INTRODUCTION
Le check-up, dit le dictionnaire Larousse, est « un bilan complet concernant l’état de quelque chose ». On préférera utiliser le terme bilan de santé. En fait, la demande du patient est de vérifier son état de santé sans plainte particulière à un moment donné de son existence.
Avant d’aller chez le médecin, le patient aura souvent été voir sur Internet. Voici ce qu’il peut trouver comme information sur le check-up : « Le bilan de santé (…) désigne un ensemble d’opérations et d’évaluations de la santé d’un individu. Il est important pour la médecine préventive car il permet un dépistage plus précoce des maladies et donc un meilleur traitement. Il est en effet logique d’avoir des doutes sur sa propre santé, certaines douleurs fugaces, sensation de fatigue, etc… sont des sujets d’inquiétude pour qui se pose la question : Suis-je en bonne santé, n’ai-je pas de maladie ? L’inquiétude est mauvaise conseillère et nuit à la santé. » (1)
Le but de cet article est d’essayer d’apporter des réponses aux questions suivantes : qu’est ce qu’on entend par bilan de santé, quelles en sont les modalités et quelle est son utilité. Comme exemple, nous prendrons celui d’une demande d’un bilan de santé par un sujet adulte, de 50 ans, sans plainte particulière, et sans pathologie pour laquelle il serait suivi par ailleurs.
DÉFINITION
Le bilan de santé est défini par le grand dictionnaire terminologique comme « l’ensemble des examens médicaux pratiqués systématiquement, occasionnellement ou à intervalles réguliers sur une personne apparemment saine ou malade et dont le résultat permet d’évaluer l’état et le fonctionnement de ses organes ». Comme on le voit dans cette définition, le bilan de santé n’est pas réservé aux patients en bonne santé. Nous allons donc nous restreindre au bilan de santé chez un patient asymptomatique.
La littérature anglophone utilise le terme de « health check », qui peut être défini comme « une évaluation complète pour détecter et gérer les facteurs de risque et les maladies chroniques, dont la plupart sont liées aux maladies cardiovasculaires. » (2)
Suivant la classification internationale des soins primaires (CISP), il s’agit d’un épisode de soins qui peut être codé en 3 phases : le motif de rencontre, le problème de santé, l’intervention. (3) Le motif de rencontre, choisi au plus près de la formulation verbale du patient est : gestion de la santé/médecine préventive (A98), ou une demande de procédure : examen médical/bilan de santé détaillé (-30), ou éventuellement une demande directe d’analyse de sang : (-34). Il est à noter aussi que le bilan de santé peut avoir comme motif de consultation les codes -26 (peur du cancer) ou -27 (peur de maladie).
Le résultat d’un bilan de santé est une sorte de photographie de l’état de santé d’un patient à un moment donné. Sa valeur est donc limitée dans le temps. Pour l’augmenter, il peut être utile de le répéter à intervalle, c’est pourquoi certains préfèrent l’appeler « examen médical périodique » (EMP). (4) L’objectif de celui-ci est de dépister une maladie ou un comportement à risque ; c’est également l’occasion de discuter de mesure de promotion de santé et de prévention de la maladie (4).
Le bilan de santé peut également mener à diagnostiquer une maladie à un état précoce de son développement, avant que le malade n’en ressente les premiers symptômes. Il est possible également que le patient soit déjà malade, bien qu’il ne fasse pas de lien entre les signes qu’il présente et son état de maladie.
Les bilans demandés par une société d’assurance –vie ou dans le cadre d’un certificat d’aptitude ont un objectif différent et ont leur propre méthode d’évaluation. Ils ne seront donc pas abordés ici.
UTILITÉ
L’efficacité de ce type d’examens n’a pas été démontrée en terme de morbidité et de mortalité dans une méta-analyse de 2012. (5). Une autre méta-analyse, plus récente, concluait toutefois que les bilans de santé basés sur la pratique de médecine générale sont associés à des améliorations statistiquement significatives, bien que cliniquement faibles, du contrôle des résultats intermédiaires, en particulier chez les patients à haut risque. (2). Les résultats de cette étude sur la mortalité ne montrent pas de différence entre les groupes intervention et les groupes contrôle mais constate aussi que la plupart des études n’avaient pas été conçues à l’origine pour évaluer la mortalité. (2)
Quoi qu’il en soit, le bilan de santé trouve sa justification dans la demande elle-même du patient en s’inscrivant dans le cadre d’une médecine centrée sur le patient. En effet, ceux-ci mentionnent que les qualités d’un « bon docteur » comportent entre autres des capacités d’accompagnement du patient dans sa vie. (6)
De plus, on peut se demander si les patients asymptomatiques qui se présentent pour un bilan de santé, sont vraiment asymptomatiques. Une étude a montré que beaucoup de patients, parmi ceux qui se disaient asymptomatiques, ont un « agenda caché », la plupart présentaient en fait plusieurs symptômes. (7)
INCIDENCE
L’étude ECOGEN, une étude française de 2003 qui analysait les motifs de consultation montre que le code A98 (gestion de la santé/médecine préventive), arrive comme premier motif de consultation avec 10,95% des consultations. (8)
L’incidence du code A98 dans la base de données en ligne belge INTEGO des motifs de consultation donne une incidence de 2744 pour 1000 patients. (9)
MODALITÉS
Différentes études se sont intéressées à décrire les actions constituant la procédure à appliquer lors d’une demande de bilan de santé.
La monographie suisse déjà citée consacre un chapitre à l’examen médical périodique de l’adulte. (EMP) (4). Selon elle, lors de l‘EMP, le médecin va déterminer si un patient est à risque de présenter une affection, en fonction de son sexe et de son âge. En général, il comprend une anamnèse qui recueille les plaintes de santé éventuelles, les antécédents médico-chirurgicaux ainsi que des informations sur les caractéristiques ethniques, familiales, socio-économiques, professionnelles et du mode de vie. Il inclut également un examen clinique simple et dirigé en fonction des plaintes et des caractéristiques anamnestiques du patient. Selon les cas, des examens para-cliniques ciblés seront proposés. Quatre grands groupes de pratiques préventives sont présentés : les conseils, le dépistage, l’immunisation et la chimioprophylaxie. (4)
L’anamnèse
a. Question ouverte
Suivant le guide Calgary-Cambridge (10), l’anamnèse commence par une question ouverte, simple invitation faite au patient à parler. Elle va s’intéresser à ce qui a motivé la demande du patient. Pourquoi est-il venu précisément aujourd’hui ? S’agit-il d’un examen périodique qu’il effectue à intervalles réguliers dans le but de conserver sa santé ? S’agit-il d’une demande dans le cadre d’un certificat, d’un examen demandé par une institution bancaire ou d’assurance ? S’agit-il enfin d’une demande suscitée par un questionnement particulier comme la crainte d’avoir une maladie ?
Cette première question permettra de connaître l’objectif du patient et de lever une plainte cachée, classique en médecine générale et qui pourrait expliquer la vraie raison de la consultation : une angoisse ou une anxiété par rapport à un événement personnel ou qui vient d’arriver dans l’entourage. La prise en compte de cet aspect psychologique est essentielle pour la fin de la consultation afin que le patient obtienne la réassurance qu’il est venu chercher, si le bilan de santé ne montre aucune anomalie.
b. Antécédents et problèmes actuels
On s’intéresse ensuite aux antécédents familiaux, personnels médico-chirurgicaux, ainsi qu’aux caractéristiques ethniques, familiales, socio-économiques, professionnelles et à celles qui concernent le mode de vie. Ici aussi une série de questions ouvertes est plus performante en terme de communication. Le praticien veille à laisser le temps au patient pour s’exprimer en parcourant avec lui, dans une écoute active, l’ensemble de ces facteurs. (11)
c. Les zones d’ombre
Il est intéressant de compléter l’anamnèse par un certain nombre de questions plus précises afin d’ôter les zones d’ombres sur les points qui n’ont pas été abordés par le patient. A ce titre les antécédents familiaux méritent une attention particulière. Les antécédents personnels méritent également d’être bien précisés, les patients ne conservant pas toujours un souvenir de leurs anciens épisodes de maladie. La consultation du dossier médical du patient, si elle est possible, est nécessaire. L’ensemble des questions doit avoir un haut degré d’exhaustivité pour être efficace. Pour s’y aider, le médecin peut par exemple parcourir l’anamnèse en interrogeant chaque système l’un après l’autre, ce qui a l’intérêt de ne pas négliger un antécédent ou un symptôme et évitera qu’il n’apparaisse en fin de consultation, ce qui aurait pour effet d’engendrer une consultation de type « circulaire » où toute ou partie de celle-ci doit être reprise depuis le début en tenant compte de cette nouvelle information.
d. L’état d’immunisation du patient est demandé, si possible objectivé sur base de documents écrits
e. Les facteurs de risques environnementaux et professionnels et ceux qui dépendent du mode vie méritent qu’on s’y arrête. Ici le patient détient la plupart des informations et une anamnèse bien conduite permet de poser un certain nombre de questions que le patient lui-même ne s’est peut-être jamais posées, concernant son alimentation, son activité physique, son comportement face à des maladies sexuellement transmissibles, sa santé mentale. La recherche d’un risque de violence intrafamiliale est un point délicat à aborder.
La société scientifique de médecine générale propose un modèle de questionnaire concernant la prévention. (12) Les items parcourus concernent le risque de dépression, portent sur le tabac, la sédentarité, le mésusage de l’alcool, l’alimentation en fruits et légumes, l’obésité, les vaccins reçus et le dépistage des cancers (colon, du sein et du col de l’utérus).
Ainsi, l’anamnèse tient une place centrale dans le bilan de santé. Le patient est parfois dérouté par cette façon de faire, sa demande se résumant souvent à celle d’un examen para-clinique comme une biologie sanguine, pensant que le dépistage consiste en une analyse complète du sang. Il est utile de l’informer que la littérature apporte la preuve contraire. (13) Le point de vue du patient mérite néanmoins d’être abordé durant la consultation car il est un point important de discussion si l’on veut améliorer la vision du patient sur sa santé. Dans un monde où la technologie est la principale information médicale dans les media, une tâche importante du médecin est de rappeler qu’un examen médical de type technologique n’a de sens que s’il s’inscrit dans le cadre d’une interrogation suscitée par la positivité d’une question à l’anamnèse ou d’une découverte d’un signe clinique particulier.
L’examen clinique
L’examen est « simple et dirigé, en fonction des plaintes et caractéristiques anamnestiques du patient » (4). En médecine générale, cet examen simple peut être décrit comme un examen permettant de recueillir les données d’ordre général (poids, taille, état général, température, coloration des phanères, des conjonctives), celles obtenues par l’inspection attentive du patient, de son comportement non-verbal et verbal et les signes cliniques obtenus par l’examen des différents systèmes. Les données d’ordre général et celles obtenues par l’examen clinique donneront lieu à une comparaison par rapport aux résultats antérieurs, s’ils sont disponibles. Les données recueillies à l’examen clinique s’ajouteront aux données obtenues à l’anamnèse pour déterminer si des examens para-cliniques sont justifiés.
a. Les examens para-cliniques, les conseils et les actions préventives
Ici, l’apport de l’Evidence-Based-Medicine (EBM) est prépondérant. C’est en fonction des données factuelles que les examens para-cliniques sont prescrits, que les conseils sont donnés et que les actions préventives sont proposées. Cette partie du bilan de santé est donc sujette à évolution permanente en fonction des nouvelles données de la science. Pour ce faire, le praticien doit donc mettre ses connaissances constamment à jour. Heureusement, un certain nombre d’outils sont mis à sa disposition, parmi lesquels les recommandations de bonne pratique sont au premier plan. L’US prevention service task force (USPSTF) propose un outil électronique, l’Electronic preventive services selector (ePSS), utilisable directement en ligne. (14). En répondant aux items proposés : âge, sexe (si féminin, grossesse), tabac actif, et sexuellement actif/inactif, le moteur de recherche donne les recommandations classées suivant les niveaux de preuve (tableau 1).
Exemple : un patient de 50 ans
Prenons le cas d’un patient de 50 ans consultant pour un bilan de santé. Il n’a pas de plainte particulière et son examen clinique est rassurant.
Si on entre les données suivantes dans ePSS : 50 ans, homme, ne fumant pas et sexuellement actif, on obtient 4 items de grade A, 11 de grade B, 3 de grade C, et 19 de grade I : ((tableau 2, 3, 4, 5, 6))
Pour les recommandations reprises dans les tableaux ci-dessus, l’ePSS donne des détails concernant les considérations cliniques, et pour certaines, des informations sur les risques et des outils comme des fiches destinées aux patients.
L’ouvrage déjà cité (4) a fait ce travail de traduire les recommandations et les données probantes dans des tableaux faciles d’utilisation.
Quels que soient les outils utilisés par le médecin pour implémenter les recommandations et les données probantes dans sa consultation, ces données doivent être exposées au patient si l’on recherche une consultation de qualité. Le patient doit également être mis au courant des risques de chaque examen, de leur sensibilité et de leur spécificité. Il s’agit d’éviter les surdiagnostics et ainsi de faire de la prévention quaternaire. (15) Correctement informé et éclairé par le médecin, le patient prend in fine la décision de passer –ou non- les examens complémentaires proposés.
b. La fin de la consultation
La fin de la consultation de bilan de santé tire les conclusions et propose un suivi périodique. Il arrive aussi qu’un diagnostic soit posé, une maladie dépistée, et soit ainsi le début d’une nouvelle consultation.
CONCLUSION
Il n’existe pas de bilan de santé standard. En effet, un bilan de santé tient compte de facteurs personnels comme l’âge, le genre, la profession. Finalement, il ne diffère pas tellement d’une consultation normale de médecine générale excepté le fait que le patient ne vient pas à la consultation en exposant un symptôme particulier. L’anamnèse, l’examen clinique sont réalisés sur le même mode tout en étant plus complets. Ce sont des consultations où tout l’art du praticien est mis en jeu pour reconnaître un motif caché de consultation, un facteur de risque particulier ou un signe clinique évocateur d’une maladie. Les actions de prévention sont proposées sur base des données de la littérature EBM avec le souci constant d’éviter des surdiagnostics.
CORRESPONDANCE
Pr. CASSIAN MINGUET
Centre Académique de Médecine Générale
Faculté de Médecine
Université catholique de Louvain
cassian.minguet@uclouvain.be
RÉFÉRENCES
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- Classification internationale des soins primaires, M.Jamoulle et al, Care éditions, Bruxelles, 2000
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- Krogsbøll LT, Jørgensen KJ, Grønhøj Larsen C, Gøtzsche PC. General health checks in adults for reducing morbidity and mortality from disease. Cochrane Database of Systematic Reviews 2012, Issue 10. Art. No.: CD009009. DOI: 10.1002/14651858.CD009009.pub2 Ouvrir dans PubMed
- Ibanez G, Cornet P, Minguet C. Qu’est-ce qu’un bon médecin ? Pédagogie Médicale. 2010:11(3):151-65.
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