Abréviations
AGP : ambulatory glucose profile ; AVC : accident vasculaire cérébral ; CGM : continuous glucose monitoring ; CV : cardiovasculaire ; CVOT : étude prospective évaluant la survenue d’événements cardiovasculaires ; DT2 : diabète de type 2 ; GIP : Glucose-Dependent Insulinotropic Polypeptide ; GLP1-RA : agoniste du récepteur au glucagon-like peptide-1 ; HbA1c : hémoglobine glyquée A1c ; IM : infarctus myocardique ; IRC : insuffisance rénale chronique ; RR : risque résiduel ; SGLT2-i : inhibiteur du co-transport sodium-glucose de type 2 ; TAR : time above range ; TBR : time below range ; TIR : time in range.
Introduction
Les associations européenne & américaine du diabète ont mis à jour en 2022 leurs directives conjointes émises depuis 2006 concernant la prise en charge de l’hyperglycémie du diabète de type 2 (DT2), dont la dernière version datait de 2019, en soulignant notamment les aspects sociaux et comportementaux de la santé des diabétiques, dont le sommeil et le contrôle du surpoids/obésité (1). Les preuves nombreuses concernant la réduction du risque résiduel (RR) cardio-métabolique lié à l’utilisation de certaines molécules anti-hyperglycémiantes (inhibiteurs du co-transport sodium-glucose de type 2 ou SGLT2-i et agonistes du récepteur au GLP1 ou GLP1-RA) ont également mené à recommander l’utilisation précoce de ces molécules avec bénéfice cardio-métabolique démontré au sein de ces 2 classes en fonction du profil de risque cardio-rénal des patients DT2, au-delà de leur effet escompté sur l’hyperglycémie et sur la prévention de survenue ou d’aggravation des complications micro-vasculaires.
Cibles d’Hba1c
Les directives estiment comme objectif d’HbA1c raisonnable un taux ≤7.0% pour la plupart des adultes dont l’espérance de vie est pressentie suffisamment longue pour obtenir les bénéfices micro-vasculaires escomptés de la réduction glycémique, attendus à une échéance de ≥10 ans selon l’HbA1c de départ. Une cible d’HbA1c inférieure peut être pertinente si elle est atteignable en toute sécurité, soit sans risque accru d’hypoglycémies et/ou d’autres effets secondaires, dont la prise de poids, en particulier lorsque des agents dépourvus d’effets hypoglycémiant intrinsèques sont utilisés. Une cible plus élevée d’HbA1c est envisageable en cas d’espérance de vie limitée, de comorbidités et/ou de complications vasculaires avancées, et/ou de fragilité (1-3).
Surveillance du glucose par CGM
Le remboursement de la surveillance continue du glucose interstitiel (continuous glucose monitoring ou CGM) est désormais étendu à certains patients DT2 traités par un schéma insulinique basal-prandial. Concernant l’interprétation des données de la surveillance continue du glucose, les recommandations du consensus international concernant la durée optimale passée dans les différents intervalles glycémiques préconisent de recourir aux mesures standardisées suivantes basées sur le consensus international de 2019 pour le CGM (3) :
• nombre de jours et durée relative du CGM actif (≥14 jours et ≥70% recommandés)
• glucose interstitiel moyen
• GMI (Glucose Management Indicator qui remplace nominalement l’A1c estimée)
• variabilité glycémique (coefficient de variation (CV)) : cible ≤36%
• durées relatives (%) passées respectivement
o >250 mg/dL & >180 mg/dL (time above range : TAR>250 & TAR180-250) ;
o dans la cible, soit entre 70-180 mg/dL (time in range ou TIR70-180) ;
o <70 mg/dL & <54 mg/dL (time below range : TBR54-70 & TBR<54)
• utilisation du rapport standardisé AGP (Ambulatory Glucose Profile) à privilégier
Les cibles du CGM pour les différentes populations concernant les durées relatives passées dans chaque zone glycémique sont les suivantes :
• adultes DT1 & DT2 ordinaires : TAR>250 <5%; TAR180-250 <25%; TIR70-180 >70%; TBR54-70 <4% et TBR<54 <1%
• adultes DT1 & DT2 âgés &/ou à haut risque : TAR>250 <10%; TAR180-250 <50%; TIR70-180 >50% ; TBR54-70 <1% et TBR<54 0%
• patientes DT1 enceintes : TAR>140 <25%; TIR63-140 >70% ; TBR54-63 <4% et TBR<54 <1%.
Chez la plupart des individus avec des propriétés de glycation et d’entrée transérythrocytaire du glucose usuelles, une HbA1c <7.0% correspond à un TIR70-180 >70%.
Options pharmaco-thérapeutiques pour le contrôle glycémique
Sept options pharmacologiques pour contrôler l’hyperglycémie du DT2 sont reprises dans les directives récentes (1) : (i) metformine ; (ii) SGLT2-i ; (iii) GLP1-RAs ; (iv) bi-agoniste Glucose-Dependent Insulinotropic Polypeptide GIP/GLP1-R, représenté par le tirzepatide non encore disponible en Belgique ; (v) dipeptidyl peptidase 4 inhibiteurs ; (vi) ; (vi) thiazolidinediones ; (vii) sulfonylurées de 2e génération ; et (viii) insulines humaines et analogues d’insuline.
Options pharmaco-thérapeutiques pour le contrôle pondéral
Les molécules discutées dans les dernières directives sont le semaglutide et le tirzepatide, dont les effets bénéfiques sur le poids apportent un bénéfice supplémentaire substantiel en plus des mesures hygiéno-diététiques, à la fois pour améliorer le contrôle glycémique et réduire le surpoids et l’obésité dans le DT2. La chirurgie bariatrique reste également une option pour une minorité de patients candidats à ce type de traitement à l’aune des critères en cours et de l’usage croissant des nouvelles molécules bariatriques de la classe des GLP1-RA et des bi-agonistes GIP/GLP1-RA (1).
Médications anti-hyperglycémiantes à effets protecteurs cardio-rénaux
Les SGLT2-i sont des médications anti-hyperglycémiantes dont l’efficacité sur la glycémie est proportionnelle à la filtration glomérulaire du fait de leurs propriétés natrio-glucosuriques. Des études prospectives contre placebo avec critères d’évaluation cardiovasculaires (CVOTs) &/ou cardio-rénaux ont montré une réduction importante de 1re survenue de composites d’événements CV (mort CV, infarctus myocardique (IM), accident vasculaire cérébral (AVC) non fatal, (hospitalisation pour) décompensation cardiaque), de mortalité de toute cause et/ou d’événements rénaux majeurs, avec un bénéfice clinique d’apparition rapide (semaines à mois), particulièrement chez des populations à risque CV élevé &/ou avec décompensation cardiaque (tous types) et/ou avec insuffisance rénale chronique (IRC)/protéinurie traités par certains SGLT2-i (notamment empagliflozine, dapagliflozine et canagliflozine). Ces avantages dépassaient de loin les risques d’effets secondaires, généralement mineurs, et ont contribué à la révision des directives vers une utilisation la plus précoce possible des médications au sein de la classe des SGLT2-i avec bénéfices cardio-rénaux documentés (1,4).
Certaines molécules au sein de la classe des GLP1-RA (liraglutide, dulaglutide, albiglutide, et semaglutide) ont également démontré un bénéfice CV substantiel sur la 1re survenue en terme de réduction d’un composite d’événements CV (mort CV, IM et AVC non fatal), assorti d’un effet anti-protéinurique chez des patients en prévention secondaire CV ou en prévention primaire & à haut risque CV au cours de CVOTs menés contre placebo.
Ce bénéfice était indépendant de l’amélioration glycémique et pondérale, et était observé après un délai proche de celui observé au cours d’interventions hypocholestérolémiantes ou hypotensives. Les bénéfices de ces 2 classes ayant été obtenus indépendamment de la présence de metformine, cette dernière n’est désormais plus considérée comme un traitement de monothérapie prérequis, en particulier pour les patients DT2 en prévention secondaire CV ou cardio-rénale, et/ou en décompensation cardiaque de toute cause, ou à haut risque CV ou cardio-rénal.
Les approches traditionnelles d’ajouts successifs de classes thérapeutiques hypoglycémiantes sont remises en cause à la lumière des rapports avantages-inconvénients qui plaident en faveur de l’introduction combinée précoce de combinaisons médicamenteuses. Les associations présentent plusieurs avantages : (i) durée plus longue du contrôle glycémique ; (ii) diminution de l’inertie clinique et facilitation de la persistance médicamenteuse; (iii) ciblage simultané de différentes anomalies physio-pathologiques ; et (iv) obtention d’effets cliniques combinés glycémiques et extra-glycémiques, en particulier au plan cardio-métabolique et cardio-rénal (1).
Approches personnalisées du traitement glycémique selon les comorbidités
L’ordre des choix médicamenteux essentiellement glucocentrique en terme de rapport coût-bénéfique est devenue obsolète depuis 2019 pour les patients à comorbidités ou à haut risque cardio-rénal, vu les bénéfices cliniques rapidement obtenus indépendamment du contrôle glycémique des molécules avec effet cardio-rénal démontré au sein des classes GLP1-RA et des SGLT2-i. Les recommandations conjointes EASD-ADA de 2018 et la révision de 2019 ont mis au premier plan le risque cardio-rénal établi (prévention secondaire) ou estimé pour prioriser la sélection précoce des GLP1-RA et des SGLT2-i avec bénéfice clinique démontré chez les patients avec maladie CV athéro-thrombotique avérée ou à très haut risque de cette dernière (GLP1-RA) d’une part, ou avec insuffisance cardiaque et/ou IRC/protéinurie (SGLT2-i) d’autre part, avec possibilité d’utilisation séquentielle combinée le cas échéant de comorbidités conjointes. Une séparation complète de l’arbre décisionnel initialement commun pour la décompensation cardiaque et l’IRC/protéinurie a été introduite en 2019 (1).
Directives 2023 de l’ESC sur la prise en charge des maladies CV chez les patients diabétiques
Les révisions de ces directives concernent notamment l’évaluation du risque CV à 10 ans chez les patients DT2 sans maladie CV athéro-sclérotique et sans atteinte d’organes-cibles &/ou à haut risque, pour lesquels un nouveau calculateur (SCORE2-Diabetes) a été conçu (4, 5). Le prédiabète n’est plus abordé dans les directives 2023. Concernant les SGLT2-i et GLP1-RA, ces directives rejoignent celles de l’ADA-EASD pour un usage sélectif différent selon le risque cardio-rénal individuel de base. Des recommandations détaillées sont fournies concernant le dépistage et le diagnostic de l’insuffisance cardiaque chez les patients diabétiques et son traitement, sur base des essais cliniques dans les différentes formes (HFrEF, HFmrEF, HFpEF) et sur toute l’étendue des valeurs de fraction d’éjection ventriculaire gauche. Les aspects spécifiques de l’IRC/protéinurie et de la fibrillation auriculaire dans le diabète sont également abordés en détail dans ces directives révisées (4).
Références
- Davies MJ, Aroda VR, Collins BS et al. Management of hyperglycaemia in type 2 diabetes, 2022. A consensus report by the American Diabetes Association (ADA) and the European Association for the Study of Diabetes (EASD). Diabetologia 2022 ;65:1925–1966.
- Holt RIG, DeVries JH, Hess-Fischl A et al. The management of type 1 diabetes in adults. A consensus report by the American Diabetes Association (ADA) and the European Association for the Study of Diabetes (EASD). Diabetologia 2021;64 :2609–2652.
- Battelino T, Danne T, Bergenstal RM et al. Clinical targets for continuous glucose monitoring data interpretation: recommendations from the international consensus on time in range. Diabetes Care 2019;42:1593–1603.
- Marx N, Federici M, Schütt K, Müller-Wieland D, Ajjan RA, Antunes MJ, Christodorescu RM, Crawford C, Di Angelantonio E, Eliasson B, Espinola-Klein C, Fauchier L, Halle M, Herrington WG, Kautzky-Willer A, Lambrinou E, Lesiak M, Lettino M, McGuire DK, Mullens W, Rocca B, Sattar N; ESC Scientific Document Group. 2023 ESC Guidelines for the management of cardiovascular disease in patients with diabetes. Eur Heart J. 2023 ;44:4043-4140.
- SCORE2-Diabetes Working Group and the ESC Cardiovascular Risk Collaboration, SCORE2-Diabetes: 10-year cardiovascular risk estimation in type 2 diabetes in Europe. Eur Heart J. 2023 ; 44 :2544–2556.
Correspondance
Pr Michel P. Hermans
Cliniques universitaires Saint-Luc
Endocrinologie et Nutrition
Avenue Hippocrate 10
B1200 Bruxelles, Belgique