LA PROTÉINE PCSK9 ET LES ANTICORPS ANTI-PCSK9
En 2004 a été découvert une nouvelle cause d’hypercholestérolémie familiale non liée aux gènes connus jusqu’alors (LDL récepteur et apolipoprotéine B) (1): des mutations au niveau d’un nouveau gène codant une protéine baptisée proprotéine convertase subtilisine/kexine de type 9 (PCSK9). Curieusement, alors que certaines mutations de ce gène causent ce type d’hypercholestérolémie très sévère, d’autres sont plutôt responsables d’hypocholestérolémies familiales modérées associées à un risque plus faible de maladies cardio-vasculaires (CV) (2). C’est parce que les premières amplifient la fonction de la protéine (“gain of function”), qui est de faciliter la dégradation lysosomiale des récepteurs aux LDL (elle limite ainsi leur recyclage et agit comme une espèce ”d’inhibiteur naturel du récepteur LDL”), tandis que les secondes la réduisent (“loss of function”) (Figure 1). Certains individus découverts porteurs d’un déficit complet en PCSK9 (taux de PCSK9 sanguin = 0) ont des taux extrêmement bas de LDL-C (< 20mg/dL) mais vivent tout au long de leur vie sans problème particulier de santé. On peut donc se passer de cette protéine.
Ces observations ont conduit en quelques années au développement d’une nouvelle classe de médicaments destinés à inhiber l’action du PCSK9: les anticorps monoclonaux totalement humanisés capables de réduire les taux plasmatiques de PCSK9 et, plus intéressant, de cholestérol LDL (Figure 1): évolocumab d’AMGEN (Repatha®) et alirocumab de SANOFI/REGENERON (Praluent®) (3). Ces médicaments sont disponibles depuis 2015 en Belgique et font l’objet d’un remboursement spécial (Tableau 1. Recommandations pratiques)
EFFICACITÉ DES ANTICORPS ANTI-PCSK9
SUR LE LDL-CHOLESTÉROL
L’injection sous-cutanée d’évolocumab 140 mg ou d’alirocumab 150 mg abaisse les taux de LDL-C d’environ 60 % (variant de 45 à 75 %) en 2 à 3 semaines, avec un effet persistant et constant s’ils sont injectés bimensuellement, et cela qu’ils soient ou non administrés en association avec d’autres traitements hypolipémiants (statine et/ou ézétimibe) (4).
SUR LA PLAQUE D’ATHÉROME
Dans l’étude GLAGOV, 78 semaines de traitement par évolocumab chez 846 patients coronariens (déjà traités par statines) ont permis de réduire de 4,9 mm³ (soit de 1 %) le volume des plaques d’athérome coronarien (p < 0,001) par rapport au placebo (5). Même si cette réduction semble mineure, il faut se rappeler que l’imagerie de la plaque reste un marqueur validé pour quantifier le degré de la maladie coronarienne et la prédiction de futurs événements CV.
SUR LA PRÉVENTION CARDIO-VASCULAIRE
(CV) Deux études appelées «Fourier» (6) avec l’evolocumab et “Odyssey Outcomes “ (7, 8) avec l’alirocumab ont examiné l’effet de ces anti-PCSK9 chez des patients à très haut risque, recevant des statines puissantes à fortes doses et d’autres traitements déjà optimalisés pour corriger leurs facteurs de risque (aspirine, bêtabloquants, IEC/ARA2…).
Dans les deux études, on retrouve la même réduction (de 15 %) du critère primaire d’évaluation (événements CV d’origine athéroscléreuse abréviés “MACE” en anglais) associée à une réduction d’environ 55 mg/dL de LDL-C. Globalement, le nombre de patients à traiter par evolocumab ou alirocumab sur la durée de l’essai pour éviter un MACE était d’environ 65 (67 et 64 respectivement). Des analyses post-hoc ont montré aussi que les bénéfices étaient plus importants la deuxième année de traitement (- 25% de réduction des MACE) (6) et aussi chez les patients qui avaient un taux initial (à l’entrée) de LDL-C > 100 mg/dL (- 24 % MACE) (7); suggérant qu’un traitement plus long, chez des patients ayant un taux plus élevé de cholestérol LDL serait certainement plus efficace.
TOLÉRANCE ET EFFETS INDÉSIRABLES
On dispose actuellement d’une expérience de plus de 8 ans avec ces médicaments, qui montrent qu’ils sont très bien tolérés. Les effets indésirables reconnus sont parfois des épisodes de nasopharyngite, d’état grippal et surtout, 4 à 6 % de réactions suite à l’injection (prurit, rougeur, tuméfaction) (9, 10). Les réactions allergiques généralisées semblent avoir une incidence similaire dans les groupes traités et placebo. Il n’y avait pas de différence en matière de symptômes musculaires (même chez les patients qui ont souffert de myalgies sous statines), d’accidents vasculaires cérébraux hémorragiques, de cataracte et de troubles neurocognitifs (ces 2 derniers problèmes avaient été suspectés lors des méta-analyses des premières études mais écartés par la suite). Pas de signal non plus évoquant des modifications hormonales stéroïdiennes, des vitamines liposolubles A, D, E et K ou l’apparition de nouveaux diabètes.
INDICATIONS, REMBOURSEMENT, ET ADMINISTRATION
Dès 2014, l’agence européenne des médicaments a accepté l’utilisation des anticorps monoclonaux neutralisant la PCSK9 dans 3 indications:
1. les patients ayant un très haut risque CV (présence de maladie CV cliniquement manifeste à l’imagerie ou diabète avec atteinte d’organe cible ou d’autres facteurs de risque CV majeurs) dont le taux de LDL-C est insuffisamment corrigé;
2. les patients avec une HF hétérozygote; (3)
3. les patients à très haut risque CV avec intolérance aux statines (myalgies avec ou sans élévation des créatines kinases après tentative de 2 ou 3 statines différentes chez des patients.
Toutefois, ils ne sont actuellement remboursés en Belgique (Tableau 1) que dans les seules indications d’hypercholestérolémie familiale hétérozygote (prouvée par un score «DLCN» > 8, voir plus loin, Tableaux 2 et 3) en présence de taux de cholestérol LDL insuffisamment corrigée (> 100mg/dL chez les patients avec un antécédent de syndrome coronarien aigu ou > 130 mg/dL chez les autres) ainsi que dans l’hypercholestérolémie familiale homozygote (uniquement le Repatha®). Quelques informations pratiques sont présentées au tableau 1.
HYPERCHOLESTÉROLÉMIE FAMILIALE (HF)
DÉFINITION
L’hypercholestérolémie familiale (HF) est une maladie autosomique dominante dont les caractéristiques sont résumées dans le tableau 2 (11, 12). La forme hétérozygote, la plus fréquente (prévalence de 1/400 ou plus), est causée par un déficit du processus d’élimination (“clairance”) hépatique des lipoprotéines de base densité (LDL), dû à la présence d’une mutation “perte de fonction” sur les gènes codant le LDL récepteur ou l’apolipoprotéine B ou d’une mutation “gain de fonction” sur le gène du PCSK9. Ce déficit de clairance entraine un taux très élevé de cholestérol LDL (LDL-C) depuis la naissance, souvent de l’ordre de deux fois plus élevé que les valeurs normales ainsi qu’un risque augmenté de complications cardio-vasculaires (Tableau 2) : sans traitement, 50 % des hommes et 30 % des femmes risquent de développer une maladie cardio-vasculaire avant l’âge de 60 ans. Une forme plus rare (1/1 million; une dizaine de cas en Belgique) et plus sévère (LDL-C > 500 mg/dL, xanthomes cutanés dès 4 ans et des complications cardio-vasculaires avant 20 ans) est l’hypercholestérolémie familiale homozygote causée par la présence de mutations sur les deux allèles d’un des gènes impliqués.
QUAND ET COMMENT FAIRE LE DIAGNOSTIC D’HF ?
Une HF hétérozygote devrait être suspectée face à un taux très élevé de LDL-C (>150 mg/dL) ou face à des antécédents personnels ou familiaux de maladie cardio-vasculaire précoce (avant 55 ans chez les hommes et 60 ans chez les femmes) (13).
Chez l’adulte, il est possible de poser le diagnostic avec plus de certitude sur base des critères DLCN (Dutch Lipid Clinic Network, tableau 3. A.), qui prennent en compte les taux de LDL-C, les antécédents personnels et/ou familiaux et les signes cliniques pouvant être présents chez certains patients avec une HF. Il suffit d’additionner le score de chaque catégorie pour établir le diagnostic. Ainsi, un patient coronarien de 55 ans chez qui est découvert un LDL-C à 330 mg/dL ou un patient de 42 ans sans antécédent chez qui est découvert un LDL-C de 250 mg/dL et un arc cornéen (Figure 2) ont certainement une HF. Les xanthomes tendineux (Figure 2) sont parfois plus sensiblement détectés par échographie (le critère positif est une épaisseur antéro-postérieure de plus de 5,8 mm du tendon d’Achille) (14).
Chez l’enfant (Tableau 3. B.), les critères de l’HF hétérozygote prennent en compte le taux de cholestérol LDL ainsi que la présence d’une hypercholestérolémie ou de maladies cardio-vasculaires chez les parents (Tableau 3.A.). L’HF homozygote devrait être évoquée en présence de xanthomes cutanés chez un jeune enfant ou chez des enfants dont les deux parents souffrent d’HF. Il faut alors mesurer le taux de LDL-C dès que possible (diagnostic si > 500 mg/dL).
Dans tous les cas, un test génétique permet de confirmer le diagnostic. Cette analyse étant coûteuse, sa demande doit être clairement justifiée (DLCN > 5) et, si possible, demandée par un spécialiste.
TRAITEMENT
Le traitement doit idéalement commencer dès l’enfance avec des conseils diététiques (dès 4 ans), puis une statine puissante sera prescrite (dès 8-10 ans), d’abord débutée à faible dose (atorvastatine 10 ou rosuvastatine 10 mg), puis titrée et/ou éventuellement associée avec de l’ézétimibe, afin d’obtenir un taux de LDL-C < 130 mg/dL. Le traitement sera adapté à l’âge adulte pour viser un taux de LDL-C < 100 mg/dL. Lorsque le diagnostic n’est découvert que tardivement à l’âge adulte ou lorsque des complications cardio-vasculaires surviennent, il devient nécessaire de réduire le taux de LDL-C en dessous de 70 mg/dL. C’est ici qu’il devient nécessaire d’y associer (et non pas remplacer) les nouveaux traitements par les anticorps monoclonaux anti-PCSK9.
FUTUR
En plus des anticorps monoclonaux ciblant la PCSK9 circulante, d’autres mécanismes d’inhibition sont en cours de développement comme l’interférence ("silençage") avec sa synthèse (siRNA): les résultats d’études de phase I et II sont prometteurs, démontrant que 2 injections (0 et 90 jour) de 300 mg d’inclisiran permettent de réduire le taux de LDL-C de près de 50 % de manière persistante pendant plus de six mois (15). Une injection de ce traitement tous les 3-6 mois pourrait être une option très intéressante si ces résultats se confirment et que la sécurité à plus long terme le permet.
CONCLUSIONS
Les récentes études démontrent l’efficacité clinique des inhibiteurs de PCSK9 pour réduire le taux de cholestérol LDL et plus encore en prévention cardio-vasculaire, avec une sécurité acceptable. Par leur action et sécurité, ces agents nous confortent un peu plus dans la «théorie du cholestérol» (Tableau 4). Ces traitements restent toutefois encore chers et ne sont pas remboursés dans toutes les situations cliniques qui pourraient en bénéficier. En Belgique, jusqu’à présent, les remboursements sont limités seulement aux patients avec une hypercholestérolémie familiale en addition des traitements classiques (statine et ézétimibe). Des discussions au sein de l’INAMI sont en cours pour étendre leur utilisation à d’autres indications que l’hypercholestérolémie familiale. Il est donc possible, à l’avenir, que des patients qui ont souffert de maladies cardio-vasculaires tel que le syndrome coronaire aigu et dont le taux de cholestérol LDL n’est pas encore suffisamment abaissé sous un traitement optimalisé puissent en bénéficier. En attendant, chez ces patients sans HF, il convient de rappeler que leur maladie a une étiologie multifactorielle: la prise en charge des autres facteurs de risques CV ainsi que les mesures de style de vie restent donc primordiales.
REMERCIEMENTS
À Madame Gaëlle Sablon pour la révision de l’article.
CORRESPONDANCE
Dr. OLIVIER S. DESCAMPS
olivierdescamps@hotmail.com
Centres Hospitaliers Jolimont asbl
Département de Médecine Interne
Rue Ferrer 159, B-7100 Haine-Saint-Paul
Tel.: 064/23 31 67
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Cardiologie
Avenue Hippocrate 10, B-1200 Woluwe-Saint-Lambert
Tel.: 02/764 28 12
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