L'apport d'une association de patients dans le cas de la maladie d’Addison

Précédent
Yvan Lattenist Publié dans la revue de : Mars 2017 Rubrique(s) : Endocrinologie
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

Préambule

" Du cochon ou de la poule, dans l'omelette au lard... quel est celui qui est le plus impliqué ?". Assurément, dira-t-on, c'est le cochon ! Car, lorsque l'omelette est cuite, lui n'est plus ; contrairement à la poule qui n'a fait que perdre un des nombreux œufs qu'elle a pondus. De même, dans la maladie, du patient ou de n'importe lequel des acteurs qui gravitent autour de lui (le corps médical, les hôpitaux, l'industrie pharmaceutique, les mutuelles, l'INAMI et toutes les autres instances fédérales ou régionales responsables des soins de santé dans notre pays, ...), c'est bien le malade qui est concerné au plus haut point... car c'est son existence qui est en jeu ! Or, est-ce bien lui qui est le plus pris en compte dans tous les processus relatifs aux soins de santé ? Probablement pas suffisamment, comme le mettait en évidence une récente conférence organisée à Bruxelles les 22 & 23 février par Eurordis1 . Le titre déjà en était éloquent : " Multi-Stakeholder Symposium on Improving Patient Access to Rare Disease Therapies "2 . Beaucoup de parties prenantes donc, qui ont toutes leurs intérêts à défendre, mais quelle place pour le malade lui-même ? S'il est un moyen de donner la parole aux malades, c'est bien celui des associations de patients dans lesquelles ils peuvent trouver voix au chapitre et, surtout, se prendre en charge eux-mêmes, pour autant que faire se peut, appliquant la tendance très actuelle, prônée d'ailleurs par des directives européennes, de "patient empowerment"3 . Cette "prise en charge par le patient lui-même" a d'autant plus d'importance dans le domaine des maladies rares, comme nous allons tenter de le montrer en vous présentant ici l'association qui fut fondée en 2016 par un patient Addisonien lui-même, auteur du présent texte. J'aborderai successivement, dans le présent texte, comment l'association "Addison Café" est née, comment elle a pu croître et quelle dimension elle a prise à ce jour, pour finir par expliquer ce qu'elle apporte à ses membres, tous atteints de la maladie d'Addison, qu'elle soit d'origine auto-immune ou consécutive à une autre maladie.

1 Alliance non gouvernementale d'associations de malades, représentant 738 associations de patients atteints de maladies rares dans 65 pays, couvrant plus de 4000 maladies (voir notamment : www.eurordis.org/fr)
2 Voir notamment le programme de la conférence sur : www.eurordis.org/publication/2nd-multi-stakeholder-symposium-improving-p...
3 La "prise en charge de sa maladie par le patient" est décrite, notamment, dans la charte disponible en ligne sur : www.eu-patient.eu/globalassets/campaign-patient-empowerment/charter/epf_...

 

Article complet :

ORIGINE DE L'ASSOCIATION

Ayant été moi-même diagnostiqué porteur d’une maladie d'Addison en 1987, je connaissais cette maladie depuis de nombreuses années lorsque je décidai, dans le courant de l'année 2015, de lancer une association de patients. Cette décision fut très tôt alimentée par les intéressantes conversations que j'ai pu avoir alors avec le Pr. ém. Yves Gillerot, conseiller scientifique auprès de RDB4.

L'autre élément qui fonda ma détermination est le fait que je subissais depuis 2013 les effets d'une autre pathologie, la PPR (Pseudo Polyarthrite Rhizomélique). Assez rare également mais, surtout, bien plus douloureuse en période de crise que la maladie d'Addison, cette affection fut traitée par des doses quotidiennes de prednisolone, sur une période qui s'étala sur deux ans et demi, des rechutes m'ayant obligé à corriger le schéma dégressif à deux reprises. Je me trouvais dans une situation assez désespérée et pour sortir de l'angoisse que provoquait chez moi la peur des effets cumulés de différents corticoïdes sur une aussi longue période, j'aurais souhaité rencontrer un pair avec qui échanger concernant mon vécu de patient atteint de deux maladies rares à la fois…

4 Rare Disorders Belgium, ASBL de support aux maladies rares en Belgique francophone, dont l'auteur est entretemps devenu Président (cf www.rd-b.be/)

SOUTIEN DE DÉPART

Le projet de fonder une association prit réellement forme lors d'une de mes consultations dans le service d'endocrinologie de l'hôpital Saint-Luc, lorsque le Professeur Maiter, à qui je faisais part de mon projet, me proposa spontanément d'écrire un courrier à ses patients addisonniens en vue de les informer de mon projet et de son support envers mon initiative. En les invitant à prendre contact avec moi, de leur propre initiative, il trouvait une solution pour rassembler des adhérents sans pour autant rompre le secret médical. Je tiens ici à l'en remercier très chaleureusement, car son rôle fut des plus précieux au début du projet ; de plus, son support resta indéfectible tout au long de cette première année, notamment lorsqu'il proposa à deux de ses collègues, les Professeurs N. Driessen (ULB) et L. Vroonen (ULG), de mener une action de promotion similaire à la sienne auprès de leurs propres patients. Une quinzaine de personnes, toutes atteintes de la maladie d'Addison, se signalèrent ainsi dans le courant du premier semestre 2016, devenant le noyau d'un groupe qui compte aujourd'hui vingt-cinq membres.

DE LA PREMIÈRE RÉUNION PLÉNIÈRE AUX RÉUNIONS RÉGIONALES

Huit patients participèrent à la session inaugurale qui se tint durant la matinée du samedi 21 mai 2016, soit près de la moitié des membres inscrits, tous les autres étant excusés pour des raisons de disponibilité ou de distance. Un succès évident qui se confirma encore autour du sympathique repas qui réunit ceux qui en avaient la possibilité à l'issue de la réunion formelle. Rendez-vous fut pris pour une deuxième réunion plénière, au mois d'octobre, à l'agenda de laquelle figurait, outre la présentation de nouveaux membres, un exposé plus technique au cours duquel le Professeur Maiter nous présenta les enjeux d'une bonne adaptation des dosages d'hydrocortisone au niveau de stress quotidien.

Signe de la flexibilité de notre association qui vit "par ses membres, pour ses membres", il fut spontanément proposé aux patients de venir accompagnés d'un proche désireux d'en apprendre plus sur la maladie d'Addison et sur ses implications sur le vécu du patient. C'est ainsi que l'on compta, à la rencontre du 29 octobre 2016, outre onze patients addisoniens (et non pas les mêmes que ceux qui étaient présents à la session du mois de mai !), une douzaine de personnes proches : époux, parents, amie... une des membres se fit même accompagner par son médecin-traitant.

L'idée de ne pas venir seul, spontanée chez certains dès le début, s'est ainsi vite officialisée, puisque les proches sont maintenant systématiquement invités à toutes nos réunions. Au point qu'il est même prévu de leur dédier explicitement le thème et l'agenda d'une de nos proches sessions régionales...

Par ailleurs, il fut très vite constaté que la distance jusqu'à la capitale et le manque de disponibilité durant le week-end constituaient pour certains deux véritables obstacles à leur participation aux réunions. De plus, vu la taille croissante de notre groupe, l'accueil des nouveaux membres devenait de plus en plus difficile au sein d'une assemblée constituée de plus de vingt personnes, se connaissant déjà très bien par des rencontres antérieures. Intégrer de nouveaux patients, parfois timides ou parlant plus difficilement de leur propre situation dans un groupe déjà établi, requérait une structure plus petite, plus conviviale : c'est ainsi que des rencontres régionales virent le jour, organisées de manière beaucoup moins formelle, à Bruxelles et dans la région liégeoise (respectivement le 10 janvier et le 10 février 2017). Comptant respectivement, à Bruxelles et à Spa, six participants (dont quatre nouveaux membres), et huit participants (dont deux nouveaux), ces structures plus conviviales conviennent mieux pour permettre aux nouveaux membres de se sentir accueillis et de se présenter, exercice toujours délicat et assez stressant, même si cela il se fait en toute la liberté et avec toute la pudeur requise.

Il est amusant de noter que ces sessions régionales ont tout naturellement pris le nom d' "Addison Café", appellation qui a été adoptée de suite pour l'association elle-même: c'est dire à quel point la convivialité est au cœur de nos préoccupations!

LES MEMBRES ACTUELS DE L'ASSOCIATION "ADDISON CAFÉ"

Un simple coup d'œil sur la liste actuelle des membres de l'association permet de constater qu'aucune statistique n'a (encore ?) de sens5. Les adhérents à notre association présentent en effet une importante hétérogénéité : en termes d'âge, de moment où leur pathologie a été diagnostiquée, de dosage des différents médicaments et, surtout, de maladies associées à leur Addison (même si le tableau ci-dessous révèle bien les liens prévisibles avec la maladie de Cushing, des troubles de la thyroïde et des cancers sous diverses formes).

Il y a donc bien lieu de tenir compte soigneusement de ces différences à tout moment lors de nos échanges. Cependant, l'on constate que cette hétérogénéité au sein de l'association est loin d'être une limite à nos échanges : elle est en effet plutôt une force, chacun y étant fondamentalement reconnu dans sa différence par rapport au dénominateur commun qu'est notre "état" d’insuffisant surrénalien.

LES APPORTS DE L'ASSOCIATION POUR LES MEMBRES

L'élément le plus important, venant le plus spontanément à l'esprit lorsque l'on pose aux membres la question de savoir ce qu'ils retirent de l'association de patients, est : "sortir de son isolement, rencontrer des pairs qui connaissent la même maladie et ses difficultés, échanger concernant notre quotidien et partager nos recettes pour vivre la maladie de manière moins pénible".

La maladie d'Addison a cette particularité que, en dehors des crises d'insuffisance surrénalienne aiguë, ainsi que des moments de faiblesse liés à des périodes de stress plus intense, elle n'apparaît pas, dans la plupart des cas, sur nos visages. Notre détresse n'est donc pas visible aux yeux des personnes que nous côtoyons, qui nous prennent d'ailleurs parfois pour des tire-au-flanc... quand ce ne sont pas des insultes ou des menaces que nous lancent employeurs, médecins-conseil et autres professionnels. Qui plus est, la question de l'impact des stress émotionnels, positifs ou négatifs d'ailleurs (les deuils, par exemple, mais aussi les grandes joies telles qu'une naissance) ne fait pas l'unanimité dans le corps médical, alors qu'elle nous paraît évidente pour nous. De là à passer pour des malades mentaux...

Tels sont les sujets dont il est bon de discuter entre nous, non pas dans un esprit de complainte de groupe ni de consolation mutuelle, mais dans une mentalité positive : prendre pleine conscience de notre état et y faire face avec toute l'assistance disponible au sein du groupe, notamment le soutien psychologique de nos pairs.

L'autre volet principal de nos discussions porte sur l'important sujet des dosages en corticoïdes de substitution. La principale question, fondamentale mais néanmoins très délicate à gérer, est celle de l'adaptation des doses de base à la situation quotidienne, en l'absence de mécanismes de régulation naturels (ACTH).

Il est apparu que, de manière étonnante pour les plus avertis, tous les membres ne savent pas que des adaptations sont requises selon les niveaux de stress. D'autre part, il nous semble pouvoir constater un plus grand besoin et une plus grande sensibilité à ces adaptations chez les patients plus âgés : les plus jeunes réussissent plus efficacement à "faire le gros dos" avec succès, alors que les aînés, eux, se construisent parfois des stratégies très élaborées, allant jusqu'à répartir leur dosage quotidien en quatre prises réparties de manière très précises dans le courant de la journée. Chacun a donc ses "trucs et ficelles"... qui valent la peine d'être partagés !

C'est ainsi que, au cours de chacune de nos rencontres, il est fait allusion à cette expérience commune à beaucoup de patients addisoniens, que le Dr. Valérie Foussier appelle le "déni positif" :  "Bien vivre grâce à son insuffisance surrénale [...ce sentiment] bien connu de ceux qui prennent soin de leur santé, qui sont enrubannés d'un état mental optimiste et n'oublient pas les précautions indispensables pour assurer leur sécurité [...] Ils écartent [ainsi] tout ce qui ronge l'envie de vivre." 6

Certains, et ce n'est pas rare ! en arrivent même à "remercier le Ciel pour cette maladie qui nous fait comprendre chaque jour combien la vie est précieuse et belle"... Paradoxe incompréhensible sans doute pour beaucoup de bien portants !

6 Dr. Valérie Foussier, Bien vivre sans surrénales, Paris, Editions J. Lyon, 2012, p. 11.

PERSPECTIVES

Comme l'indique le nom-même de notre association, "Addison Café" (c'est aussi un clin d'oeil au film portant le titre de "Bagdad Café" 7), nous ne sommes pas un groupe ou un espace virtuel, en contact uniquement par les technologies de communication modernes : nous sommes un " LIEU ", dans tous les sens positifs du mot.

À ce titre, nous tenons avant tout à notre ancrage "physique" : la fréquence des réunions plénières deviendra probablement annuelle, prenant progressivement des allures d'Assemblée Générale; mais les réunions régionales, récemment créées, ont déjà prouvé qu'elles permettront, en étant plus proches et plus faciles à mettre en oeuvre, de maintenir le tissu relationnel qui fait notre force.

C'est donc elles qui resteront la fondation de notre association, même si nous ne manquerons pas de mettre en oeuvre des outils de communication tels que forums ou blogs, pages Facebook et autres réseaux sociaux, propices aussi à maintenir dans l'association la créativité indispensable.

Par ailleurs, nous avons déjà développé de nombreux liens à l'international avec nos associations-soeurs en France 8, au Royaume Uni 9 et en Espagne ; d'autres sont en cours de construction avec l'Allemagne, le Danemark et même les Etats-Unis. Car "la maladie d'Addison est certes rare, mais les malades sont nombreux" 10...., d'autant plus évidemment que l'on envisage un territoire plus large que notre seul pays ou petite région. Ce n'est donc qu'en travaillant à une plus grande échelle que pourront surgir de nouvelles opportunités, y compris pour le monde scientifique !

 7 Plus de détail sur cette allusion, en vue de vous partager ce clin d'oeil, sur : http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19405598&cfilm=3531.html
et, pour le synopsis, y compris un extrait de la B.O. du film, voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bagdad_Caf%C3%A9

8 En France, l' "Association surrénales" est une organisation qui existe depuis de nombreuses années; elle publie notamment sur son site un document particulièrement bien écrit et abondamment illustré par des témoignages de malades, traduit d'ailleurs de l'anglais par ses propres soins : http://www.surrenales.com/

9 Il est utile de mentionner ici que le "Addison Self-Aid Group" a mis en ligne de précieux documents à l'usage notamment des médecins généralistes, mais aussi des anesthésistes amenés à traiter des patients souffrant de la maladie d'Addison (voir le site très documenté sur :http://www.addisons.org.uk/index.php/index.html ).

10 Cette expression, très judicieuse, est due à l'association "Alliance Maladies Rares" qui concentre, en France, à l'échelle nationale, tous les appels de patients, toutes maladies rares confondues (pour plus de détails, consulter leur site : http://www.alliance-maladies-rares.org/). Un exemple à suivre pour la Belgique, car le support y est, comme trop souvent, morcelé entre de multiples acteurs, avec pour conséquence non seulement de nombreuses redondances, mais aussi un lamentable galvaudage de talents, associé à un gaspillage de bonnes volontés pourtant précieuses. Disons, pour rester optimiste, qu' "il y a place pour des améliorations substantielles!".

Affiliations

1. Fondateur de l'association de patients "Addison Café".