Innovations 2022 En Hépato-gastroentérologie

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Géraldine Dahlqvist 1, Bénédicte Delire 1, Olivier Dewit 1, Nicolas Lanthier 1,2, Hubert Piessevaux 1 Publié dans la revue de : Février 2023 Rubrique(s) : Hépato-Gastro-Entérologie
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Résumé de l'article :

L’année 2022 a été riche en enseignements et en recommandations en hépatologie. En effet, des études animales et humaines ont montré que la stéatose hépatique était étroitement liée à l’insulinorésistance, justifiant non-seulement de rechercher un diabète chez un patient présentant une stéatose hépatique mais également d’évaluer la sévérité de l’éventuelle atteinte hépatique des patients diabétiques. Par ailleurs, de nouvelles recommandations (Baveno VII) ont été publiées en 2022 et proposent des valeurs seuils d’élastométrie hépatique pour le dépistage de l’hypertension portale cliniquement significative en cas d’hépatopathie chronique avancée compensée et son traitement par βbloquant non cardio-sélectif afin de prévenir le premier épisode de décompensation cirrhotique. Enfin, l’American Association for the Study of Liver Diseases a publié en janvier 2022 un guide sur la prise en charge palliative des patients atteints de cirrhose décompensée chez qui une transplantation hépatique n’est pas indiquée. Dans le domaine des maladies inflammatoires du tube digestif, deux nouveaux médicaments sont venus renforcer le traitement de la rectocolite en Belgique en 2022 : le filgotinib et l'ozanimod. De plus, la première étude randomisée contrôlée de comBIOthérapie a été réalisée : l’étude « VEGA ». Cette étude est la première randomisée qui s’intéresse à l’association de biologiques dans le domaine des maladies inflammatoires digestives. A contrario, l’étude « SPARE » s’est intéressée à une stratégie de décroissance des traitements plus particulièrement chez les patients atteints de maladie de Crohn. Enfin, un groupe d’experts belges s’est réuni à de nombreuses reprises au cours des années 2021 et 2022 afin d’établir les recommandations belges de prise en charge du syndrome de l’intestin irritable. Le produit de ce travail exhaustif a été publié en avril 2022.

Mots-clés 

MAFLD, insulinoresistance, cirrhose, hypertension portale, soins palliatifs, filgotinib, ozanimod, maladie de Crohn, rectocolite ulcéro-hémorragique, syndrome de l’intestin irritable.

Article complet :

Une protéine hépatique induit de l’insulinorésistance à distance du foie : de la physiopathologie au dépistage des patients
Nicolas Lanthier

La stéatose hépatique associée à une dysfonction métabolique (MAFLD) occupe aujourd’hui une place importante dans le spectre des maladies chroniques du foie puisqu’elle est désormais le premier motif de consultation en hépatologie et constitue avec la maladie du foie liée à la consommation d’alcool (ALD) l’une des deux principales causes de transplantation hépatique. Parallèlement, on observe une augmentation de la prévalence de la résistance à l’insuline qui peut conduire au diabète de type 2.

Ces deux entités (MAFLD et insulinorésistance) sont, en fait, étroitement liées. Une alimentation hypercalorique de quelques jours chez les animaux et chez les êtres humains induit de fait une stéatose hépatique rapide ainsi qu’une augmentation des transaminases et une insulinorésistance hépatique (production non-contrôlée de glucose par le foie) sans aucun changement de la composition corporelle ou de la résistance à l’insuline périphérique. Ce phénomène est simultané à l’activation du système immunitaire inné au niveau du foie (macrophages du foie). L’expansion des macrophages hépatiques est également la première différence observée dans les biopsies hépatiques des patients atteints de stéatose par rapport aux patients témoins.

Grâce à l’étude d’animaux soumis à différents régimes alimentaires, une recherche menée au laboratoire de gastro-entérologie a mis en évidence l’augmentation de la production d’une protéine appelée fétuine-A dès les premiers stades de stéatose hépatique, associée de manière causale à l’activation des macrophages hépatiques et au développement de l’insulinorésistance.1 Les expériences ont montré que cette protéine est localisée au niveau des hépatocytes sous forme de petites vésicules à proximité de la veine centrolobulaire (Figure) et qu’elle circule ensuite dans le sang (1, 2). Elle peut donc atteindre le tissu adipeux et exercer une action délétère (réduction de l’insulinosensibilité).

Ce même mécanisme a été confirmé dans une cohorte de 49 patients atteints de stéatose ou de stéatohépatite (NASH) à des degrés divers et bénéficiant pour certains de prélèvements de foie, de sang, de tissu adipeux et de muscle dans le cadre d’une chirurgie bariatrique.2 Les résultats de cette recherche mettent en lumière les interactions entre le foie et le diabète de type 2. Il est donc justifié non-seulement de rechercher un diabète chez un patient présentant une stéatose hépatique mais également d’évaluer la sévérité de l’éventuelle atteinte hépatique des patients diabétiques (fibrose, cirrhose, lésion ?) (Figure). Ceci peut être réalisé de manière simple par le calcul des scores fatty liver index et FIB-4, éventuellement complété par l’échographie et l’élastométrie transitoire (Fibroscan®)(3). Des données prospectives de dépistage hépatique dans une large cohorte de patients diabétiques sont parues en 2022 mettant en évidence des taux de fibrose avancée et de cirrhose de respectivement 14% et 6% chez les patients diabétiques de type 2 aux Etats-Unis (4). Il existe toutefois quelques réserves quant à l’analyse des données (5). Les résultats d’une étude prospective dans ce domaine menée aux Cliniques Saint-Luc seront disponibles en 2023.

Références

  1. Lanthier N, Lebrun V, Molendi-Coste O, van Rooijen N, Leclercq IA. Liver Fetuin-A at Initiation of Insulin Resistance. Metabolites. 2022;12(11):1023.
  2. Etienne Q, Lebrun V, Komuta M, et al. Fetuin-A in Activated Liver Macrophages Is a Key Feature of Non-Alcoholic Steatohepatitis. Metabolites. 2022;12(7):625.
  3. Binet Q, Loumaye A, Preumont V, Thissen JP, Hermans MP, Lanthier N. Non-invasive screening, staging and management of metabolic dysfunction-associated fatty liver disease (MAFLD) in type 2 diabetes mellitus patients: what do we know so far ? Acta Gastroenterol Belg. 2022;85(2):346–57.
  4. Ajmera V, Cepin S, Tesfai K, et al. A prospective study on the prevalence of NAFLD, advanced fibrosis, cirrhosis and hepatocellular carcinoma in people with type 2 diabetes. J Hepatol. 2022.
  5. Binet Q, Hermans MP, Lanthier N. Screening for NAFLD and its severity in type 2 diabetic patients: value of magnetic resonance imaging and outstanding issues. J Hepatol. 2022.

De nouveaux critères simples non-invasifs pour le diagnostic de l’hypertension portale et son traitement chez le patient cirrhotique
Bénédicte Delire

Le développement d’une hypertension portale représente un tournant important dans l’histoire d’un patient cirrhotique. Elle est en effet associée à différentes complications au pronostic sombre à court et moyen terme comme l’ascite, l’hémorragie digestive haute sur rupture de varices oeso-gastriques ou encore l’encéphalopathie hépatique. Son diagnostic et sa prise en charge thérapeutique sont donc fondamentaux mais néanmoins complexes. C’est la raison pour laquelle des réunions de consensus rassemblant les experts en la matière sont organisées régulièrement depuis plus de 30 ans débouchant sur la publication de recommandations dites de Baveno, en référence à la ville italienne où la réunion s’est tenue en 1990. Le dernier workshop s’est tenu virtuellement en octobre 2021 et a permis l’élaboration des recommandations Baveno VII, publiées en 2022 (1). De nombreux éléments sont discutés dans ces nouveaux guidelines dont certains vont significativement impacter notre pratique quotidienne comme la confirmation du concept d’hépatopathie chronique avancée compensée, le diagnostic non invasif de l’hypertension portale cliniquement significative (HTPcs), son traitement et la prévention du premier épisode de décompensation cirrhotique.

Chez un patient asymptomatique, la distinction entre une fibrose hépatique sévère et une cirrhose bien compensé n’est pas toujours aisée. C’est la raison pour laquelle, afin de clarifier les choses et surtout insister sur le continuum qui lie ses deux entités, les recommandations de Baveno VII ont insisté sur le concept d’hépatopathie chronique avancée compensée (HCAc). Le diagnostic d’HCAc repose sur l’élastographie à jeun. Cette élastographie peut aisément être réalisée à l’aide du Fibroscan® disponible aux Cliniques Saint-Luc et dont nous avons déjà mentionné l’utilité dans le dépistage de la fibrose chez les patients métaboliques ou ayant une consommation à risque de boissons alcoolisées (2). Si l’élasticité hépatique est inférieure à 10 kPa, le diagnostic de HCAc est exclu. Entre 10 et 15 kPa, le diagnostic de HCAc est suspecté. Si l’élasticité hépatique est > 15 kPa, ce diagnostic est retenu (Figure). Le patient peut donc être adressé en consultation spécialisée dès que l’élasticité est > 10 kPa. En effet, les patients dont l’élasticité hépatique est <10 kPa ont un risque de décompensation et de décès d’origine hépatique à 3 ans très faible soit ≤1%.

Les patients souffrant d’une HCAc sont par définition à haut risque de développer une HTPcs (gradient de pression veineuse hépatique ≥ 10mmHg) et donc à risque de complications ou décès d’origine hépatique. Le consensus de Baveno VII insiste donc sur l’importance de dépister l’HTPcs chez ces patients afin de prévenir le premier épisode de décompensation par l’instauration d’un traitement par βbloquant non cardio-sélectif (carvedilol) en l’absence de contre-indication. Cette recommandation est appuyée par une méta-analyse publiée en 2022 qui a montré que le traitement par carvedilol en cas de cirrhose compensée associée à une HTPcs permet de diminuer non seulement le risque de décompensation mais également le risque de décès (3). Tout l’enjeu réside dans l’identification de l’HTPcs de manière non invasive puisque le recours à une mesure invasive par le cathétérisme sus-hépatique n’est évidemment pas possible chez tous les patients. Comme pour le diagnostic d’HCAc, les recommandations de Baveno VII proposent des valeurs d’élastométrie pour stratifier le risque de la présence d’une HTPcs. Celle-ci peut peut-être raisonnablement exclue lorsque l’élasticité hépatique est < 15 kPa et que les plaquettes sont supérieures à 150 000/µl tandis que le risque d’HTPcs est de plus de 90% lorsque l’élasticité hépatique >25 kPa. Elle est présente dans 60 % des cas lorsque l’élasticité hépatique est entre 15 et 20 kPa avec un taux de plaquettes < 110 000/µL ou que l’élasticité est entre 20 et 25 kPa avec un taux de plaquettes < 150 000/µL. Sur base de ces seuils, valables pour les hépatopathies toxiques, virales B et C, et les maladies hépatiques stéatosiques d’origine dysmétabolique non obèse, un traitement par carvedilol peut être prescrit chez les patients chez qui une HTPcs est suspectée sans devoir recourir à la réalisation d’une gastroscopie. Les seuils d’élastométrie pour le diagnostic d’HCAc et de l’HTPcs sont repris dans la figure.

En conclusion, ces nouvelles recommandations renforcent l’intérêt de l’élastométrie (Fibroscan®) et facilitent la prise en charge des patients présentant une hépatopathie chronique. Elles encouragent également l’usage du carvedilol dès qu’une HTPcs est suspectée sur base de l’élasticité hépatique et du taux de plaquettes afin de prévenir le premier épisode de décompensation chez les patients avec une HCAc.

Références

  1. de Franchis R, Bosch J, Garcia-Tsao G, Reiberger T, Ripoll C; Baveno VII Faculty. Baveno VII - Renewing consensus in portal hypertension. J Hepatol. 2022 Apr;76(4):959-974.
  2. Lanthier N, Delire B, Dahlqvist G, et al. Innovations 2021 en hépato-gastroentérologie, Louvain. Med. 2022 ; 141 (02) : 78-84.
  3. Villanueva C, Torres F, Sarin SK, Shah HA, Tripathi D, Brujats A, et al; Carvedilol-IPD-MA-group and the Baveno Cooperation: an EASL Consortium. Carvedilol reduces the risk of decompensation and mortality in patients with compensated cirrhosis in a competing-risk meta-analysis. J Hepatol. 2022 Oct;77(4):1014-1025.

Les soins palliatifs chez le patient cirrhotique : une option trop souvent oubliée…
Géraldine Dahlqvist

La cirrhose figure parmi les dix premières causes de décès dans le monde, avec plus de 160 millions de patients souffrant de cirrhose et près d’un million de décès par an. Malheureusement, les soins palliatifs ne sont soit jamais évoqués, soit proposés (trop) tardivement (1).

En effet, la cirrhose a souvent une connotation sociétale négative pour les patients et leur entourage étant, dans les pays occidentaux, principalement liée à l’abus chronique d’alcool (ALD) et à la maladie stéatosique liée à une dysfonction métabolique (MAFLD), compliquant parfois leur accès aux soins.

De plus, le pronostic d’une cirrhose décompensée est sombre, ce qui est souvent méconnu par les professionnels de santé. En effet, l’apparition d’ascite chez un patient doit être considérée comme un événement majeur qui affecte le pronostic du patient, avec une taux de mortalité à un et deux ans de 40 et 50% respectivement. Un épisode de rupture de varices œsophagiennes peut entrainer un risque de décès de 45% par épisode. La péritonite bactérienne spontanée, quant à elle, a une mortalité de 20 à 30% par épisode.

Dans ce contexte, il est aisé de comprendre que la cirrhose est un maladie grave au pronostic réservé qui nécessite une prise en charge adéquate. Plus que jamais, nous devons nous rappeler de la citation d’Ambroise Paré: « Guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours ». Malheureusement, dans le contexte de la cirrhose, les hépatologues et les équipes de transplantation hépatique (TH) luttent souvent de manière agressive contre ces complications, oubliant la possibilité d’une prise en charge palliative pour améliorer la qualité de vie. En dehors de la TH, il n’existe pas de traitement curatif de la cirrhose décompensée et de l’hépatocarcinome. Si l’indication de TH ne peut être posée, il est indispensable de définir une stratégie de soins, en accord avec le patient et sa famille, pour soulager le patient de symptômes parfois invalidants. La cirrhose décompensée, avec contre-indication à la TH, est d’ailleurs inscrite au moniteur belge comme une pathologie permettant l’accès aux forfaits palliatifs.

L’American Association for the Study of Liver Diseases (AASLD) a publié en janvier 2022 un guide sur la prise en charge palliative des patients atteints de cirrhose décompensée, considérant que ce groupe de patients porte une charge physique, psychosociale et financière considérable (2,3).

L’article de guidance de l’AASLD permet de revisiter la question des soins palliatifs en proposant un ensemble de solutions et de perspectives de soins visant à améliorer la qualité de vie et indirectement réduire le recours à des hospitalisations parfois inutiles. La prise en charge des symptômes fréquemment ressentis par ces patients tels que la douleur, la fatigue, les troubles de l’érection, le prurit, la dyspnée, les crampes musculaires, la nausée et les vomissements est abordée. L’utilisation de traitements non pharmacologiques doit être privilégiée comme première approche. Les différentes options pharmacologiques sont également décrites avec leurs effets secondaires potentiels et les précautions d’usage. Par exemple, dans la prise en charge de la douleur, le paracétamol reste le traitement de première intention avec une dose maximale quotidienne de 2g en 2 à 4 prises. Les AINS sont à éviter en raison du risque de décompensation hépatique et rénale additionnelle.

En conclusion, toute cirrhose décompensée ne pouvant bénéficier de TH doit faire l’objet d’une prise en charge palliative, afin d’améliorer la qualité de vie et de réduire le recours à des ressources parfois coûteuses et futiles. L’article de l’AASLD fournit un guide pratique et standardisé des recommandations sur ce sujet.

Références

  1. Orman ES, Yousef A, Xu C, Shamseddeen H, Johnson AW, Nephew L, et al. Palliative Care, Patient-Reported Measures, and Outcomes in Hospitalized Patients with Cirrhosis. J. Pain Symptom Manage. 2022; 63(6):953-961.
  2. Ozdogan OC. Palliative care in cirrhotic patients: Brief summary of recent AASLD guidance. Hepatol. forum. 2022; 3(3):100-102.
  3. Rogal SS, Hansen L, Patel A, Ufere NN, Verma M, Woodrell CD, et al. AASLD Practice Guidance: Palliative care and symptom-based management in decompensated cirrhosis. Hepatology. 2022; 76(3):819-853.

Nouveaux traitements et stratégies dans les MICI en 2022
Olivier Dewit

Chaque année nous bénéficions de davantage d’avancées thérapeutiques dans le domaine des maladies inflammatoires chroniques intestinales, et l’année 2022 y contribue également. Deux nouveaux médicaments sont venus renforcer le traitement de la Rectocolite (RC) en Belgique en 2022 : le filgotinib (depuis le 1/7) et l’ozanimod (depuis le 1/12). Le filgotinib (Jyseleca®) fait partie de la famille des inhibiteurs de la janus kinase dont le premier traitement approuvé en RC en 2019 est le tofacitinib (Xeljanz®) (1).

Le filgotinib se différencie de ce dernier par sa sélectivité sur la sous-unité JAK1. Le but est d’obtenir davantage d’efficacité pour moins d’effets secondaires. Ces molécules sont faciles d’utilisation avec une prise orale par jour de 200 mg, la même dose en induction et en entretien. Un de leur grand avantage est leur rapidité d’action permettant de diminuer la durée d’exposition aux corticoïdes et d’amener assez rapidement le patient en rémission. Ils sont remboursés en deuxième ligne, c’est-à-dire après l’échec d’une première ligne de traitement biologique (Anti-TNF, Anti-intégrines). Cette efficacité est à contrebalancer avec des messages de précautions d’utilisation émis par l’Agence Européenne du Médicaments (EMA) concernant des effets secondaires potentiels observés avec le tofacitinib chez un autre groupe de patients (polyarthrite rhumatoïde, plus de 65 ans, tabagique, facteur de risque cardiovasculaire). Dans ce groupe particulier davantage de thrombophlébite, d’embolies pulmonaires, d’incidents vasculaires et de néoplasies de poumon ont été observés comparativement avec des patients sous Anti-TNF (2). En attendant davantage de données, il est recommandé de n’utiliser les Anti-JAK chez ce type de patients à risque que si aucune autre alternative thérapeutique, mis à part la colectomie, n’est possible. Un troisième traitement, anti-Jak1 sélectif également, l’upadacitinib (Rinvoq®) devrait arriver en 2023. Ces anti-Jak1 sélectifs sont également attendus avec impatience pour traiter nos patients souffrant de maladie de Crohn.

L’ozanimod (Zeposia®), quant à lui, est un modulateur sélectif des récepteurs de la sphingosine 1-phosphate (S1P) déjà approuvé pour le traitement de la sclérose en plaques. Il est remboursé depuis décembre 2022 dans la RC modérée à sévère ayant présenté une réponse inadéquate, une perte de réponse ou une intolérance à un traitement conventionnel ou à un agent biologique (3). Il s’agit également d’une petite molécule à prise per os. Il est « classé » dans la catégorie des immunosuppresseurs sélectifs. De façon très schématique, il agit en bloquant les lymphocytes dans les ganglions lymphatiques en les empêchant de migrer vers la muqueuse digestive. Les anti-Jak et l’ozanimod ne sont pas autorisés pendant la grossesse ou l’allaitement. Les possibilités thérapeutiques se multiplient et un des enjeux des prochaines années est de positionner les différents traitements les uns par rapport aux autres dans des sous-groupes bien définis de RC.

Parmi les stratégies thérapeutiques innovantes en 2022, on note la première étude randomisée contrôlée de comBIOthérapie : l’étude « VEGA » (4). Celle-ci a consisté à évaluer l’efficacité et la sécurité de traiter des patients souffrant de RC modérées à sévères par soit du golimumab (GOL, Simponi®: Anti-TNF remboursé dans la RC), soit du guselkumab (GUS, Tremfya®: Anti-IL23 remboursé dans le psoriasis en plaques), soit l’association des deux biologiques. 214 patients ont été répartis au hasard dans les 3 bras. Tous avaient reçu un traitement antérieur interrompu pour inefficacité ou intolérance. Les patients précédemment traités par un anti-TNF étaient exclus de l’étude. Les résultats de l’induction ont été présentés au congrès ECCO. Après 12 semaines de traitement, la proportion de patients présentant une réponse clinique (diminution du score de mayo d’au moins 30 %) était de 61,1 % avec le golimumab en monothérapie, de 74,6 % avec le guselkumab en monothérapie et de 83,1 % avec l’association des deux. Les résultats de la maintenance ont été présentés à l‘UEGW. Le taux de malades en rémission clinique à la semaine 38 était supérieur dans le groupe combio en induction suivi de GUS (43,7%) par rapport aux groupes GUS et GOL en monothérapie (31,0% et 22,2%, respectivement).

Les taux d’effets indésirables (EI) étaient comparables dans les trois groupes de traitement : arrêt de l’étude liée au traitement dans 4,2 % des patients du groupe GOL, 1,4 % des patients du groupe GUS et 2,8 % des patients du groupe combiné. Cette étude est la première randomisée qui s’intéresse à l’association de biologiques dans le domaine des MICI. Or cette situation est régulièrement débattue en pratique quotidienne lorsque se pose la question de traiter des maladies associées (notamment MICI et maladies rhumatologiques) qui ne répondent pas ou plus suffisamment à un type de biologique donné et nécessitent des mécanismes d’action différents pour amener les deux pathologies en rémission.

A contrario, l’étude « SPARE » s’est intéressée à une stratégie de décroissance des traitements (5). Plus particulièrement chez les patients atteints de maladie de Crohn (MC) traités par une thérapie combinée d’infliximab (IFX) et d’une thiopurine (TP) depuis plus de 8 mois et en rémission durable sans corticoides. Ils ont été randomisés en 3 bras : poursuite du traitement combiné (bras A, n=67), arrêt de l’IFX (bras B, n=71), arrêt de la TP (bras C, n=67). Les critères d’évaluation primaires étaient le taux de rechute et le temps moyen de survie passé en rémission sur 2 ans. Le retrait de l’IFX, mais pas celui des TP, était associé à un risque de rechute significativement plus élevé que la poursuite de la thérapie combinée. Presque tous les patients qui ont arrêté l’IFX ont obtenu une rémission rapide lors de la reprise du traitement et le temps passé en rémission sur 2 ans était assez similaire dans tous les groupes. Ces données démontrent que cette stratégie est possible, et sont utiles pour la discussion d’interruption de traitement chez des patients sélectionnés.

Références

  1. Dahlqvist G, Delire B, Dewit, O et al. Innovations 2019 en hépato-gastroentérologie et chirurgie de transplantation hépatique. Louvain Med. 2020; 139 (02): 106-113
  2. Ytterberg SR, Bhatt DL, Mikuls TR et al. Cardiovascular and Cancer Risk with Tofacitinib in Rheumatoid Arthritis. N Engl J Med. 2022 Jan 27;386(4):316-326
  3. Sandborn WJ, Feagan BG, D’Haens G, et al. Ozanimod as Induction and Maintenance Therapy for Ulcerative Colitis. N Eng J Med. 2021, 385:1280-1291
  4. Efficacy and Safety of Combination Induction Therapy with Guselkumab and Golimumab in Participants with Moderately to Severely Active Ulcerative Colitis: Results Through Week 12 of a Phase 2a Randomized, Double-Blind, Active-Controlled, Parallel-Group, Multicenter, Proof-of-Concept Study. Gastroenterol Hepatol. 2022 Apr;18(4 Suppl 1):9-10
  5. Louis E, Resche-Rigon M, Laharie D, et al. GETAID and the SPARE-Biocycle research group. Withdrawal of infliximab or concomitant immunosuppressant therapy in patients with Crohn’s disease on combination therapy (SPARE): a multicentre, open-label, randomised controlled trial. Lancet Gastroenterol Hepatol. 2023 Jan 11:S2468-1253(22)00385

Consensus belge dans la prise en charge du syndrome de l'intestin irritable: stratégies thérapeutiques
Hubert Piessevaux

Un groupe d’experts belges s’est réuni à de nombreuses reprises au cours des années 2021 et 2022 afin d’établir les recommandations belges de prise en charge du syndrome de l’intestin irritable. Le produit de ce travail exhaustif a été publié en avril dernier (1). Ces experts ont appliqué une méthodologie très rigoureuse pour faire la synthèse actuelle des connaissances concernant cette affection très fréquente en pratique clinique. Quelques points saillants nous semblent particulièrement utiles à mettre en évidence.

Impact des explications et modification du style de vie

De nombreuses études montrent le déficit en information ressenti par les patients. Cependant, l’éducation et l’information du patient forment une base pour son engagement dans sa prise en charge. Une étude randomisée a montré, le bénéfice d’une intervention psycho-éducative. Cette observation pourrait d’ailleurs expliquer en partie l’important effet placébo dans la plupart des essais médicamenteux. Dans le paragraphe concernant les modifications du style de vie, il est rappelé comme de telles interventions sont difficiles à définir. Dans ce domaine, alors que nous prodiguons souvent de nombreux conseils, seul l’exercice physique léger, réalisé sous la supervision d’un kinésithérapeute semble avoir un effet bénéfique modéré.

Première ligne thérapeutique

En première ligne, en cas de constipation, l’utilisation de fibres solubles est démontrée utile (NNT : 7), tout en insistant sur le fait que toutes ne sont pas équivalentes. Certaines peuvent aggraver un ballonnement faisant déjà souvent partie du tableau initial. En pratique, c’est le psyllium qui est recommandé. En cas de douleurs et de ballonnement comme plainte principale, il est suggéré de prescrire un anti-spasmodique.

Sujets « brulants »

Nos patients souffrant du syndrome de l’intestin irritable, affection chronique par définition, sont souvent à la recherche d’alternatives non-médicamenteuses et sont très fréquemment demandeurs d’interventions diététiques. Les experts se sont accordés pour reconnaitre l’efficacité d’un régime pauvre en FODMAP (Fructose, Oligo- , Di-, Monosaccharides and Polyols), mais ne le recommandent pas en première ligne. La discussion concernant d’éventuels effets néfastes au long cours reste ouverte. Les manipulations du microbiome, sont également à la mode, mais les recommandations restent fort nuancées. Les prébiotiques ou les antibiotiques non résorbables n’ont pas été retenus comme traitements indiscutablement efficaces. Par contre, il existe une certaine évidence en faveur de l’utilisation de certains probiotiques. Enfin, un des sujets qui a généré de longues discussions est la place de la transplantation fécale dans cette affection. Les données étant contradictoires, les experts ont déconseillé cette approche thérapeutique en dehors d’études cliniques. A noter toutefois, qu’une étude norvégienne positive a été publiée depuis la sortie de ce consensus belge (2).

Action sur l’axe intestin-cerveau

Les anti-dépresseurs et en particulier les tricycliques, ont une efficacité indiscutable et toute leur place en seconde ligne. Les auteurs ont insisté sur l’importance de la contextualisation de leur prescription dans ce contexte : ici aussi il est démontré qu’une approche éducative, permet de surmonter les effets secondaires liés à ces traitements et de là d’obtenir une meilleur adhérence thérapeutique.

Durée du traitement

Une particularité du travail du groupe d’experts est de s’être penché sur le sujet rarement abordé de la durée recommandée des traitements. Un tableau reprend de façon non exhaustive les durées optimales des traitements par groupe thérapeutique.

L’évidence colligée au cours de ce travail de grande envergure (279 références !) a été schématisée dans un algorithme de prise en charge.

Au total, ce travail sera particulièrement utile pour ceux qui visent une prise en charge basée sur l’évidence de cette pathologie extrêmement prévalente.

Références

Kindt S, Louis H, De Schepper H et al. Acta Gastroenterol Belg. 2022 Apr-Jun;85(2):360-382.

El-Sahly M, Winkel R, Casen C et al. Gastroenterology. 2022;163:982–994.

Affiliations

1. Service d’Hépato-gastroentérologie, Cliniques universitaires Saint-Luc, UCLouvain, Bruxelles, Belgique
2. Laboratory of Gastroenterology and Hepatology, Institut de recherche expérimentale et clinique, UCLouvain, Brussels, Belgique

Correspondance

Pr. Bénédicte Delire
Service d’Hépato-gastroentérologie
Cliniques universitaires Saint Luc
B-1200 Bruxelles Belgique
benedicte.delire @saintluc.uclouvain.be