Néanmoins, la présence d’un de ces signes cliniques n’est pas spécifique de la transformation en syndrome de Richter. Seulement 50 à 60% des patients avec une suspicion clinique reçoivent un diagnostic final de transformation (3).
Une documentation histologique par biopsie est nécessaire pour confirmer le diagnostic de syndrome de Richter. Idéalement, il faut pouvoir prélever un ganglion dans sa totalité, ou un morceau de ganglion grâce à une biopsie chirurgicale. Si la lésion est inaccessible pour une biopsie chirurgicale, une biopsie à l’aiguille de gros calibre guidée par échographie ou TDM doit être réalisée (2).
En effet, une aspiration ou une biopsie à l’aiguille fine ne sont pas suffisantes pour approcher le diagnostic de Richter. Les échantillons obtenus par cette technique ne sont pas suffisamment représentatifs de l’architecture pathologique de la tumeur (4).
L’examen de premier choix dans le cadre d’une suspicion clinique et afin de guider la biopsie, est le PET-scanner. En particulier, la SUV peut aider à décider de la réalisation d’une biopsie mais aussi à déterminer quel site choisir afin de réaliser cette biopsie. Une SUV supérieure à 5 présente une haute sensibilité pour détecter la transformation en syndrome de Richter. La spécificité est relativement basse à 80%. L’utilité du PET-scanner est liée à une valeur prédictive négative à 97%, voulant dire qu’en la présence d’un PET-scanner négatif, la probabilité finale qu’une biopsie prouve une transformation en syndrome de Richter, est de seulement 3%. Une biopsie peut donc être évitée en présence d’un pet négatif (5). Néanmoins, la valeur prédictive positive est faible (53%), parce que beaucoup de lésions n’étant pas des syndromes de Richter peuvent être avides au FDG comme par exemple une LLC en progression, des métastases d’une tumeur solide, une infection, une inflammation ou tout autre désordre lympho-prolifératif.
Le reste du bilan dans le cadre de la mise au point d’un syndrome de Richter doit comporter la réalisation d’une biopsie médullaire, ainsi qu’un staging du système nerveux central en fonction des caractéristiques de la maladie, selon les mêmes critères que pour un lymphome B diffus à grandes cellules de novo.
PRONOSTIC
En général, le pronostic du syndrome de Richter est très défavorable, avec une médiane de survie après transformation de 8 à 16 mois dans les deux plus grandes séries disponibles (6). Néanmoins, ce pronostic est fortement relié à la relation clonale d’avec la leucémie lymphoïde chronique sous-jacente. En effet, les syndromes de Richter n’évoluant pas à partir du clone de la LLC sous-jacente (« clonally unrelated ») présentent une médiane de survie significativement plus longue, de l’ordre de 62 mois, tandis que ceux reliés clonalement (« clonally related ») présentent une médiane de survie de 8 à 14 mois.
Le lymphome B diffus ne dérivant pas du clone de la LLC sous-jacente, est semblable en termes de résultats cliniques et biologiques avec un lymphome B diffus de novo. En raison du profil génétique et du pronostic différent des lymphomes B diffus non reliés clonalement, Rossi et al ont proposé de traiter ces lymphomes comme des lymphomes B diffus de novo.
La détermination de ce lien de clonalité entre la LLC sous-jacente et le syndrome de Richter n’est pas facile à établir. Les premiers tests ont été basés sur la comparaison des isotypes de chaînes légères ou lourdes d’immunoglobulines entre la LLC et le syndrome de Richter en utilisant l’immunohistochimie. Plus tard, la dépendance clonale a été évaluée par comparaison de la taille de la bande représentant le réarrangement du gène de l’immunoglobuline en utilisant le southern blot. Cependant, la limitation significative de ces deux techniques est leur incapacité à fournir une preuve définitive de l’identité clonale. Actuellement, la meilleure méthode à utiliser semble être l’examen de la séquence nucléotidique VH-D-JH de la région variable de la chaîne lourde des immunoglobulines (IGHV) par réaction de polymérisation en chaîne (PCR) et séquençage (7).
Les sources d’ADN utilisées pour comparaison sont, l’ADN des lymphocytes circulants pour la LLC et l’ADN du lymphome B diffus transformé obtenu par microdissection par capture laser des cellules du lymphome.
Face à la difficulté de déterminer le caractère clonal ou non clonal du syndrome de Richter par rapport à la LLC sous-jacente, deux scores ont été créés par deux équipes différentes afin de prédire le pronostic sur base de facteurs cliniques et biologiques autres.
Le score de Tsimberidou et al, en 2006, appelé Score de Richter, est basé sur 5 caractéristiques : l’ECOG supérieur à 1, le taux de LDH élevé, la numération plaquettaire < 100 000, la taille de la tumeur> 5 cm, et le nombre de traitements précédemment reçus > 2 (8). C’est une aide à prédire la survie une fois la transformation établie.
Le score de Rossi et al. en 2011, est quant à lui basé sur l’ECOG, la présence ou non d’une mutation TP53 et la bonne réponse ou non à la thérapie d’induction (6). Ce système de notation, cependant, ne peut pas être utilisé pour prédire la survie chez les patients au diagnostic initial du syndrome de Richter puisque le modèle lui-même intègre la réponse à la thérapie d’induction comme l’une des variables (tab. 1).
TRAITEMENT
1. Traitement classique par (immuno)-chimiothérapie
Le choix des molécules de chimiothérapie pour le traitement du syndrome de Richter, suit l’évolution progressive des traitements utilisés chez les patients atteints de lymphomes agressifs non hodgkiniens. Différentes approches ont été envisagées, mais celles-ci sont principalement basées sur des études de phase II. Malgré leur activité prometteuse en termes de réponse complète, les traitements désignés pour la prise en charge des lymphomes agressifs sont sévèrement toxiques chez le patient présentant un syndrome de Richter.
L’attitude la plus courante consiste en l’administration de CHOP ou de R-CHOP, qui confère une balance raisonnable entre activité et toxicité.
Dans les études réalisées, le R-CHOP donnait un taux de réponse de 76%, et une médiane de survie de l’ordre de 27 mois (9). La mortalité liée au traitement était de l’ordre de 3%. Une toxicité hématologique était documentée chez 65% des patients et les infections constituaient la toxicité non hématologique la plus sévère touchant 28% de patients.
La chimiothérapie OFAR (Oxaliplatine, Fludarabine, Aracytine et Rituximab) induisait un taux de réponse de 40% avec une toxicité acceptable.
D’autres traitements de chimiothérapie consistent en l’administration d’hyper CVAD, un traitement fractionné de cyclophosphamide, vincristine, doxorubicine et dexamethasone, induisant une réponse de 41% (CR 38%), mais la médiane de survie était seulement de 10 mois. La combinaison de fludarabine, aracytine, cyclophosphamide, cisplatine et G-CSF a été rapportée comme ayant une activité limitée et une importante toxicité.
Ces traitements-là n’ont pas été aussi convaincants que le R-CHOP et ils occasionnent une toxicité hématologique importante de grade III ou IV.
Au vu de ces résultats, les chimiothérapies à base de rituximab comme R-CHOP et OFAR représentent le pilier pour le traitement d’induction chez les patients avec une transformation en lymphome B diffus à grandes cellules.
Néanmoins, même si le taux de réponse est relativement haut, le devenir à long terme conféré par ses traitements n’est pas satisfaisant, comme en témoigne la courte survie sans progression (3 à 15 mois).
Chez les patients avec une transformation sans relation clonale avec la LLC sous-jacente, et qui n’atteignent pas la rémission complète, un traitement de rattrapage par R-DHAP/R-DHAOX (rituximab, dexamethasone, cytarabine et cisplatine ou oxaliplatine) ou par R-ICE (rituximab, ifosfamide et etoposide) peut être proposé, suivi par une autogreffe de cellules souches comme pour les patients présentant un lymphome B diffus de novo.
Pour les patients dont la transformation dérive d’un clone de la LLC sous-jacente, et qui ont déjà reçu précédemment une chimiothérapie à base d’anthracyclines, on peut également proposer des chimiothérapies de type R-DHAP, R-ICE, suivies ou non d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques.
2. Rôle de la greffe de cellules souches hématopoïétiques
Sur base de l’efficacité limitée des traitements de chimiothérapie, le groupe européen de transplantation a investigué le rôle de la greffe de cellules souches hématopoïétiques en traitement de post rémission chez les patients avec un syndrome de Richter (10). Les résultats se basant sur des études rétrospectives, étaient plutôt encourageants. À 3 ans, le taux de survie sans rechute était de 27% après allogreffe de cellules souches et 45% après autogreffe. Le taux de mortalité sans rechute était de 26% pour l’allogreffe et l’autogreffe. La survie à 3 ans était de 36% après allogreffe et 59% après autogreffe. Néanmoins, la réponse à la chimiothérapie avant la greffe est le facteur influençant le plus le devenir en post greffe.
Globalement, l’allogreffe peut être proposé chez les patients avec un lymphome B diffus relié à la LLC sous-jacente sous réserve d’un donneur HLA compatible et d’un statut de performance adéquat. Une autogreffe de cellules souches peut être considérée chez des patients sélectionnés avec un LBDGC relié clonalement à la maladie qui n’ont pas un donneur convenable ou ne sont pas candidats à une allogreffe, du fait de l’âge ou des comorbidités. L’âge, le statut fonctionnel, les comorbidités et la chimiosensibilité de la maladie, déterminent si le patient est un candidat adapté ou non à une greffe de cellules souches.
3. Immunothérapie
Face à l’inefficacité relative de l’immuno-chimiothérapie traditionnelle pour traiter les syndromes de Richter reliés clonalement à la LLC sous-jacente, il est nécessaire de réaliser des études cliniques dans le but de cibler les lymphomes B diffus à grandes cellules de type ABC chimio-résistants et les anomalies moléculaires qui mènent à ces transformations.
Les nouvelles thérapies du type ibrutinib, idelalisib ou vénétoclax ont montré leur efficacité dans la prise en charge de la leucémie lymphoïde chronique en rechute ou réfractaire.
De nouvelles drogues sont également à l’étude à différents stades pour la prise en charge du syndrome de Richter, comme : Ibrutinib, Acalabrutinib, Vénétoclax, Pembrolizumab, Selinexor…
a. Inhibiteurs des Bruton Tyrosine Kinases.
Les inhibiteurs des Bruton tyrosines kinases comme l’ibrutinib, sont des inhibiteurs sélectifs et irréversibles de la petite molécule BTK qui inhibe la signalisation BCR dans les cellules humaines B, via une occupation active spécifique du site.
L’ibrutinib a déjà démontré son efficacité dans la prise en charge des leucémies lymphoïdes chroniques en rechute ou réfractaires.
Une série récente mais très limitée de 4 patients a démontré que l’Ibrutinib avait une efficacité dans la prise en charge du syndrome de Richter (une rémission complète, deux réponses partielles, un décès lié à une infection par mucormycose) (Tsang et al., 2015) (11).
L’acalabrutinib est un puissant inhibiteur des bruton tyrosine kinase de seconde génération, avec une activité inhibitrice de BTK hautement spécifique. Cet agent est actuellement en cours d’investigation dans un certain nombre de maladies lymphoprolifératives. Une étude de phase 1b comportant de nombreux bras de traitement, a présenté un bras « syndrome de Richter ». Les résultats intermédiaires ont montré que l’acalabrutinib possède une activité en tant qu’agent seul dans la prise en charge des syndromes de Richter, mais des efforts doivent être faits pour évaluer la molécule dans des études de phase II (12).
b. Antagonistes de Bcl-2
Le vénétoclax est une molécule mimétique de BH3 qui inhibe la protéine lymphocytaire B anti-apoptotique (Bcl-2), entraînant l’apoptose des cellules de la LLC. Ce médicament est très actif dans la leucémie lymphoïde chronique en rechute ou réfractaire.
Dans une étude de phase I / II, concernant la LLC en rechute ou réfractaire, le taux de réponse globale était de 77% dans les groupes avec augmentation de la dose (56 patients) et de 82% dans la cohorte d’expansion de 400 mg (60 patients). Au total, 18 patients (16%) ont développé un syndrome de Richter. La transformation s’est produite tôt pendant le traitement. La plupart des patients qui ont développé un syndrome de Richter avaient été traités plusieurs fois et possédaient plusieurs caractéristiques à haut risque telles que l’IGHV non mutée et la délétion 17p. Dans ces cas, la transformation en une maladie agressive peut représenter un mécanisme d’échappement tumoral de la suppression par l’inhibition de BCL2 et résulte probablement de la croissance sélective des sous-clones agressifs présents dans la tumeur avant l’initiation du vénétoclax (2).
Dans une étude de phase I, 7 patients avec un syndrome de Richter ont été traités avec des doses croissantes de vénétoclax et ont atteint un taux de réponse de 43% (pas de rémission complète). Une étude de phase II testant un autre inhibiteur de BCL2, le PNT2258, a été terminée précocement suite à un manque de recrutement de patients et une efficacité limitée.
c. Checkpoint pathway inhibitor
Une étude de phase 2 a récemment été publiée dans le journal Blood, visant à tester l’efficacité et la sécurité du Pembrolizumab, un anticorps humanisé anti PD-1, administré à la dose de 200 mg toutes les 3 semaines chez des patients avec une LLC en rechute ou réfractaire ou présentant un syndrome de Richter et aussi dans le lymphome de bas grade. La publication rapporte les résultats de la cohorte LLC incluant les patients avec une LLC et un Richter (13).
Le critère d’évaluation principal (primary endpoint) s’intéresse au taux de réponse globale (ORR). Neuf patients avec un syndrome de Richter ont été inclus.
Le nombre moyen de cycles était de 3. La durée du traitement a été en moyenne de 13 semaines pour les patients avec un syndrome de Richter. Seuls les patients avec un syndrome de Richter avaient une réponse confirmée (1 réponse complète, une réponse partielle métabolique, 4 maladies stables, une maladie progressive.
L’ORR était de 44% (intervalle de confiance à 95% : 14-79). Le suivi médian s’est étalé sur une période de 10,4 mois. La survie globale médiane pour les patients avec un syndrome de Richter était de 10,7 mois. La survie sans progression médiane était de 5,4 mois pour les syndromes de Richter (95% CI, 2,8-12,2).
Les patients avec une réponse confirmée présentaient une augmentation de l’expression de PD-L1 et une augmentation du trend d’expression de PD-1, comparé aux patients sans réponse clinique.
Les principaux effets secondaires étaient de grades 1 ou 2. Une toxicité hématologique de grades 3 ou 4 a été observée chez 20% des patients.
La réponse clinique chez les patients avec une LLC en transformation est quelque peu encourageante, mais elle reste à explorer sur des échantillons de patients plus grands. Une étude de phase I/II combinant acalabrutinib et pembrolizumab est actuellement en cours de recrutement.
d. CAR T Cells
La thérapie par CAR T cells consiste à modifier en laboratoire les cellules T d’un patient afin de les diriger contre les cellules cancéreuses. Les lymphocytes T sont prélevés dans le sang du patient. Le gène d’un récepteur particulier reconnaissant une protéine des cellules cancéreuses est inséré dans les lymphocytes T en laboratoire. Ce récepteur particulier est appelé « récepteur d’antigène chimérique (CAR) ». Un grand nombre de cellules T CAR sont cultivées en laboratoire et ensuite administrées au patient par perfusion. Les CAR T Cells exercent une activité anti-tumorale liée à la création d’une synapse immune entre la cellule T et la cellule cancéreuse ciblée, associée à la libération de cytokines pro-inflammatoires, résultant en un recrutement endogène de réponse immune (15).
La chimiothérapie de lympho-déplétion, suivie de l’administration de CAR T Cells (cellules T autologues modifiées qui expriment un récepteur d’antigène chimérique (CAR) spécifique pour CD19) ont montré des réponses complètes dans la LLA B (66-90% CR) et dans la LLC/ SLL (~ 60%) (16).
Une étude récente a évalué la sécurité et la faisabilité des CAR T Cells anti-CD19 chez les patients avec une leucémie lymphoïde chronique ayant précédemment reçu de l’ibrutinib. 24 patients ont reçu une chimiothérapie de lympho-déplétion et des CAR T cells anti CD19. Quatre semaines après la perfusion de CAR T Cells, le taux de réponse global (réponse complète [CR] et / ou réponse partielle [PR]) selon les critères de l’IWCLL (international workshop of Chronic lymphocytic leukemia) était de 71%. Sur 5 patients avec un syndrome de Richter, 2 ont montré une réponse complète, 1 une réponse partielle et 2 une maladie progressive (16).
D’autres données préliminaires sur l’administration de CAR T cells dans le syndrome de Richter ont montré des réponses moins encourageantes. Néanmoins, des études cliniques investiguant ces traitements dans le syndrome de Richter sont toujours en cours (17).
e. Autres drogues potentiellement candidates
Le lenalidomide a montré une activité dans les lymphomes B diffus de type ABC, en combinaison avec le R-CHOP. Des inhibiteurs de CDK4 sont actuellement en développement dans des études pré-cliniques et cliniques.
Les patients avec une mutation somatique de NOTCH 1 pourraient se voir offrir une inhibition de NOTCH 1 à côté de l’immuno-chimiothérapie traditionnelle.
SUGGESTION DE PRISE EN CHARGE DU SYNDROME DE RICHTER
Le syndrome de Richter reste l’un des challenges majeurs dans la prise en charge d’un patient atteint de LLC. Un des facteurs les plus importants prédisant le devenir du syndrome de Richter, est son lien clonal avec la LLC sous-jacente. Les 20% des patients avec un lymphome B diffus à grandes cellules non relié clonalement à la LLC sous-jacente peuvent être traités comme un lymphome B diffus de novo, habituellement par R-CHOP. Pour les 80% de patients avec un syndrome de Richter relié clonalement à la LLC sous-jacente, le but initial du traitement qui actuellement consiste en l’administration de R-CHOP, est d’induire une réponse, qui peut éventuellement être consolidée par une greffe de cellules souches.
CONCLUSION
Le syndrome de Richter reste une aire de besoins majeurs dans l’étude des thérapies pour la LLC. L’avancement et les découvertes durant les dernières années ont revitalisé l’intérêt pour ce syndrome.
Malgré les résultats spectaculairement améliorés pour les patients atteints de LLC en rechute ou réfractaires qui sont traités avec de petites molécules inhibitrices de BTK (Ibrutinib), Bcl-2 (Vénétoclax) et PI3K-δ (Idelalisib), les résultats chez les patients atteints de syndrome de Richter restent largement insuffisants, en particulier chez ceux avec un syndrome de Richter dérivé du clone de LLC sous-jacent et avec mutation de TP53.
Un nombre limité mais en augmentation de marqueurs moléculaires et phénotypiques ont été mis en évidence pour faciliter l’identification des patients à risque de transformation en syndrome de Richter.
Néanmoins, il est actuellement difficile d’identifier au diagnostic, les patients qui sont destinés à transformer.
Etant donné le taux de réponse globale faible de l’immunochimiothérapie standard, de nouvelles molécules sont requises. Un diagnostic moléculaire en temps réel et des traitements nouveaux combinés et ciblés, sont prometteurs pour améliorer le devenir clinique. Pour tester la validité de telles approches dans une maladie rare, des études cliniques multicentriques, bien conçues et bien organisées sont nécessaires.
Lorsqu’ils sont disponibles, les patients doivent être traités dans des essais cliniques, en particulier avec une immunothérapie, et, dans la mesure du possible, recevoir une consolidation par greffe de cellules souches en cas de réponse complète.
Recommandations pratiques
Il est important, autant pour le médecin généraliste que pour l’hématologue, de pouvoir détecter les signes cliniques d’évolution potentielle vers un syndrome de Richter qui sont :
- augmentation rapide de la taille des ganglions ;
- fièvre ;
- augmentation des LDH, …
Un bilan précoce par PET-scanner et une éventuelle biopsie peuvent permettre un diagnostic précoce, avec prise en charge rapide, adaptée à l’âge et aux comorbidités du patient.
AFFILIATIONS
1. Médecin assistant candidat clinicien spécialiste en Hématologie, Université catholique de Louvain, Belgique.
2. Médecin spécialiste en Hématologie, Centre de lutte contre le cancer, Centre Henri Becquerel, Rouen.
CORRESPONDANCE
Dr. HÉLÈNE VELLEMANS
Cliniques universitaires Saint-Luc
Hématologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
Conflit d’intérêt Aucun
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