Introduction
Le maintien d’un bon équilibre glycémique est l’objectif principal dans la prise en charge du diabète : il a été démontré que l’obtention d’une moyenne glycémique proche de la normale permet de retarder l’apparition ou de ralentir la progression des complications micro- et macrovasculaires dans le diabète de type 1, comme dans le type 2 (1,2). Pour obtenir un tel contrôle de la glycémie, la mesure régulière du taux de glucose est utile. Cette auto-surveillance glycémique (ASG) est même indispensable chez les diabétiques traités par insulinothérapie intensive (3 à 4 injections quotidiennes d’insuline ou utilisation d’une pompe à insuline).
Une des contraintes majeures des patients diabétiques est la nécessité de se piquer le bout du doigt pour mesurer leur glycémie, plusieurs fois par jour, tous les jours de l’année. La douleur, bien que modérée, est de moins en moins supportée au long cours, du fait de la répétitivité du geste. Par conséquent, certains patients pratiquent une ASG insuffisante, ce qui contribue à un déséquilibre du diabète. Le système non-invasif Freestyle Libre (sFL) utilise la technologie Flash de mesure de glucose sans prélèvement capillaire. La fiabilité des résultats du système Freestyle Libre, en comparaison avec l’ASG conventionnelle a aussi été examinée et vérifiée (à l’exception du premier jour de pose du capteur) (3).
Alors que nous débutions cette nouvelle technique d’autosurveillance pour nos patients, nous avons souhaité évaluer l’impact sur le contrôle glycémique mais également sur la qualité de vie et la peur des hypoglycémies (supposées être améliorées par une technologie indolore, facilitant l’autosurveillance et donc l’autogestion).
Caractéristiques de l’étude
Il s’agit d’une étude prospective, observationnelle, monocentrique académique (non commerciale, non interventionnelle), incluant 53 patients diabétiques âgés de plus de18 ans, avec un diabète diagnostiqué depuis plus d’un an, traités par insulinothérapie basal-bolus par multiples injections ou par pompe. L’objectif de l’étude était d’évaluer le bénéfice de l’utilisation du sFL au niveau de la gestion quotidienne des glycémies, du traitement insulinique et du confort de vie. L’observation a eu une durée totale de 12 mois.
L’étude comportait trois visites : à l’inclusion, à 6 et à 12 mois. Après recueil des données démographiques et médicales, le nombre des mesures glycémiques effectuées par jour, le nombre d’hypoglycémies sévères, ainsi que le taux d’HbA1c ont été recueillis à chaque visite ; les patients ont également rempli plusieurs questionnaires à chaque visite.
Trois questionnaires ont été utilisés :
•SF36 (Medical Outcome Survey 36-Item Short Form), qui évalue la qualité de vie (l’impact du diabète sur la vie quotidienne des patients de leur propre point de vue). C’est un questionnaire générique, mais un instrument souvent utilisé dans la littérature (4).
•PAID-5 (Problem Areas In Diabetes – Short Form of diabetes related emotional distress) (5), qui évalue le bien-être psychologique.
•HFS-W (version plus courte que le Hypoglycemia Fear Survey), qui évalue la peur de l’hypoglycémie ; la sub-échelle W (worry - anxiété) a été utilisée, sa fiabilité étant comparable au HFS-II (6). Tous les participants ont signé le consentement éclairé.
Résultats
Cinquante-trois patients ont été inclus dans l’étude, d’octobre à décembre 2016. Parmi ces patients, 2 ont quitté l’étude avant l’évaluation des 6 mois et 3 entre 6 et 12 mois. 3 patients ont quitté l’étude à cause du placement d’un CGM couplé à la pompe, 1 patient a arrêté le sFL à cause d’une réaction allergique. Un patient a été exclus par manque de données de suivi. Les caractéristiques de nos patients au moment de l’inclusion dans l’étude sont détaillées dans le Tableau 1.
Évolution du nombre des mesures glycémiques réalisées par jour
Le nombre des mesures glycémiques réalisées par jour est plus que doublé avec le système sFL : il passe de 4,12 mesures par jour avant l’inclusion (mesures au bout du doigt) à 8,97 mesures « flash » à 6 mois, et 9,4 mesures à 12 mois. Cette augmentation est différente selon les taux initiaux d’HbA1c : en effet, elle augmente d’avantage chez les patients présentant une HbA1c<=7,5% à l’inclusion (de 4,15 mesures/jour à 11,7 après 6 mois et à 12,15 après 12 mois), comparativement aux patients avec une HbA1c>7,5% à l’inclusion (de 4,11 mesures glycémiques/jour au début, à 6,96 après 6 mois et à 7,37 après 12 mois).(Tableau 2)
Évolution des paramètres liés au diabète
On note une amélioration non significative de l’HbA1c globale au cours des 12 mois de l’étude (Tableau 3).
Comme constaté pour le nombre de mesures glycémiques (déjà présenté au Tableau 2), la modification de l’HbA1c est différente selon le taux de départ. Les patients ayant une HbA1c<=7,5% à l’inclusion présentent une légère augmentation (de 6,96% à M0, à 7,15% à 6 mois et à 7,31% à 12 mois (p=0,141). Par contre, les patients qui ont commencé avec une HbA1c>7,5% présentent une diminution progressive de l’HbA1c au cours de l’étude (de 8,37% à M0, à 8,29% à 6 mois et 8,04 % à 12 mois). Si on exclut de notre analyse les 2 patients présentant des taux extrêmes d’HbA1c de départ (>11%), l’amélioration de l’HbA1c au cours des 12 mois devient statistiquement importante (p=0,035) (Tableau 4).
En ce qui concerne les hypoglycémies sévères, il n’y a pas de différence constatée au niveau de la fréquence, tout en gardant à l’esprit que les patients rapportent très peu d’évènements.
Évolution du bien-être général des patients
Concernant la qualité de vie (QdV), l’ensemble des paramètres de santé générale (santé physique et mentale) sont élevés tout au long de la durée de l’étude. Ces paramètres lors des 12 mois de l’étude sont stables. Aucun score n’a été amélioré de façon significative: Score Physique PCS de 82,05 au départ à 77,28 à 12 mois (p=0,265) ; Score Mental MCS de 76,43 à 70,22 (p=0,404). La détresse émotionnelle liée au diabète (questionnaire PAID-5) est stable. La diminution du stress lié au diabète n’est pas importante (p=0,122). Concernant l’évaluation de la peur d’hypoglycémie (questionnaire HFS-W), nous pouvons aussi constater une tendance positive, mais non significative (p=0,989).
Discussion
L’étude a été mise en place afin d’évaluer le bénéfice de l’utilisation du système Freestyle Libre (sFL), tant au niveau de la gestion quotidienne des glycémies que du confort de vie. Il faut souligner qu’il s’agit d’une cohorte représentant la vie réelle : le seul critère de sélection des patients était d’ordre « administratif » (accès au remboursement selon la réglementation en Belgique), sans critères d’exclusion (type de diabète, traitement ou équilibration diabétique de départ).
La première étude réalisée afin d’évaluer l’efficacité du sFL dans l’amélioration du contrôle glycémique a été IMPACT (7). Beaucoup d’autres études ont suivi, évaluant le contrôle glycémique (8-11), le temps passé en hypoglycémie (9), l’augmentation de la fréquence de l’autosurveillance glycémique (10), la fiabilité (3) ou la satisfaction du traitement (12). Seulement un nombre limité d’études évalue l’impact du sFL sur les paramètres de la qualité de vie (13,14). On peut mentionner la revue réalisée par l’Institut Norvégien de Santé Publique et publiée en 2017 : l’augmentation de la satisfaction du traitement a été confirmée, ainsi que la diminution du temps passé en hypoglycémie et en hyperglycémie sévères. Par contre le taux d’HbA1c et le niveau de qualité de vie n’ont pas été améliorés de façon significative (14).
On retrouve l’augmentation du nombre de mesures glycémiques réalisées avec le sFL, comme démontré dans d’autres études (10). Avant l’inclusion dans l’étude, le nombre de mesures glycémiques était pratiquement identique dans les 2 sous-groupes de patients déterminés par une HbA1c initiale supérieure ou inférieure à 7,5% (4 mesures par jour). Les 2 groupes ont augmenté leur autosurveillance glycémique mais c’est le groupe le mieux équilibré au départ qui a le plus augmenté sa surveillance (11 à 12 mesures par jour, contre 7 à 8 mesures dans le groupe moins bien équilibré au départ). Une explication pourrait être une fréquence plus élevée d’hypoglycémies dans le sous-groupe bien équilibré (le bon équilibre diabétique étant toujours lié avec un risque d’hypoglycémie plus élevé).
On retrouve une amélioration de la valeur d’HbA1c chez les patients moins bien équilibrés au départ (-0,68% à 12 mois), ainsi qu’une légère augmentation (non significative) de l’HbA1c dans le sous-groupe bien équilibré. Ces constatations sont compatibles avec les études de Oscarsson et al (9), Paris et al (15) et Gernay et al (16). Certaines études ont décrit une amélioration importante de l’HbA1c avec l’utilisation du sFL (10,11), mais d’autres ne montrent qu’une non-infériorité (temps passé en hypoglycémie diminué sans augmentation du taux de l’HbA1c) (4,5,9,14).
Concernant le groupe de patients bien équilibrés au départ, la légère augmentation d’HbA1c pourrait être attribuée à une diminution du temps passé en hypoglycémie. Ce paramètre n’a pas été évalué dans notre étude.
Les incidents liés à une hypoglycémie sévère sont très faibles, à l’initiation et au cours de l’étude, avec une diminution non significative de la fréquence après 12 mois (plusieurs de ces incidents sont à 0% après 12 mois).
Les patients ramènent des paramètres de santé générale (physique et mentale) globalement satisfaisants lors des 12 mois de l’étude. Le niveau de détresse émotionnelle (stress lié au diabète) est néanmoins en légère augmentation, surtout les premiers 6 mois de l’étude. Cela peut être lié au suivi plus intensif des glycémies par le sFL, ou au fait que le capteur est toujours visible par le patient et l’entourage, ce qui est un rappel constant et un signe extérieur de la maladie. Dans une étude réalisée en France (17), la qualité de vie était moins bonne chez les utilisateurs du sFL que dans le groupe contrôle : il a été supposé que la facilité de l’utilisation du sFL, et donc la multiplication des contrôles glycémiques, avec une tendance à ajuster les doses d’insuline à la moindre variation de glycémie, pouvait avoir un effet délétère sur l’équilibre diabétique, mais également sur la qualité de vie. Certaines études décrivent une amélioration importante de la qualité de vie (10,13), mais la majorité démontre une augmentation de la satisfaction du traitement, sans modification de la qualité de vie (9,12,14).
La peur d’hypoglycémie n’est pas modifiée de façon importante dans notre étude ; une diminution non significative est pourtant observée, compatible avec des études précédentes (10).
Notre étude a bien sûr des limites : le petit nombre de participants, l’hétérogénéité du groupe et la petite durée de l’étude n’ont permis que peu de résultats significatifs. Le système sFL doit encore être évalué de manière plus solide pour les paramètres de la qualité de vie et de stress lié au diabète. Cela nécessite des études plus larges et prolongées, avec des patients plus sélectionnés (par exemple patients présentant une adhérence problématique pour l’autocontrôle, diabétiques récemment diagnostiqués, diabétiques présentant une mauvaise perception des hypoglycémies).
Conclusion
L’utilisation du système Freestyle Libre (sFL) pendant 12 mois par des patients diabétiques sous schéma insulinique intensif a permis à une augmentation significative de la fréquence des mesures glycémiques, ainsi qu’une amélioration du taux d’HbA1c chez les patients mal équilibrés au départ.
La tolérance au système est excellente (un seul patient de l‘étude a arrêté pour cause de réaction locale).
En termes de qualité de vie, les résultats ne sont pas significatifs ; les tendances sont néanmoins positives, notamment concernant le stress lié au diabète et la peur des hypoglycémies. Un suivi plus rapproché des patients s’avère utile les six premiers mois pour les aider à gérer ce nouveau système de surveillance, qui peut être source de stress en début d’utilisation.
Des études prospectives contrôlées randomisées seront nécessaires afin de mieux démontrer l’impact du sFL sur les paramètres de qualité de vie au sens large.
Affiliations
CHR Citadelle Liège, Service d’Endocrinologie – Diabétologie, B-4000 Liège, Belgique
Correspondance
Dr. Margarita Goula
CHR Citadelle Liège
Service d’Endocrinologie – Diabétologie
Bvd de 12ème de Ligne 1
B-4000 Liège, Belgique
margarita.goula@chrcitadelle.be
Conflit d’intérêts
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
Références
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