Introduction
Les injections de produits de comblement (en anglais : fillers) sont pratiquées couramment avec le but d’améliorer l’aspect esthétique d’un organe selon les désirs du patient. Ceci peut se faire dans un contexte médical (par exemple : correction de lipoatrophie (1) ou de défaut de volume) ou non-médical (par exemple : effacement de rides ou augmentation du volume d’un organe).
Dans la pratique urologique, il est de plus en plus fréquent de rencontrer des patients ayant abusé des produits de comblement. Leurs raisons sont diverses, allant de l’augmentation de la circonférence de la verge à un traitement de l’éjaculation précoce – la logique étant qu’une injection au niveau des zones sensibles, comme la base du frein, diminuerait les sensations responsables de l’éjaculation. Les conséquences sont variables et peuvent mener à des complications importantes, surtout de type infectieux, allant du simple érysipèle au sepsis (2) ou encore à la gangrène de Fournier (3).
La plupart du temps, suivant l’aspect de la verge et le produit injecté, une excision et correction chirurgicale s’impose, allant parfois jusqu’à une réconstruction de l’organe avec greffe de peau.
Les produits utilisés peuvent être subdivisés en trois catégories : les agents temporaires, semi-temporaires et permanents (1).
Les agents temporaires sont résorbés par le corps. Le principal représentant, l’acide hyaluronique, a une durée de vie moyenne de six à douze mois (4). Une correction chirurgicale en cas de complications ou de résultat non-satisfaisant n’est donc habituellement pas nécessaire, sauf quand une infection sévère se présente.
Les agents semi-permanents, comme la graisse autologue, ont une durée de vie plus longue que les agents temporaires mais finissent tout de même par être résorbés.
L’injection de graisse autologue est une technique largement utilisée pour augmenter la circonférence de la verge.
Le silicone est un agent permanent, qui est approuvé par la Food and Drug Administration (FDA) uniquement en injection intra-oculaire (5). En réalité, celui-ci est utilisé dans bien d’autres cas, dans des contextes médicaux comme non-médicaux. Les complications surviennent le plus souvent en cas d’utilisation par des personnes peu expérimentées, d’injections d’une trop grande quantité de produit, ou de produit de mauvaise qualité. Elles sont multiples et comprennent des complications infectieuses, des ulcères, un lymphœdème, la migration du produit, une dysfonction érectile ou l’apparition de granulomes (6).
Peu de littérature scientifique existe à ce sujet. Nous décrivons donc un cas clinique et proposons une revue des techniques chirurgicales décrites.
Cas clinique
Un homme de 37 ans, en bon état général, s’est présenté à la consultation pour douleur et tuméfaction au niveau du prépuce et impossibilité de décallotage. L’anamnèse révélait que ses plaintes faisaient suite à une auto-injection de silicone au niveau du prépuce quatre mois auparavant, en vue de retarder l’éjaculation. Selon le patient, une injection de silicone à hauteur du frein réduirait les sensations de cette zone érogène, ce qui en conséquence retarderait l’éjaculation. L’anamnèse urologique ne révèlait pas de symptômes mictionnels ni d’hématurie.
L’examen clinique montrait un prépuce tuméfié, douloureux à la palpation et un phimosis réactionnel (Figure 1). La base de la verge avait un aspect normal. L’examen clinique approfondi ne montrait pas d’autres anomalies.
Etant donné le confinement de silicone au prépuce en absence de migration, une simple circoncision était proposée au patient. Après consentement, une circoncision classique était réalisée quelques jours plus tard. Le résultat esthétique est satisfaisant.
Revue de la littérature scientifique
Nous avons recherché sur la base de données PubMed (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/) les articles scientifiques publiés jusque décembre 2018 qui décrivent des techniques chirurgicales de reconstruction pénienne, en utilisant les termes ‘penis’, ‘silicone injection’, ‘girth augmentation’, ‘surgical techniques’ en différentes combinaisons. Sept articles ont été retenus. (Références : 5 à 11).
Dans la majorité des cas décrits, une circoncision offre une solution rapide et facile (5). Ceci concerne uniquement les cas où le silicone a été injecté dans le prépuce, à condition que le silicone n’ait pas migré. Dans le cas où une diffusion du silicone s’est installée, une excision plus importante de la peau s’impose (4).
La technique considerée de référence est la greffe de peau demi-épaisse. Elle est la plus fréquemment utilisée et la plus étudiée. Dans une série de cinq patients, Sasidaran et al. (7) montrent qu’une circoncision couplée à une greffe de peau demi-épaisse est une technique simple ayant de bons résultats esthétiques. Alwaal et al. (8) obtiennent un résultat cosmétique et satisfaisant chez 52 sur 54 patients ayant bénéficié de greffe de peau demi-épaisse, dans une étude rétrospective allant de 1998 à 2014. Cette série ne concerne pas uniquement des patients ayants des complications suite à des injections de produits de comblement, mais inclut aussi d’autres étiologies comme la gangrène de Fournier, le lymphoedème, le pénis enfoui et des tumeurs du pénis.
La technique consiste à prélever une bande de peau demi-épaisse au niveau de la face interne de la cuisse et de greffer celle-ci à l’endroit où la peau malade a été préalablement excisée. Laisser la couche profonde du derme en place cause une morbidité moindre au niveau du site donneur et a comme avantage l’absence de follicules pileux dans la greffe (8).
Une technique récemment publiée par Fakin et al. est la réconstruction par lambeau scrotal antérieur bipédiculé (9), qui présente également de bons résultats. Dans cette technique, la partie antérieure du scrotum est incisée et dissequée jusqu’au niveau du fascia spermatique externe. Le lambeau n’est pas incisé dans sa partie supérieure, là où les deux pédicules vasculaires, originaires des artères pudendales externes, se situent. La peau est egalement incisée tout autour de la base de la verge. Celle-ci est alors glissée en dessous du lambeau. Enfin, celui-ci est positionné autour de la verge pour recouvrir sa circonférence et est suturé sur lui-même au niveau de la face ventrale de la verge. (Figure 2).
Dans leur étude rétrospective de 43 patients, les auteurs notent un score moyen de satisfaction des patients de 4,37 sur 5. Les complications décrites sont une nécrose partielle du lambeau (9%) – qui ont toutes guéries en seconde intention –, un hématome au niveau du site donneur (12%) et une déhiscence partielle de la plaie (19%).
Les auteurs décrivent cette technique comme étant supérieure à la greffe de peau ; le lambeau étant innervé, les sensations sont préservées ce qui pour l’usage sexuel est primordial. La peau du scrotum est également de couleur comparable à celle du pénis et est dotée d’une grande élasticité, contrairement à la greffe de peau qui peut avoir tendance à se contracter et à mal cicatriser.
Une variante de la technique précédente, décrite par Shamsodini et al., a comme particularité d’être effectuée en deux temps. Elle peut être utilisée en cas de détérioration avancée de la verge ou d’infection, qui pourrait empêcher une bonne cicatrisation. La première étape consiste à exciser la peau de la verge et à enfouir celle-ci dans un tunnel crée dans le scrotum, sous le dartos, en laissant le gland libre par une seconde incision. Trois mois plus tard, la peau scrotale est incisée de part et d’autre de la verge enfouie et est utilisé pour recouvrir la verge, en la suturant face ventrale de celle-ci (10) (Figure 3). D’autres techniques chirurgicales plus complexes, comme le lambeau antéro-latéral de cuisse (11), peuvent être également utilisées en cas de reconstruction plus étendue. Dans ces cas, une équipe médicale multidisciplinaire est requise.
Discussion
L’injection sous-cutanée de silicone est une pratique qui date de plusieurs décennies. Les premiers cas dans la littérature scientifique ont été décrits au Japon après la deuxième guerre mondiale, où des prostituées utilisaient ce produit pour obtenir un aspect facial plus ‘occidental’(12). Les résultats de l’injection de silicone sont très variables et dépendent de la qualité du produit, de l’expérience du praticien, de la technique utilisée et de l’organe cible. Alors que de bons résultats peuvent être obtenus pour des corrections esthétiques de cicatrices ou de rides, principalement au niveau de la face ou des lèvres, ce n’est que très rarement le cas lors d’injections intrapéniennes. Ceci peut s’expliquer par la nature des tissus ; les tissus denses favorisent un dépôt stable du silicone qui permet la formation d’une capsule de collagène autour des gouttelettes du silicone. Des tissus plus lâches permettent au silicone de migrer, ce qui peut compliquer l’obtention d’un bon résultat esthétique (13).
La série de Yacoubi et al. (14), composée de 324 patients suivis pour une durée moyenne de 20 mois est la seule à rapporter des résultats favorables après injections de silicone au niveau de la verge à visée d’augmentation de circonférence. Leur technique consiste à injecter le silicone en ‘micro-gouttes’ (0,01 à 0,07 mL) – ce qui limite la migration du produit (14) –, de manière la plus uniforme possible et pour un volume de 5 mL maximum par séance. Cela permet au patient de s’habituer graduellement à l’augmentation de circonférence de la verge et de pouvoir arrêter le traitement quand le résultat lui semble satisfaisant. Trois à six séances (cinq en moyenne) étaient habituellement nécessaires.
Les résultats obtenus dans cette série sont particulièrement bons. La totalité des patients sont satisfaits du résultat. Vingt et un patient souffrant de dysfonction érectile rapportaient une amélioration des érections, et certains patients souffrants d’éjaculation prématurée rapportaient une prolongation du temps de latence éjaculatoire. Cette étude est la seule dans la littérature scientifique à montrer des résultats positifs mais n’inclut pas de résultats à long terme – une donnée cruciale car une partie des complications, comme la nécrose, le granulome ou l’ulcère, peut apparaître jusqu’à cinq ans après l’injection (1)
. L’article soulève tout de même une question intéressante : la demande d’augmentation de la circonférence de la verge est devenue une réalité. Banaliser la demande des patients et ne pas proposer de traitement pousse certaines personnes à consulter des praticiens non- qualifiées, ce qui peut mener à des résultats désastreux. Car la présence de complications semble directement liée à la qualité du produit utilisé et à la qualité de l’injection. Le silicone injectable en lui-même semble sans danger. Plusieurs études montrent que le silicone ne provoque pas l’apparition de réactions systémiques ou de tumeurs, est histologiquement stable et bien toléré (15).
Conclusion
L’injection de silicone au niveau du pénis dans un contexte non-médical est une pratique risquée. Les patients s’exposent à des complications telles que des lymphoedemes, des infections, des granulomes nécessitants la plupart du temps une prise en charge chirurgicale, qui peut varier selon l’étendue de la zone atteinte. Il existe plusieurs techniques chirurgicales pour traiter les complications. Une simple excision est souvent suffisante, mais d’autres techniques sont décrites en cas d’atteinte plus étendue.
Il n’existe pas encore suffisamment de littérature scientifique prouvant que l’injection de silicone de haute qualité, réalisée par un médecin qualifié, ne présente pas de risque majeur pour le patient et ne l’expose pas à des complications à court ou à long terme. Entretemps, il faut sensibiliser les patients aux risques de cette pratique. Il est important de ne pas banaliser leurs demandes, de rester à l’écoute et de proposer des altérnatives plus sûres, comme l’injection d’acide hyaluronique ou de graisse autologue par un professionnel qualifié.
Notes
1. Les images du patient sont uniquement enregistrées dans le dossier médical du patient. Nous avons obtenu son consentement à usage scientifique.
2. Les schémas chirurgicaux publiés font l’objet d’un copyright. Nous avons obtenu l’autorisation des auteurs pour publication scientifique.
3. Aucun des auteurs ne déclare avoir de conflits d’intérêt.
Affiliations
Service d’urologie, Clinique Saint-Jean, B-1000 Bruxelles
Correspondance
Dr. Walther Brochier
Clinique Saint-Jean
Service d’Urologie
Bd du Jardin Botanique 32
B-1000 Bruxelles Belgique.
+32-2-2219953
urologie@clstjean.be
Références
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